Un endroit familier

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… Je crois que je deviens fou. Ou je le serais devenu sans ces pages qui m'ancrent à la réalité. Je suis envahi par d’étranges visions, ou des hallucinations d’un passé déformé. Je n’ai pas osé en faire part à Catherine de peur de causer la panique. Quand j’ai déposé mon rapport sur le siège plus tôt, j’ai porté les mains à mon visage pour me masser les tempes et après avoir cligné des yeux, le décor de la cabine s’était complètement transformé. Mon siège est devenu une chaise en bois inconfortable et un large bureau est apparu devant moi, le même que j’utilise normalement au travail. De plus, des dizaines de classeurs étaient disposés sur le bord des murs. Certains dont le tiroir était ouvert, exposant la multitude de dossiers qu’ils contenaient. J’ai regardé les fenêtres avec aversion pour confirmer que j'étais toujours à bord du train, mais je n’y vu que l’obscurité d’une nuit sans lune. Je me suis levé sans vraiment m’en rendre compte, comme si ma mémoire musculaire me guidait à travers la pièce pour exécuter un travail répétitif.

Machinalement, j'ai attrapé un dossier sur mon bureau, puis je me suis assis avec un crayon à la main. En l'ouvrant, j’ai constaté que la mise en page du document était la même que celle de la Compagnie du Chemin de fer utilise. Cependant, les seuls mots lisibles étaient le nom ainsi que la date du jour, le reste était composé d’étranges caractères ésotériques. Malgré tout, je me mis à lire attentivement l’entièreté du texte sans m’arrêter. Au bas de la page se trouvait un X suivi d’une longue ligne horizontale. Ma main s’approcha de la feuille, crayon entre les doigts, puis un profond silence s’imposa. J’avais repris le contrôle de mon corps. Perplexe, je suis resté immobile un moment. J’ai déposé le crayon sans m’en servir et en un clin d'œil, la cabine avait repris sa forme originale accompagnée du pénible bruit de Tic-Tac.

Comment ce phénomène a-t-il pu se produire ? Je ne crois pas m’être endormi, non, j'étais même très éveillé durant cette expérience. Néanmoins, je dois poursuivre le rapport.

Je me suis levé pour inspecter plus en détail mon environnement dans l’espoir de trouver une explication à ces illusions. D’abord, j’ai penché mon attention sur les panneaux au sol. Contrairement à la démonstration de l’ingénieur plus tôt, les panneaux de métal noirs cachent présentement les entrailles mécaniques de la voiture. J’ai préféré ne pas les soulever alors que la machine est en route. Je me suis cependant concentré à écouter anxieusement le bruit que produisent les centaines d’engrenages sous mes pieds. J’ai posé le genou au sol, puis je me suis penché pour coller mon oreille contre le panneau. Je pouvais désormais entendre nettement mieux le son du mécanisme.

Si je n'étais pas déjà dégoûté par ce bruit, je pourrais presque le décrire comme mélodieux. Il y a constamment un faible bourdonnement que je n’avais pas remarqué plus tôt, similaire à un essaim de guêpes enragées. Puis, un peu comme le son d’une horloge, je peux entendre trois petits Tics, suivi d’un grand Tac qui se répètent continuellement. Après une succession de plusieurs Tic-Tac vient invariablement un grincement métallique résonnant qui fait légèrement vibrer le sol. Je me suis demandé si ce rythme pourrait avoir un effet hypnotique. C’est possible, mais je doute que ce soit suffisant pour provoquer les hallucinations que j’ai éprouvées. Pourtant, en même temps que le bruit de grincement, je peux parfois entendre une sorte de gémissement inquiétant. Il faudra que je demande à un des ingénieurs du train ce qui peut bien causer ce son à la fin du trajet.

Le second élément que je me prépare à examiner est la multitude de panneaux perforés au plafond. J’ai initialement supposé qu’ils étaient consacrés à améliorer l'aération de la cabine et je compte vérifier cette théorie immédiatement.

Je pense avoir trouvé la source de mon malaise. Alors que je passais la paume de ma main en face de la paroi perforée, une forte odeur fétide s’est manifestée. L’émanation est clairement localisée quelque part dans le plafond. Il est possible que de petits animaux s’y soient logés et que l’exhalation de plusieurs carcasses en décomposition propage un gaz hallucinogène. Je crois cependant qu’il y a encore quelques bestioles en vie à l’intérieur, car en observant attentivement par un trou, il m’a semblé voir du mouvement. Je suis retourné m’asseoir sur un siège différent dans l’espoir que les effets du miasme y soient moins prononcés et par la même occasion, j’ai informé Catherine de mes suspicions. Celle-ci n’a pas semblé particulièrement inquiète par cette annonce. Peut-être que c’est moi qui suis trop nerveux. Néanmoins, dès que le train sera arrêté, je demanderai de faire ouvrir les panneaux du plafond.

Nous sommes arrivés à la gare de l’Est sans autre problème. Après cette étape, le train prendra la voie inverse pour retourner à la gare Centrale. Sans délai, je suis sorti à la recherche de l’ingénieur qui avait ouvert le plancher plus tôt. Je lui ai demandé d’ouvrir les panneaux du plafond afin de voir clairement à l’intérieur. À ma surprise, l’odeur avait disparu. Pas la moindre trace d’une souris ou d’un rat, l’espace était parfaitement propre. Les panneaux ont été réinstallés. Malgré tout, on m’a proposé de changer de voiture pour le trajet du retour, j’ai accepté. Catherine a reçu la même offre, mais n’a pas daigné répondre, toujours absorbée par l’écriture de son article. Après m’être dégourdi les jambes à l’extérieur un moment, j’ai rejoint mon nouveau siège en attente du départ.

Il n’a fallu que quelques instants suivant notre départ pour que l’odeur de mort revienne, plus forte encore et empestant désormais l’entièreté de mon environnement. Peu importe à quel bout de la voiture, une puanteur inimaginable sature l’air. Il semble que même le Tic-Tac du train soit plus fort qu’avant. Peut-être que mes sens me font défaut, mais j’ai de plus en plus l’impression qu’un danger me guette. Comme si un prédateur m’observait par une des fenêtres, guettant l’instant où je serai suffisamment vulnérable. Je n’ai pas perdu la raison, j’en suis sûr. Quelque chose d’épouvantable est sur le point de se produire.

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