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En rentrant dans cette petite chambre en plein milieu de l'après-midi je n'avais aucune idée en tête sinon celle de me faire dépuceler. Marre d'attendre qu'une fille plus laide que moi se décide à me faire don de son corps. Marre de raconter toujours la même histoire fantasmée aux copains, je venais de passer cinq heures à vider le grenier de la voisine et les cent francs durement gagnés allaient enfin me permettre de leur raconter une histoire vraie. Il suffirait de changer quelques détails, transformer la prostituée en fille de bonne famille bien chaude, la chambre miteuse en salon chic et le tour serait joué. Je sais bien que je n'avais aucune raison d'avoir honte, à dix sept ans tous ceux qui n'ont connu que les joies solitaires de la branlette s'inventent une histoire de cul mal ficelée. Bref, j'avais cet argent en poche et je ne voyais pas de meilleur moyen de le dépenser. Paul prétendait coucher avec sa cousine à chaque fois qu'il allait en vacances dans le Jura, Franc se vantait de ses histoires de cul en colo et moi, - qui était sûrement le meilleur menteur des trois -, je racontais mon baptême de l'air avec Sonia, magnifique blonde au corps de rêve qui m'avait violé au bord du Rhône après une soirée bien arrosée pour mon quinzième anniversaire. Leur réponse était toujours la même; Quel cadeau! Nous savions tous trois que nos histoires étaient inventées mais un accord muet entre nous voulait qu'on s'émerveille à chaque fois que le sujet revenait sur le tapis, ce qui arrivait au moins deux ou trois fois par semaine. Suite à quoi, nous rentrions chez nous pour nous branler en repensant à nos exploits inventés. Je suis certain que tous les mecs ont déjà fait pareil.
La chambre se trouvait au cinquième étage d'un immeuble pas trop délabré, juste en face d'un poste de police et d'une petite agence fiduciaire. Je me souviens avoir pensé que tous ces bons gens allaient faire leur casse-croûte au cinquième entre deux arrestations ou deux contrats d'assurance. Hé! Je n’avais pas trop mal choisi.
Je stresse.
J'hésite plus d'un quart d'heure avant de sonner, puis je redescends. Et je remonte. Je croise un mec tout ébouriffé dans le hall qui sort de l'ascenseur, il à l'air soulagé. Je fais semblant de chercher quelqu'un parmi les noms inscrits sur les boîtes aux lettres, je lis les règles en vigueur dans l'immeuble que le concierge a négligemment collés contre le mur du fond, à côté de la porte qui doit sûrement mener aux containers à poubelle. On peut lire - ou déchiffrer devrais-je dire - écrit à la main un mot du concierge disant: "Ne deposé pa des meubles dans l'antrè"
J'ai peur.
Je prends mon courage à deux doigts et monte les escaliers. J'arrive devant la porte de "SARAH, sonnez et patientez". Je sens une bouffée de chaleur, de peur et d'excitation. Je n'ai aucune idée de comment se passent ces trucs là. Je me demande comment lui parler. Comme dans les films? "Suce-moi beauté". Je dois payer d'abord? "Hé petite, satisfait ou remboursé". A bien y réfléchir je crois que le mieux c'est que je ferme ma gueule. Non! A bien y réfléchir je crois vraiment qu'il vaut mieux que je rentre me branler et que je laisse ça aux grands. De quoi j'aurais l'air si je me mets à balbutier des inepties? Merde quoi, dé pucelage ou pas je refuse de passer pour un con. Je garde mon sperme et ma dignité.
Je crois que ça va déjà mieux.
Ça n'a pas duré longtemps.
Au moment même ou j'avais pris la décision ferme de quitter les lieux j'ai entendu le déclic de la serrure puis la porte s'est ouverte. Un mec d'une quarantaine d'années est sorti suivi d'une femme en déshabillé noir. L'air con que je devais avoir. J'étais là, planté entre la porte et l'ascenseur. Une vague de panique est montée de mes reins jusqu'à ma tête. Trop tard pour faire semblant d'attendre l'ascenseur, d'ailleurs, avec le recul et les années en plus, je me rends compte aujourd'hui que nous savions tous les trois ce que je foutais là. L'homme est passé devant moi avec un petit sourire entendu, du genre: "Je connais, moi aussi j'ai eu la trouille la première fois". Puis il s'est engouffré dans l'ascenseur et a disparu. La femme m'a toisé de la tête aux pieds sans rien dire. Je suis prêt à parier que j'étais blanc comme un linge tout neuf. Toujours en silence elle a ouvert grande la porte et d'un geste théâtral m'a invité à entrer.
Je panique.
J'entre, à contrecœur mais je rentre. Le hall de l'appartement n'était éclairé que par un petit néon rouge et habillé d'un sofa de la même couleur. J'eus un haut le cœur. Une femme brune aux cheveux longs est sortie d'une pièce sur la droite. Elle affichait un grand sourire très commercial et d'un petit hochement de tête me fit signe d'entrer. Je n'avais toujours pas pipé un mot. La chambre ressemblait en tout point au cabinet d'un physiothérapeute. Une table de massage avec du papier blanc dessus était placée en plein milieu de la pièce, une unique commode sous la fenêtre l'accompagnait. C'est des pros. Je mis quelques secondes avant de réaliser que la femme me dévisageait. Elle portait un peignoir blanc en coton et des chaussures à talons hauts, adossée contre la porte elle attendait un signe quelconque de ma part. Enfin, je suppose. Après ce qui m'a semblé durer une éternité elle dit: "50 la fellation et 100 l'amour" L'amour? Quel amour? Je veux juste te sauter ma vieille! Je veux juste que tu me sautes plutôt. Je veux me barrer d'ici!
- Juste une fellation murmurais-je, vous avez de la monnaie sur 100?
- Mais oui, mais oui, dit-elle d'une voix chantante en prenant le billet.
Putain, j'ai fait tout ça pour me dégonfler au dernier moment. Je pourrais toujours raconter à quel point c'est bon de se faire tailler une pipe. Je dirais qu'une fille un peu bourrée dans un bar m'a entraîné aux chiottes pour s'occuper de moi. Aucun de nous n'avait encore inventé une histoire de pipe alors j'avais bon espoir de faire sensation. Ça n'a pas manqué. Paul m'a vigoureusement félicité tandis que Franc jouait les dégoûtés. Il faut dire que j'avais vraiment bien habillé toute l'histoire; Fête énorme dans la villa d'un ami riche, alcool par tonneaux et herbe à volonté, un lâcher de mannequins et juste quelques mecs pour les satisfaire. D'ailleurs, si le dernier bus n'avait pas freiné mes élans j'en aurais sûrement déglingué plus d'une.
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