Adam avait porté toute son attention sur l'opération. En relevant la tête, il aperçut la silhouette d'Eve, une trentaine de métres devant lui, de trois-quarts dos. Un sanglier adulte sortit de nulle part, appartenant probablement à une autre bande, ou bien un mâle solitaire, se lança vers elle, dans son dos. Le jeune homme comprit qu'elle ne pourrait l'entendre s'approcher, dans tout le tumulte de la chasse. Mais si le sanglier la percutait, Eve ne s'en sortirait pas indemne, elle pouvait même y perdre la vie. Et Adam ne disposait pas du temps pour intervenir, le sanglier déboulant trop vite. Il ne voyait absolument pas comment la sauver. La frustration, la peur, la colère, l'impuissance se joignirent en lui, qui provoquèrent son cri. Et comme il pensait intensément à sa femme, le cri qui lui vint spontanément fut un « miaou ». Le jeune homme cria un retentissant miaulement. Eve, surprise qu'un chasseur utilise ce son préféré, se retourna vers Adam. Elle découvrit alors le sanglier qui la chargeait. Une pointe intense de stress la fouetta, elle plongea sur le côté par réflexe. La bête, emportée par son élan, ne put redresser sa trajectoire pour aller piétiner sa cible. Plusieurs chasseurs se regroupèrent alors pour neutraliser le sanglier adulte.

Adam se précipita pour s'enquérir de l'état de sa moitié. Bien que choquée, elle ne déplorait aucune blessure consécutive à sa chute. Il l'aida à se relever, et à aller s'asseoir sur un gros tronc d'arbre déraciné pour se remettre. Pendant que la chasse se terminait, le centre de son intérêt s'était déplacé de la recherche des proies vers le soutien de sa femme. Eve, un peu tourneboulée, songeait que le « miaou » qu'elle utilisait pour s'embellir venait de lui sauver la vie. Et que dans la bouche d'Adam, le cri mignon acquérait une puissance et une urgence dont elle ne l'aurait pas cru potentiellement porteur. La scène se grava dans la mémoire des 2 protagonistes. Pendant quelques temps après cet épisode traumatisant, Eve ne put réutiliser le « miaou », même sur un mode doux, mignon et charmant, parce qu'il lui rappelait un trop mauvais souvenir. Mais bientôt, sa quiétude se réinstalla, et avec elle le sentiment de sécurité suffisant : le cri félin réapparut progressivement lors de leurs rencontres privées. La saison froide prit fin, et la faim s'éloigna des ventres redevenus rebondis des membres de la tribu.