Chapitre 2 : Rencontre crépusculaire
Le soleil se couchait sur les forêts de pins qui bordaient la maison. Alpert regardait le trait que l'ombre du ciel dessinait sur la cime des arbres et qui se rapprochait. Il était inquiet. À l'intérieur de la chaumière, sa femme Marie faisait cuire les petits légumes du jardin dans une grande casserole, et les effluves de la cuisine parvenaient jusqu'à ses narines, mais ne le tiraient pas de son angoisse. La petite Sophie était déjà partie depuis plusieurs heures, et n'était toujours pas rentrée. Alpert savait que sa fille aimait se promener dans les alentours, et tant que c'était en journée, il ne s'en inquiétait pas ; mais à l'orée du soir, les enfants devaient rentrer. Sophie revenait toujours tôt de ses escapades, pourquoi tardait-elle maintenant ?
Alpert craignait le pire, il ne voulait plus attendre davantage : les minutes lui semblaient des heures, chaque ombre furtive lui faisait espérer le retour de sa fille, et la déception n'en était que plus douloureuse. Il attrapa une lanterne accrochée contre l'un des murs de la maisonnée, pour ne pas se faire surprendre par la tombée de la nuit, et s'avança jusqu'au portillon qui délimitait sa propriété, l'espace de sécurité dont il était le garant, et le monde sauvage qui s'étendait au delà.
Il remarqua alors qu'une jeune femme se tenait là ; une cape bleue tombait jusqu'à ses chevilles et elle portait une charge imposante dans ses bras. Elle semblait attendre devant le portillon.
- Qu'est ce que vous faites là ? s'enquit Alpert en s'approchant, il plissait un peu les yeux pour bien discerner la nouvelle venue.
Il connaissait la plupart des habitants de la région et n'avait jamais vu cette personne là. Les inconnus n'étaient pas bien vus après la tombée du crépuscule. La jeune femme parut surprise en le voyant arriver et regarda absurdement à sa gauche et sa droite, comme si Alpert aurait pu s'adresser à quelqu'un d'autre. Il arriva belliqueusement jusqu'à la clôture de bois du jardin et passa la tête au dessus pour bien voir à qui il avait affaire. La jeune femme avait de longs cheveux blonds et des yeux bleus clairs, le manche d'une épée dorée dépassait dans son dos. Alpert baissa le regard pour voir ce qu'elle transportait ainsi et fut stupéfait d'y voir sa fille, Sophie, inconsciente. Il se précipita immédiatement de l'autre côté de la barrière et l'arracha des bras de cette inconnue.
- Ma petite fille ! sanglota-t-il. Que lui est-il arrivé ?!
Il berçait l'enfant avec tendresse mais pleurait sincèrement.
- Du calme, dit doucement Lucie, prise au dépourvu par le brusque changement d'attitude de son interlocuteur. Elle est seulement inconsciente, c'est pour ça que je vous la ramène.
Alpert reporta ses yeux mouillés sur la jeune femme, une lueur d'espoir faisait scintiller ses larmes amères.
- Elle n'est pas... blessée ? articula-t-il.
- Non, je vous assure que non. J'y ai veillé.
Il prit le temps de se calmer.
- Venez avec moi, finit-il par dire.
Sans attendre, il remonta l'allée jusqu'à la maisonnée qui trônait dans le jardin. Lucie resta un instant immobile, tentant d'articuler les mots qu'Alpert ne lui avait pas laissé le temps de prononcer. Puis comprenant, qu'il ne l'entendrait de toute façon pas, elle se décida à le suivre et rejoignit la chaumière à son tour.
Une bonne odeur de légumes bouillis emplissait l'entrée de la maison, dont le sol était en terre cuite et où une grande cheminée éteinte faisait face à quelques sièges vides. Lucie fit un pas à l'intérieur, mais n'osa pas en faire plus. Elle entendait Alpert et une femme parler dans la pièce d'à côté, sans parvenir à les voir. Toujours gênée de se trouver là, elle ne prononça pas un mot, attendant que l'on vienne lui dire quoi faire. La pièce était sobrement éclairée par quelques lanternes, et des escaliers de bois laissaient deviner l'existence d'un étage, c'était ce que Lucie considérait comme une jolie maison : modeste mais chaleureuse. Alpert finit par revenir, sa femme à ses côtés.
- Nous vous remercions de nous avoir ramené notre fille, Sophie. Mais dites-nous, que lui est-il arrivé ?
- Humm. Elle a pris peur en me voyant et s'est évanouie, lâcha Lucie avec un sourire qui se voulait désolé.
Alpert se gratta l'arrière de la tête en haussant un sourcil :
- Vous avez voulu l'effrayer ?
- Ah non, pas du tout. Je ne l'ai pas fait exprès, je voulais même...
Elle fut interrompue en plein milieu de sa phrase. Marie, la compagne d'Alpert, était partie d'un grand cri tirant dans les aigus, qui fracassa les oreilles de Lucie.
- Quelle est cette chose dans mon jardin ?! s'écria-t-elle en pointant du doigt ce qu'elle voyait au dehors.
La jeune femme se retourna et comprit tout de suite de quoi il s'agissait. Moz était assis en plein milieu de l'allée, ses poils flambants projetant une lueur incendiaire sur la maison.
- Ne vous en faites pas ! s'empressa de dire Lucie en faisant des gestes moulinants avec ses mains. C'est mon renard, ses flammes ne se répandent pas. Vous n'avez vraiment rien à craindre, il est dressé.
Marie et Alpert restèrent tous deux bouche bée un certain temps, avant de se tourner de nouveau vers la jeune femme.
- C'est lui qui a fait peur à votre fille... ajouta-t-elle timidement.
Mais là où elle craignait la colère des deux parents, ils éclatèrent de rire. Les choses étranges, telles que Moz, étaient monnaie courante dans ce pays. Et bien que la plupart des hommes préféraient s'en éloigner, ils ne pouvaient jamais éviter totalement d'en voir parfois. Il fallait vivre avec.
- Allons ! s'écria Alpert. Si ce n'est que ça, il n'y a pas à s'en faire. Nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir ramené notre fille, c'est ce qui compte.
- Vous resterez bien manger avec nous ? s'enquit Marie qui semblait soulagée elle aussi.
- Ah... Euh...
- C'est d'accord ! renchérit le grand gaillard. Elle reste avec nous pour le repas. Tu verras, ma femme est un vrai cordon bleu !
- Je...
Mais avant même que Lucie puisse ajouter un mot, les deux époux l'embarquaient déjà vers la cuisine. Décidément, pour Lucie aussi, la journée était inattendue.
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