• Qui es-tu à la fin, Razab ?

Le jeune homme ne répondit rien, il ramassait sa dague encore ensanglantée et les restes fumants de sa chemise.

• C'est vrai quoi, continua Lucie, je t'ai dit beaucoup de choses sur moi, mais toi rien du tout.
• Je t'ai dit que j'étais le disciple de Mélodie, répondit-il de son habituel ton froid. Il n'y a rien à ajouter.
• Et ces tatouages sur ton corps ?
• Tu n'as jamais appris la politesse ? Cela implique de ne pas poser de questions indélicates aux gens.

Lucie soupira, elle décidait d'employer une autre tactique :

• Bon... Et ces deux garçons, qui étaient-ils ?
• Les disciples de Will. Le magicien que tu as affronté devant l'auberge.
• Mais comment savaient-ils où nous attendre ?
• Parce qu'ils savent quel chemin j'empreinte quand je fais l'aller retour de chez Mélodie à l'auberge.

Razab était aussi concis que possible dans ses réponses : la discussion n'était pas son fort. Mais Lucie avait encore une foule de questions.

• Comment ont-ils pu nous rattraper dans les montagnes alors qu'on ne s'est pas arrêtés une seule fois ?
• Ils sont passés par l'autre versant, qui est plus court et moins dangereux.

Face au regard interrogateur de la jeune femme, Razab soupira et développa :

• En fait, Will possède une magie qui lui permet de projeter des émanations de lui : ainsi il peut se trouver en deux endroits à la fois. Par conséquent celui que tu as affronté n'était qu'une petite partie de son âme ; son corps devait se trouver bien loin de là, et ses disciples avec. Donc quand j'ai fait partir son émanation, il a sûrement prévenu ses disciples de la situation et ils ont ainsi décidé de venir m'intercepter.

Lucie hocha la tête. Le jeune homme semblait connaître son sujet sur le bout des doigts et elle se dit que beaucoup de choses lui échappaient encore sur le monde.

• Et tu ne risques pas d'avoir des problèmes pour ce que tu viens de faire ?

Elle lança un regard vers le corps sans vie qui gisait par terre pour souligner son propos.

• Si le mage veut se venger, tant mieux. Je hais les gens comme lui.
• Les gens comme lui ?
• Les magiciens et les sorciers.

Lucie haussa un sourcil, et Razab se détourna d'un air agacé.

• Bon, fit-il d'un ton tranchant. Nos chemins se séparent ici.
• Quoi ?!
• Moi je redescend, mais toi tu dois aller encore un peu plus haut sur le mont. J'ai perdu la trace du sbire par là, donc Mélopée ne doit plus être très loin.
• Oh...

Lucie savait qu'elle ne ferait pas tout le chemin avec Razab, mais elle fut quand même un peu sous le choc de cette brutale dissociation. Dû à ses connaissances très larges sur ce monde inconnu et à sa force prodigieuse, la présence du jeune homme avait quelque chose de rassurant. Elle s'en était quand même sortie grandement grâce à lui pendant ce voyage, et donc elle n'était pas très rassurée de repartir seule. Cependant, cela signifiait qu'elle approchait du but, de la fin de sa quête. C'était le moment de faire ses preuves et d'en finir avec tout ça : quand elle n'aurait plus sa malédiction, elle retournerait vivre une vie paisible dans le monde civilisé et n'entendrait plus jamais parler de magie et de monstres. Elle tendit finalement sa main droite en avant.

• Alors adieu, Razab l'apprenti. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi, je t'en serais toujours reconnaissante.

Le jeune homme serra la main qui lui était tendue.

• Adieu, Lucie Lazulie. Bonne chance pour la suite.

Elle le regarda s'en aller et disparaître dans le brouillard de gel. Au final, elle ne savait même pas si elle l'aimait bien, ou si elle se méfiait de lui. Un peu des deux sûrement. Il était en tout cas le seul à ne pas avoir été choqué par sa main écarlate, ce qui témoignait qu'il était lui aussi un personnage insolite.

Mais désormais, les préoccupations de Lucie étaient rivées sur le dernier pic à franchir, la dernière ligne droite. Des nuages orageux encerclaient le sommet, et Lucie serra dans sa main le flacon contenant Moz. Il était temps d'aller voir la cause de tous ses tracas, la sorcière Mélopée.