Chapitre 19 : Celle qui regarde en arrière

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Il y a des années de cela, un vieux prêtre s'est retrouvé à la charge d'une petite fille aux longs cheveux blonds.

Le père lui avait expliqué qu'il ne pouvait pas s'occuper d'elle, et qu'il préférait donc la confier au monastère. Mais la petite fille était maudite, et l'une de ses mains avait la couleur du sang, ce qui horrifia les religieux qui refusèrent donc de l'accueillir en leur enceinte ; si bien que le vieux prêtre décida d'emmener l'enfant avec lui pour l'élever seul.

Ils habitèrent dans une vieille maison de campagne, non loin de Capitale-ville. La petite fille y grandit bien, et le vieux prêtre était heureux de la vie qu'ils menaient. Malheureusement, sa main rougeâtre valut à la fillette d'être mal considéré par les autres, et tous l'évitaient au mieux. Attristée par cet abandon, elle demanda à son père adoptif pourquoi sa main était de cette couleur, et lui ne voulant pas mentir à une enfant, lui dit la vérité sur ses origines. Aussitôt la petite fille se mit en tête de retrouver la sorcière qui l'avait condamné pour conjurer son sort et ainsi se faire accepter des autres. Mais le vieux prêtre refusa de lui dire où la trouver et fit tout pour lui sortir cette idée de la tête. Cependant, pour lui c'était simple car tout le monde l'aimait dans le village. La petite fille trouvait qu'il ne pouvait pas la comprendre, et que ce n'était pas juste de l'empêcher d'essayer de changer son destin. Elle s'entêta donc à retrouver la sorcière. Pour cela, elle chercha secrètement dans les livres de la bibliothèque de son père adoptif : étant un homme très cultivé, il avait des livres sur tous les sujets.

Mais après de longues recherches, elle ne trouva rien de ce qu'elle cherchait. En revanche, elle découvrit un vieux grimoire expliquant les bases de la magie noire : l'art de l'illusion. Espérant que ça lui permette de se rapprocher de la sorcière, la petite fille se mit à apprendre en secret, chaque soir, les bases de cette pratique. Le jour, elle regardait le vieux prêtre soigner des gens, ou jouait avec son renard dans le jardin ; mais la nuit elle s'entraînait à lancer des sorts.

Puis un jour sombre, le vieux prêtre se douta de quelque chose et la surveilla de plus près. Il finit par découvrir ce qu'elle faisait dans sa bibliothèque et en fut horrifié. Il la surprit donc un soir et la disputa très fort, mais elle refusa de se laisser faire. Et alors que la tension montait entre eux, la petite fille céda à ses émotions et usa involontairement de sa magie sur le vieux prêtre. Celui-ci fut submergé de douleur et se retrouva paralysé. La fillette, choquée, voulut réparer ses torts, s'excuser, mais son père adoptif ne pouvait plus marcher. Lui qui soignait les gens et aidait le village, sa propre fille l'avait cloué au sol pour toujours. Sur le sinistre parquet de la bibliothèque, elle pleura encore et encore, tant elle s'en voulait. Si bien qu'un trait rougeoyant se grava sur le dos de sa main, faisant couler un sang écarlate entre les lattes sombres de la pièce. Le vieux prêtre s'en voulait de son côté de n'avoir pas pu mieux s'occuper de la petite, et qu'elle se soit sentie si abandonnée qu'elle se soit tournée vers la magie noire.

Tous deux marqués à vie, ils vécurent bien tristement, sans ne presque plus se parler.

Le temps passa, puis un jour, dans son fauteuil à roues, le vieux prêtre alla voir la jeune fille qu'il avait élevé. Elle avait bien grandi, mais contenait en elle tous ses désirs de revanche, ce qui la rendait bien malheureuse. Elle aurait des regrets toute sa vie, en continuant ainsi à se morfondre dans le petit village. Alors il vint la voir dans son fauteuil, une épée posée sur ses genoux. Cette épée, il l'avait forgée pendant des années en y mettant tout son savoir-faire et toute son énergie. Il l'avait bénie en la plongeant dans de l'eau sacrée et en récitant une prière : ainsi la lame ne pourrait jamais prendre de vies. Le vieux prêtre donna l'épée à la jeune fille pour contre-balancer son obscure sorcellerie, en lui disant qu'elle pouvait partir désormais, si elle promettait qu'elle ne tournerait pas vers la face sombre de la magie et qu'elle ne tuerait pas d'innocents. Cette épée devait l'aider à y parvenir. Emue, la jeune fille promit. Tournée vers l'horizon, elle déclara qu'elle reviendrait à la maison avec une main normale pour aider le vieux prêtre à soigner des gens. Elle le remercia de tout ce qu'il avait fait pour elle, s'excusa encore de ce qu'elle lui avait causé, et le quitta en lui disant de lui garder une assiette de prête pour quand elle reviendrait. Car elle comptait bien revenir, avec une main normale oui, mais aussi avec le moyen de le soigner, afin de réparer l'erreur qui lui avait valu un peu du temps de son espérance de vie.

Le voyage fut long.

Et maintenant, Lucie faisait face aux montagnes. Sa main barrée d'une cicatrice reposait sous un gant neuf tandis qu'elle regardait de nouveau l'horizon. Travailler pour Mélopée n'était pas ce qu'elle était venue chercher, loin de là. Mais peut être qu'elle en apprendrait suffisemment pour soigner son père. Elle n'avait aucune garantie que la sorcière ne la tuerait pas au bout d'un an, malgré leur marché, et elle devrait se passer de Moz pendant tout ce temps. Rien n'allait mais elle devait garder la tête haute, aucun regret ne devait ternir sa volonté. Maintenant elle était l'apprentie sorcière, Lucie Lazulie.

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