Oeuvre sans titre pour le moment
de sda
Russo Carter pressa sa serviette en cuir contre sa chemise Versace à deux cents euros en esquissant une grimace crispée qui aurait pu passer pour un sourire. Le bassin collé contre l’accoudoir, il laissa passer derrière lui une dame plus âgée, corpulente, et qui empestait le parfum bon marché. En nage dans sa robe premier prix à motif floral, elle le remercia d'un regard presque implorant. Russo serra les mâchoires en observant cet étrange spectacle, peu habituel pour un homme tel que lui : un avion de ligne en train de se remplir de ses passagers. Des dizaines d’inconnus glissaient leurs bagages dans des casiers, s'énervaient ou bavardaient avant de se laisser tomber dans un siège souvent trop étroit. Du haut de son statut social, le calvaire – désagréable au possible – s’apparentait à une virée dans un quartier mal famé au-délà du pont de Brooklyn. Après moultes contorsions, le milliardaire parvint à gagner sa place, coincée côté hublot et, toujours accroché à son sac comme à une bouée. Son postérieur tomba sur une assisse plus dure qu’une planche de bois. Torry Vecchia se glissa dans le siège voisin du sien avec bien plus de grâce. Et d’aisance. Après tout, c’était son milieu, son terrain.
— Tu sais ce qui me fait plaisir, Carter ? lui lança-t-elle en vérifiant le statut du bracelet électronique qu'il portait au poignet.
Il secoua négativement la tête.
— Te voir te débattre au milieu de la populace que tu as toujours considérée comme des moins que rien, toi au milieu de ceux que tu as plumés sans état d'âme. Quel effet ça fait ?
— On dirait que ça vous amuse, lâcha-t-il sur un ton dépité.
Après toutes ces années de jeu du chat et de la souris, elle n’hésitait plus à le tancer.
— Follement ! Tu n’as jamais approché les gens ordinaires d'aussi près, pas vrai ?
— J’ai déjà croisé plein de gens ordinaires au FBI, répliqua-t-il. En fait, je n’ai jamais vu une telle concentration de personnes conventionnelles, avec des visions aussi étriquées que leurs costumes bon marché.
Son regard lorgna en direction des premières classes où une splendide jeune femme en uniforme venait de tirer un rideau pour marquer la séparation entre deux mondes. Pour la première fois de sa vie, il se trouvait du mauvais côté de la frontière. Russo soupira, s'enfonça dans son fauteuil.
— Par contre, je n'ai jamais volé dans une bétaillère, c'est certain.
Russo regarda Torry qui abaissa sa tablette pour y poser un petit sac de voyage. Elle en sortit une bouteille d'eau plate achetée avant d'embarquer. Elle était exactement ce genre de femme : eau plate, sport, discipline et patience. Cette dernière qualité n'était certainement pas étrangère à sa chute. Russo Carter était sa prise, son trophée. Elle avait sué, au propre comme au figuré, pour l’épingler à son tableau de chasse. Demain, sur le parking du pénitencier de Fort Lauderdale envahi par une nuée de reporters, Torry Vecchia connaîtrait son jour de gloire pendant qu’il serait mis à nu et qu’on lui imposerait de porter l'un de ces affreux ensembles oranges.
— De l’eau ? lui offra-t-elle en lui tendant le récipient de plastique.
Il déclina la proposition, contrit dans un espace réduit où il avait l'impression que bouger un orteil provoquerait des remous agacés jusqu’à trois rangées devant lui.
— Combien de temps vais-je devoir supporter ça ? demanda-t-il.
— Huit heures jusqu'à Jacksonville, puis on fera un peu de route jusqu'à ton nouveau domicile. C'est moins chic que ton manoir des Hamptons, mais tu y seras traité comme un VIP. Le choix de garde-robe est limité, mais je suis certaine que la couleur orange t’ira comme un gant.
La pique l’amusa plus qu’elle ne l’affecta. C’était de bonne guerre.
— Tu aurais pu échapper à la peine préventive en évitant de t’enfuir à Londres, précisa l’agent. Le juge n'a pas du tout apprécié ton escapade en jet privé.
Ce qui l’avait évidemment incité à faire un exemple devant les caméras.
— Je ne m’enfuis pas. Jamais. Et si telle avait été mon intention, j'aurais choisi un pays qui n’a pas d’accord d'extradition.
Elle lui sourit.
— Je ne suis pas avocate, ni l’un de tes conseillers à six cents dollars de l’heure.
— Je voulais parler à mes filles. Une dernière fois. Rien d’autre.
— Je le sais.
— Ma femme s'est tirée avec mes enfants. Elle s'est installée dans notre appartement de Kensington et a demandé le divorce. Elle va me piquer la moitié de ma vie.
— Pas de séparation des biens ? Ça m’étonne de ta part… Finalement, tu les paies bien trop chers tes conseillers.
— Une belle connerie. C’est ce qui arrive quand on tombe amoureux.
La réplique cinglante fusa.
— Ne me fais pas pleurer, Carter ! Tu as ruiné bien plus de foyers avec tes magouilles financières.
— Vous prenez votre pied, hein, agent Vecchia.
— Ouais, lui répondit-elle en le dardant d'un regard froid. J'ai travaillé sur ton dossier pendant sept ans. Nuit et jour. Ça m'a coûté un divorce, alors oui, ces instants, je les savoure comme il se doit. Chaque foutue seconde.
— Pas de séparation des biens ?
— Avec mon salaire ? Je suis payée par le gouvernement.
— Je suis désolé, lui sourit-il, sur un ton narquois.
— Les gens comme toi ne sont jamais désolés. J'ai la satisfaction d'avoir réussi à te coincer, à te mettre hors course. C'est le sommet de ma carrière.
— Je suis impressionné. Et donc, ça valait le coup ?
Elle détourna la tête.
— Ferme-là, Carter. J'aimerais piquer un somme après le décollage.
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