Basterds
Une pluie sanguinolente domine dans la contrée de Thèbes, dans les montagnes rougies, dominées par les bergers. Il y a bien dix siècles que le soleil n’a plus osé se dévoiler au grand jour. C’est qu’il n’a aucune raison de s’habiller correctement. Il laisse donc sa suite vaporeuse s’occuper de la surveillance des habitants de Thèbes. Sous cette pluie meurtrière, dont chaque goutte de sang qui effleure la boue ébranle la Terre, un troupeau, guidé par un groupe d’hommes en haillons, marche tranquillement à la recherche d’un abri moins pénible.
Ils profitent de cet instant où les forces de la nature soufflent un peu, pour se reposer eux aussi. Le bétail n’est pas alarmiste, contrairement aux hommes qui tentent en vain de les presser. Soudain, un claquement de terrain surgit devant eux, engloutissant les premières lignes de vaches apeurées. Sid, un vil berger un peu plus petit que ses semblables, hurle aux bêtes de s’arrêter. Malgré une voix qui porte, il a fallu qu’une vingtaine d’entre elles périsse avant que toutes ne réagissent à la catastrophe qui vient, dans cette contrée autrefois paisible, les égorger. Sid savait que les autres ont eu tort de s’aventurer si loin du village, mais il n’avait pas son mot à dire, il est d’une moindre importance. Pourtant, ce petit homme fait partie des bergers les plus casse-cou. Sa place est amplement méritée, mais c’était comme si ses yeux et ses oreilles n’y croyaient pas. Tout ce qui l’importe est de bien gagner sa vie.
“Demi-tour !” s’écrie Ton, un berger massif de par son imposante carrure coiffée de larges épaules contractées.
Le vacarme se fait plus intense. Sa voix peine à atteindre toutes les bêtes dont une bonne partie reste là, sourde comme un pot et plantée comme une fleur. Ton insiste avec les poings, n’hésitant pas une seconde à accourir auprès d’elle. Sid est sur le point de l’aider quand il remarque le reste de leur groupe se sauver sans eux. Il ne pouvait s’y attendre, à ce détour soudain, cette lâcheté surprenante, cette trahison épouvantable. Il ne reste plus que lui et Ton.
“Laisse-les !” crie Sid à Ton. “On va crever si on reste là !”
Ton se retourne alors et découvre, les yeux ébahis, le coup de poignard dans le dos lancé par ses anciens camarades, ses anciens confrères envers qui sa confiance est absolue. Ses poings se serrent jusqu’au sang, ses yeux virent au rouge et ses cheveux se hérissent. Aveuglé par la haine, il frappa mortellement une vache avec sa jambe, sous le choc de Sid. Sans attendre davantage, il s’élance dans la même direction que les autres, comme s’il voulait les rattraper pour leur donner la raclée de leur vie, oubliant leur seule potentielle réserve de nourriture. L’homme enragé passe devant Sid puis s’arrête tout d’un coup, sans le regarder. Il lui dit entre ses dents :
“Basterds…”
Ne comprenant pas, Sid veut rétorquer, mais Ton ne le lui en laisse pas le temps. Ses émotions se décuplent, comme une décharge électrique, et Ton d’un geste vif assène un coup de poing envoyant valser Sid dans les cieux, trempé de sang. Ton le regarde s’envoler sans mot dire. Le fracas de la tempête s’adoucit, seuls les cris du peu de vaches survivantes encore terrifié percent la brume toute fraîche. La pluie continue à son rythme, et Ton écarte les bras pour s’imprégner de son sang. Son rythme cardiaque ralentit, puis s’éteint. Le géant ne s’est jamais senti aussi apaisé. Depuis le temps qu’il voulait tuer Sid pour avoir violé sa sœur. Il a bien fait d’attendre le bon moment, on ne sait jamais quand l’occasion se présentera.
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