Chapitre 12 - La prophétie
Circella, à travers ses épais cils noirs, fixe méchamment le loup. D’un geste sec, elle lui arrache le parchemin contenant la prédiction.
— Eh ! s’exclame Sacha mécontent, c’est pas des manières. Où est l’argent d’abord ?
— Tiens ! Circella lui lance une bourse renfermant l’or. Va-t’en maintenant !
— Faudrait pas oublier le cochon !
— Oui, s’agace Pétunia. De sa main gauche, elle tire sur une laisse, et un porc surgit derrière elle.
La sorcière tend le tout à Sacha.
— À présent, pars.
— Pfff, persifle le loup, je crois bien que je ne travaillerai plus pour vous ! La malveillance n’empêche pas d’être polie.
Furieux, l’animal se retire, serrant d’une patte la précieuse bourse tandis que de l’autre, il maintient fermement son cochon nouvellement acquis.
Une fois certaine que leur compère soit bien parti, Circella déchire d’un geste fébrile le parchemin. Le petit nuage de poussière s’en échappant fait éternuer Pétunia qui se tient debout, derrière sa sœur. L’odeur des années passées, mélange d’humidités et de cendres, filtre à travers les pages jaunies.
— Alors, qu’est-ce que ça dit ? questionne Pétunia sautillant d’un pied sur l’autre.
— Une minute, je lis.
— Mais laquelle ?! Laquelle de nous deux doit mourir ?!
— Oh ! Tais-toi ! lance Circella exaspérée.
Derrière sa sœur, d’une petite voix enfantine et croisant les doigts, Pétunia scande :
— Faites que ce ne soit pas moi, faites que ce ne soit pas moi.
Un silence fiévreux règne durant le temps de lecture de Circella. Seuls les corbeaux tournoyant au-dessus du château font entendre leur croassement. Pétunia, assise, dos contre le mur de briques rouges, dodeline de la tête, effrayée par l’attente. Un coup sec retentit entre les cloisons, lorsque Circella referme brusquement le livre.
— Non !!!
Son cri de fureur gêne les volatiles qui s’éloignent vers la forêt enchantée.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que la prophétie annonce ? Qui meurt ? interroge craintivement sa cadette.
— Lis !
Pétunia saisit le parchemin que lui tend sa sœur et parcourt le texte. Les mots paraissent heurter son regard. Elle n’arrive pas à comprendre le sens des phrases. Une peur incontrôlable lui tenaille le ventre. Une seule chose compte, laquelle des deux est condamnée. Elle lit le dernier paragraphe attentivement.
˝… et à l’aube de la nouvelle ère, après bien des années de maléfices et d’horreurs, les deux sorcières, connues sous le nom de Sinistrel, sont destinées à périr à quelques jours d’intervalles dans d’atroces souffrances. Tourloing et ses habitants trouveront enfin bonheur et paix éternelle…˝ Pétunia, posant doucement le livre sur le sol, s’en éloigne, comme craignant qu’il lui fasse du mal.
— Ce n’est pas possible ! Circella, dis-moi que ce n’est pas vrai, pas TOUTES LES DEUX ?!
— J’ai bien peur que si. Les prophéties ne mentent jamais, répond gravement sa sœur.
— Il faut éviter ça, je ne veux pas mourir ! hurle Pétunia, ses gros yeux verts exorbités. Que les autres meurent, je m’en fiche, Tourloing peut bien disparaître, mais pas MOI, pas TOI !!!
Des larmes coulent sur les joues de la sorcière, laissant des traces en raison de l’épaisse couche de fond de teint. Circella, dédaigneuse, la dévisage, puis se détournant de sa sœur, fixe d’un regard accusateur, le mur devant elle. Elle pince ses lèvres fines tout en tapotant ses ongles noirs le long de son corps frêle. Elle finit par répliquer d’une voix froide comme une crème glacée.
— Il n’y a rien à faire. Je ne comprends pas pourquoi, mais il nous manque des informations. Je soupçonne Merlin d’avoir lancé un sort sur la prophétie, et sa magie est plus puissante que la nôtre ! Nous savons que nous allons mourir. Hélas, c’est une certitude. Nous ignorons cependant de quelle manière et la date de notre fin. Cela nous empêche de tout mettre en œuvre pour nous libérer de ce funeste destin.
— Que veux-tu dire ?
— Que nous sommes condamnées à périr !
Et alors que Pétunia en larmes tente de reprendre sa respiration, entrecoupée de sanglots, Circella murmure d’une voix métallique :
— Je ne me laisserai pas faire. Je me battrai. S’il le faut, j’emporterai plus d’une personne dans la mort.
Ses mots résonnent telle une funeste promesse et se répercutent dans tout le village de Tourloing, faisant se briser les vitres et trembler les maisons.
Dans sa chambre, Agatha, jeune adolescente de quatorze ans, lève la tête de son livre, et son clair regard semble traverser les rues pour se plonger dans les yeux noirâtres de Circella.
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