Chapitre 33 - Sacha et le feu follet
Sacha cesse de courir. Se penchant en avant, il pose ses mains sur ses genoux et ne peut retenir l’envie de vomir qui lui monte aux lèvres. Une incommodante odeur de bile imprègne l’herbe. Reprenant sa respiration par à coup, le loup s’aperçoit qu’il a atteint la sortie du village.
— Je suis un monstre ! Qu’est-ce qui m’est arrivé ? Qu’ai-je fait ?
Des pensées sanguinolentes traversent l’esprit de Sacha. Se prenant la tête entre les mains, il la serre comme un étau. Il voudrait n’avoir rien fait, pouvoir oublier… redevenir Sacha, le simple gredin, pas Sacha le meurtrier. L’animal n’a aucune envie de rentrer chez lui. Il se rend compte qu’il craint la solitude qu’il sait y trouver… et puis, n’est-ce pas le premier endroit où Circella viendra le chercher ? Il est affolé à l’idée qu’elle puisse vouloir venger sa sœur. Il devine qu’elle le ferait souffrir de manière inimaginable. La fureur d’une sorcière n’a pas de limites. Sacha en a la chair de poule. À cet instant, le loup n’aspire qu’à une chose, être avec un ami… or il n’en a qu’un.
Sacha pénètre dans ʺles bois de la solitudeʺ. Il se faufile entre les arbres aux troncs biscornus, en direction du marais. Repérant une pierre plate, l’animal s’y installe, appréciant la froideur du caillou. Il n’attend que quelques minutes. Au bout d’un court moment, l’étendue d’eau est agitée par quelques remous. Une flamme vivante apparaît, et reste suspendue à faible hauteur du sol.
— Sacha, c’est gentil de venir me voir.
— Salut, Marvin, répond son camarade d’une voix atone.
— Quelque chose ne va pas ? Tu as l’air bizarre.
— J’ai commis un acte horrible.
— Ça ne peut pas être aussi moche que ça. Raconte-moi.
— J’aimerais, mais ne peux pas. Tu es le seul ami que j’ai et je crains, si je te fais le récit de ce qui s’est passé, que tu ne veuilles plus l’être.
Le feu follet s’approche de son camarade. Il lui aurait volontiers posé une main sur l’épaule afin de le réconforter, malheureusement, s’il s’avise de faire cela, il brûle l’animal. Aucun geste affectueux n’est permis à l’Esprit. Marvin se contente donc de prendre une voix douce.
— Un véritable ami n’est pas seulement là dans les moments heureux, il reste aussi présent les jours où rien ne va. C’est d’ailleurs à cela qu’on différencie un simple camarade d’un compagnon sincère. J’espère bien être plus qu’un copain, alors dis-moi, n’aie pas peur de me dévoiler tes sentiments, de me livrer tes secrets.
Le loup, malheureux et sceptique, ne prête tout d’abord qu’une attention distraite au feu follet, puis, comprenant que ce dernier ne le rejette pas, mais veut au contraire l’aider, une onde de chaleur envahit son corps et il confesse son crime, la tête basse, les oreilles pendantes, sans jamais oser regarder Marvin. Il ne lui cache rien : le vol chez Merlin, l’enlèvement de la jeune Agatha, son avidité et sa folie avec le diamant magique et surtout le meurtre sauvage de Pétunia. Quand il a terminé son récit, Sacha lève des yeux mouillés vers son ami. La lueur de ce dernier est vacillante, troublée. Marvin ne dit rien. Face à ce silence, Sacha murmure :
— Je le savais, tu me trouves monstrueux. Ne t’inquiète pas, moi aussi je me considère comme abominable. J’ai bien peur d’avoir surpassé les sœurs Sinistrel pour ce qui est de la cruauté. Peut-être suis-je la personne la plus horrible que cette terre ait portée.
— Ne dis pas ça, je t’assure que ce n’est pas vrai, le contredit son ami. Tu as commis un acte épouvantable, impardonnable, cependant, tu n’as pas tué une innocente victime, mais une vilaine sorcière. Il faut relativiser.
Le loup esquisse un sourire tremblotant.
— Merci. Tu ne trouves donc pas que je suis la personne la plus détestable ?
— Bien sûr que non. Ce que tu as fait est extrêmement mal. Tu ne pourras sans doute jamais racheter ce crime. Mais tu regrettes, cela prouve que tu n’es pas le monstre que tu penses être. Je serais prêt à parier une de mes flammes que tu ne recommenceras pas.
— C’est certain ! rugit Sacha.
— Tu vois bien.
— Et maintenant qu’est-ce que je fais ?
— Peut-être devrais-tu t’éloigner de Tourloing, prendre du recul… réfléchir. Ce que tu es dépend de tes choix, à toi de faire les bons pour devenir le loup que tu aimerais être.
— Je commence par quoi ?
— Par payer le crime que tu as commis j’imagine.
— Mais, c’était une sorcière… une horrible magicienne !
— Peu importe, on ne peut pas se mettre à tuer tout le monde sous prétexte qu’ils ne font pas partie des gentils. Ce n’est pas comme ça que la société fonctionne.
— Si je fais ça, que va-t-il m’arriver ? s’inquiète Sacha.
— Je ne sais pas trop. Qui s’occupe des problèmes de justice à Tourloing ?
— Le chasseur.
— Tu devrais retourner au village et demander à le rencontrer. Parle-lui à cœur ouvert, je suis certain qu’il comprendra et jugera au mieux la situation.
— Tu as sans doute raison. Merci pour tout Marvin, vraiment. Tu es mon seul ami et j’ai de la chance. Tu réponds toujours présent et de bon conseil. Je n’oublierais pas ta compassion à mon égard, et ce malgré tout ce que j’ai fait.
Le loup aurait volontiers serré son camarade dans ses bras, mais comme il ne veut pas périr brûlé, il se contente de lui adresser son plus beau sourire. Après encore quelques échanges de promesses d’amitiés éternelles, Sacha quitte le marais et prend la direction de Tourloing.
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