Chapitre 1

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«Rencontre avec les ténèbres»

Mes yeux s'ouvrirent lentement, tellement lentement que s'en était pénible. Mon corps était lourd, léthargique d'un sommeil, sans doute, grandement prolongé. Ainsi, j'étais contraint de ne pouvoir bouger suivant ma volonté, paralysée d'incompréhension. Ma vue était trouble, un brouillard utopique flottait devant mes yeux, il embrouillait ma vue, m'empêchant de voir dans quel genre d'endroit j'étais. La pièce sentait l'humidité, indéniablement, comme le sous-sol d'une vieille église où la chaleur est absente. Bon sang… où suis-je?

Aussitôt, j'entendis une porte émettre un léger grincement, un bruit métallique à peine audible et un brin déplaisant. Quelqu'un venait d'entrer dans la pièce. Impuissant, je restai immobile sans avoir la capacité de bouger, de réagir à cette présence inconnue ou même de parler et d'interagir avec elle. La personne s'avança vers moi, je ne pouvais dire de qui il s'agissait, ma vue étant partiellement altérée.

— Vous êtes enfin réveillé, me murmura une voix masculine et curieusement douce.

Je ne pus lui répondre, malgré ma farouche volonté d'obtenir des réponses à toutes ces questions qui défilaient dans ma tête depuis mon réveil. Ma gorge était sèche, aride comme le désert un jour de canicule, elle me brûlait terriblement et un infime goût de sang se noyait dans ma salive inexistante.

— Vous devriez vous sentir mieux dans quelques minutes, continua-t-il alors que je commençais parcimonieusement à reprendre le contrôle de mes doigts.

Un petit son sourd et plaintif sortit de ma gorge qui suppliait l'hydratation, tandis qu'il posa sa main sur la mienne, essayant sans doute de se montrer cordial.

— Évitez les efforts inutiles, vous devez rester tranquille encore un moment.

Les minutes passèrent, lentes, pénibles et odieusement angoissantes. Ce silence de plomb devenait affligeant.

Mon corps, après cette attente dictatrice, avait repris des forces et je respirais à nouveau normalement, ou presque. Seule ma vue me faisait encore défaut, m'empêchant toujours de voir mon interlocuteur.

—Où... où suis-je? Et... qui êtes-vous? réussis-je à marmonner, à bout de souffle.

— Je me prénomme Isaac. Je suis celui qui vous a transporté jusqu'ici. Il y a deux jours, la nuit était déjà bien tombée et je vous ai aperçus, déversant l'entièreté de votre sang sur le sol, près d'une église. Vous sembliez à l'agonie et j'étais paniqué... Il se tut un instant avant d'ajouter :

— vous avez été... mordu.

Une incompréhension absolu et despotique régnait en moi, que m'était-il arrivé?

— Mordu? Par... par quoi?

Sa tête s'inclina vers le bas, honteusement navré malgré sa piètre implication, et il me regarda, je crois, d'un air empathique.

— Par un vampire...

Mes yeux s'écarquillèrent, comme voulant s'enfuir de leur orbite, et mon cœur se serra douloureusement au fond de ma poitrine creuse. Un... un vampire? Je refusais obstinément d'y croire, c'était impossible. Pourquoi me racontait-il de telles âneries?

— J'ai bien peur que ce ne soit la vérité, répondit-il directement à l'attention de mes pensées agitées par cette nouvelle impensable.

Il approcha ses doigts de ma gorge et les passa délicatement sur les deux plaies amples qui ornaient mon cou. La douleur était encore vive, semblant essayer de raviver en moi le souvenir de cette nuit fatidique, sans résultat. Mes souvenirs étaient complètement absents.

— Alors... pourquoi ne me souvins-je de rien?

La colère s'emparait de moi, impétueuse et déchaînée telle une femme trompée par l'amour qu'elle croyait sincère. Il y avait encore tant de questions sans réponses qui hantaient mon esprit.

— Vous... Vous ne vous souvenez de rien? Alors, n'avez-vous aucune idée de l'état dans lequel je vous ai trouvé, cette nuit-là? Ou encore, de tous ces événements survenus ici, depuis votre arrivée?

Une once d'étonnement parsema son visage alors que mon ahurissement ne fit que s'approfondir, formant à présent un trou béant. Soudain, ma vue s'éclaircit totalement et je vis enfin à qui je m'adressais.

Sa peau était pâle, telle la neige immaculée tombant du ciel un soir d'hiver et ses cheveux étaient dorés comme l'or. Ils épousaient harmonieusement son dos, tandis que son regard semblait empli de bonté et de gentillesse. Je me redressai sur le lit et le regardai longuement, sans réserve. Il m'adressa un sourire, comprenant que j'avais retrouvé la vue.

Il se leva et me tendit sa main d'une chaleur amicale qui me réconforta, l'ombre d'un instant. Je lui souris brièvement et me levai avec difficulté, n'ayant pas retrouvé toutes mes forces.

— Permettez-moi de vous faire visiter les lieux, déclara-il avec allégresse.

Je le suivis, me hâtant à sortir de cette horrible pièce humide qui comprimait vigoureusement mes poumons.

— J'ai oublié de vous demander votre nom, lança-t-il, le sourire aux lèvres, alors que nous marchâmes dans un couloir où l'air, délétère et dense, nous empêchait de respirer convenablement.

— Mon nom complet est Charles Joshua Thompson. Cependant, j'ai moi-même omis de vous remercier... permettez-moi de le faire convenablement. Merci, Isaac, dis-je d'un ton rempli de tristesse dissimulée maladroitement.

De nouvelles questions naissaient lentement en moi, sombres et fourmillantes d'agitation, me demandant sans répit si j'aurais préféré mourir là-bas, ou encore, comment avais-je pu survivre à ce carnage sanglant.

— Puis-je vous poser une question? ajoutai-je d'une voix peu vigoureuse, alors qu'il s'apprêtait à ouvrir une porte nettement plus sophistiquée que ces couloirs crasseux qui nous entouraient depuis quelques minutes déjà.

— Bien sûr.

Il s'arrêta, un instant, la main posée négligemment sur la poignée métallique de la porte et me regarda, perplexe.

— Pourquoi... pourquoi suis-je toujours en vie? Comment est-ce possible?

Il baissa le regard d'une honte transparente, sachant, sans doute, que la réponse me déplairait amèrement.

— Lorsqu'un humain est mordu par un vampire, il risque systématiquement la mort. Néanmoins, certains y échappent, devenant eux-mêmes des vampires... Hier soir, quand je vous ai aperçus, pourtant mourant, une lueur de vie parsemait votre visage même si vous aviez un urgent besoin de sang. Votre transformation étant déjà entamée, je vous ai amené ici, à Ravensworth, espérant sauver cette vie à laquelle vous sembliez tellement tenir. Vous êtes présentement dans un établissement conçu spécialement pour les vampires.

J'étais sans voix. Je ne ressentais ni colère, ni peine, ni joie. Ces émotions désertèrent une à une mon esprit pétrifié, consterné mais à la fois démuni de quelconque sentiment. Le vide, cette brèche béante qui englobe tout sur son passage, ne laissant à son hôte qu'une pesante sensation d'infernale vacuité. Mes émotions m'avaient abandonnées. Je n'arrivais pas à y croire, simplement.

Plusieurs minutes passèrent en compagnie d'un silence courtois qui s'était tu à son tour, évitant d'offenser le néant tyrannique qui régnait sur les lieux. J'essayais de digérer la nouvelle pendant qu'Isaac me regardait tristement, avec toute la patience dont il disposait.

— Suivez-moi, il serait temps que nous quittions cet endroit insalubre et rejoignions le château.

Ses paroles me sortirent brutalement de ma torpeur, puis il ouvrit la porte colossale donnant accès à une partie du château diamétralement opposée à ces immondicités aperçus plus tôt. Mon regard, ébahi par cette quintessence inconnue, se posa sur tous les murs habillés d'étoffes raffinés, tous les cadres d'une envergure démesurée et toute la beauté de cette demeure sophistiquée à l'excès.

Durant notre cheminement, Isaac m'expliqua avec diligence que je me trouvais dans les cachots de l'établissement, ajoutant que leur délabrement était dû à leur faible utilisation. Toutefois, je me trouvais maintenant dans un château exorbitant, aux allures élégantes et distinguées. La tapisserie qui ornait les murs était d'un violet sensuel et somptueux qui épousait parfaitement la noirceur indécente des détails. Les ornements d'argent, quant à eux, étaient épars mais sciemment disposés, brillant d'une beauté inégalée dans cette pièce à la hauteur de leur vénusté.

Isaac souriait sans mesure à la vue de mon visage stupéfait par l'opulence, s'amusant aux dépens de mes réactions disproportionnées. Une fois ce divertissement apaisé, il me fit visiter l'entrée titanesque de la demeure. Soudain, tandis que je m'extasiais devant une immense peinture aux arabesques mouvantes, une voix rauque et délicieusement suave parvint inopinément à mes oreilles. Elle parcourra mon échine dans une lenteur qui fit trembler tous mes sens.

— Isaac, comment se porte notre nouveau protégé?

Ses pas retentèrent, prééminents et assurés, dans les escaliers entièrement recouverts d'une fine tapisserie écarlate. Il approcha, lentement. Je sentais, à mesure qu'il avançait vers nous, la prestance invraisemblable de cet homme me consumer et comprimer mon thorax. Sans même le regarder, sans même le voir, je pouvais sentir sa présence écrasante nous relayer au rang de simples poussières.

— Très bien, maître Ridley, répondit Isaac avec sérieux et courtoisie.

Maître? Mais qui pouvait bien être ce personnage au titre si exorbitant? Mes pensées furent chassées subitement, alors qu'une présence fugace se glissa derrière moi telle une ombre auguste et imposante. Dès lors, une chaleur occulte enveloppa mon corps avec passion, faisant bouillir le sang qui circulait dans mes veines.

D'un mouvement machinal et peu assuré, je pivotai vers lui, affligé d'une lenteur sournoise qui faisait croître mon malaise, avant de constater que la proximité qui nous séparait l’un de l’autre était excessivement infime. Cet homme dont je pouvais sentir le souffle effleurer mon visage était d'une beauté incommensurable. Ses cheveux tombaient, factieux, contre son front, couvraient modestement ses oreilles et caressaient sa nuque élancée, sauvages et volatiles, brillant d'une couleur d'ébène ensorcelante. En outre, ses yeux, qui perforaient mon âme telle une flèche à la pointe acérée, étaient d'un bleu profond comme l'océan, prodiguant à cet être une certaine mélancolie. Je reculai d'un pas, alors que lui, refusant cet éloignement dérisoire, approcha sa main de mon visage avant de saisir doucement mon menton.

— Comment t'appelles-tu? me demanda-t-il d'un ton lascif et emplit de volupté, volupté qui était absente lors de son court échange avec Isaac.

Il s'adressait à moi différemment, moins solennellement, me laissant la funeste impression d'un prédateur qui débusque sa proie avec langueur. Plongeant ses yeux impérieux dans les miens, il me pétrifia, m'empêchant toute rébellion du corps et de l'esprit. Aussitôt, une vive chaleur vînt tourmenter mon visage, telle une fièvre d'ivresse naissante qui suffit à empourprer mes joues... mais qui était-il?

— Je... je m'appelle Charles, répondis-je d'une voix irrégulière et enrouée.

Mon corps, pour une raison nébuleuse et inopinée, réagissait étrangement au regard glacial et à la voix chaudement sensuelle de cet homme étranger. Ma peau, à l'endroit précis où ses doigts m'effleuraient chastement, semblait brûler d'un feu ardent. Son toucher magnétique me fit frémir alors qu'il retirait sans hâte ses doigts de mon menton, les faisant doucement glisser contre celui-ci. Contemplant ce spectacle sans bruit, Isaac prit la parole d'une voix dénuée de trouble, atténuant ainsi l'atmosphère impudique qui prenait progressivement racine autour de nous.

— Charles, c'est grâce à cet homme que tu as survécu à ta transformation. Tu lui dois la vie, souffla Isaac, une pointe de fierté dans le regard et un grand sourire bienveillant se dessinant sur son visage.

Je ne pus m'empêcher d'écarquiller les yeux sans mesure à l'ouïe de ces mots déraisonnables. Ma vue devint imprécise et vacillante tandis qu'elle se posait sur Isaac, criante d'une peur sourde qui dévorait sauvagement mon absence de souvenir. Si seulement, si seulement je n'avais pas oublié cette nuit fatidique.

— Pardonnez-moi, je n'ai aucun souvenir, pas même une quelconque réminiscence des heures précédant mon réveil... répondis-je, d'une voix morne et affligée, à l'attention de mon sauveur énigmatique.

Pour sa part, il se contenta d'afficher un rictus compréhensif et fit bifurquer son regard de givre vers Isaac avant de s'adresser à lui.

— Je m'occupe de notre nouvel invité et te remercie pour ton aide précieuse, néanmoins tu devrais te reposer maintenant, tes traits semblent tiraillés par la fatigue.

Un sourire d'une douceur paternelle orna ses lèvres. Il se tourna promptement vers moi et me fit signe de le suivre. J'adressai un signe de tête équivoque à Isaac, tentant maladroitement de le remercier, et me hâtai à la tâche.

Gêné de me retrouver seul avec cet inconnu dont je devrais me souvenir, je le regardai marcher devant moi tel un roi aux allures fières et ne pus m'empêcher de m'attarder sur le pantalon de cuir noir qui étreignait lascivement le bas de son corps. Une bouffé de chaleur s'empara de mon visage et je m'affairai à contempler les peintures onéreuses qui habillaient les murs plutôt que l'homme curieusement attrayant qui me guidait dans cette vaste et excentrique demeure.

Les minutes passaient, stagnantes et maladroites, dans un silence intimidant qui laissait amplement place au malaise. Alors que nous marchâmes à l'étage supérieur de la résidence, à l'extrémité d'un couloir svelte et interminable se trouvait une immense pièce aux portes d'ébènes dans laquelle nous entrâmes. La taille de cette salle à l'atmosphère luxurieuse était incommensurable, jamais dans ma vie je n'avais eu l'occasion de voir une chambre d'une telle envergure. Les murs, tantôt parés d'élégantes nuances de violet et de motifs sophistiqués, maintenant vêtus de draperies d'une rougeur ardente et charnelle. Cet endroit suscitait en moi d'étranges sensations, indicibles, presque imperceptibles et j'étais absolument inapte à définir ce sentiment de brûlure confus qui naissait au fond de ma poitrine.

L'homme fit quelques pas dans ma direction et se positionna derrière moi, puis, de sa voix concupiscente et malicieuse, murmura doucement à mon oreille alors qu'il posait impudiquement sa main dans le creux de mon dos, provoquant une chaleur dissolue et diffuse dans tous mes membres.

— Viens.

Ses lèvres esquissaient un sourire enivrant, bien que ses yeux brillaient d'une lueur sardonique. Il me fit avancer lentement, jusqu'au moment où nous atteignîmes un lit aux proportions démesurées qui reposait passivement au fond de la pièce. Sans crier gare, le sang qui circulait dans mes veines se glaça machinalement et je restai cloué sur place, telle une vulgaire statue de pierre, découvrant de mes yeux horrifiés le spectacle sanguinolent, ou plutôt, l'exhibition macabre d'une sanglante tragédie survenue dans cette pièce.

— N'as-tu pas la moindre souvenance? ajouta-t-il d'une voix sérieuse et grave, à voix basse, semblant ne pas vouloir ajouter de désarroi à mon effarement.

À cet instant, une odeur âcre me caressa l'intérieur des narines, une odeur chaude et vile qui m'emplit les poumons d'une fragrance à l'odeur doucereuse et, me semblait-il, inconnue. Dès lors, je ne savais plus quelle sensation éprouver... La peur? La stupeur? La méconnaissance?

Devant mes yeux turbides, gisaient plusieurs draps blancs maculés de sang, beaucoup de sang.

— À... à qui appartient ce sang? demandai-je d'une voix tremblante et si étranglée que je devais m'efforcer d’entendre ce murmure inaudible.

— Ainsi, tu n'as réellement aucun souvenir...

Il s'approcha de moi, hardi et indécent, son regard courtisant lubriquement mes yeux troublés d'incertitudes aux multiples facettes.

— Ce sang, il m'appartient, répondit-il d'une voix sage et délicieuse, épiant mes réactions tel un prédateur sanguinaire qui guette sa victime promise.

Il enfonça ses yeux glacés dans les miens. Sans pouvoir réprimer le sourire vivace qui ornait ses lèvres, il détacha les premiers boutons de sa chemise et m'exhiba sensuellement son cou, me laissant sciemment apercevoir les différentes empreintes de crocs qui couvraient sa peau blafarde.

— Qui... qui vous a infligé de telles blessures? soufflais-je d'une voix décontenancée, suintante du profond trouble qui m'assiégeait et dominait mon esprit pantois.

Il échappa un petit rire narquois qui témoignait explicitement de son amusement, puis, d'une démarche conquérante, il approcha de moi avec avidité, sans la moindre tempérance.

— Toi, susurra-t-il, voluptueux et saillant d'allusions me concernant, à une distance peu raisonnable de mon oreille.

Malgré cette situation inconvenante, sa proximité excessive et son souffle chaud et tumultueux faisaient accélérer mon rythme cardiaque, mon pouls battant en diable dans tout mon corps pétrifié. Ainsi, le sang qui circulait vivement dans mes veines se glaça et mes mains se mirent à trembler. Diantre, qu'avais-je fait durant ces quelques heures d'absence?

— Des explications sont de mise, je présume?

Il écarta progressivement son visage du mien et vint s'installer, d'un œil consciencieux, sur le canapé recouvert d'un somptueux tissu vermeil aux allures fastueuses et érotiques, m'invitant à m'asseoir à ses côtés, sur cette énième démonstration d'opulence.

— Permets-moi de combler les faits manquant à tes souvenirs.

Il s'interrompit un instant, soupirant furtivement, avant de reprendre d'un air austère et mesuré.

— Isaac t'a certainement raconté une partie de la nuit, ainsi j’omettrai certains détails. Lors de sa promenade nocturne usuelle, il aperçut un corps, au loin, près d'une église, qui semblait s'éteindre dans son propre sang. Tu avais été mordu par un vampire. Lorsqu'il t'a trouvé, tu avais impérativement besoin de sang, il t'a alors transporté jusqu'ici, affolé, essayant d'éviter ton décès. Puis, comme tu étais affamé... je t'ai gracieusement offert mon sang. Toutefois, ton esprit était si vif que ce fut particulièrement difficile de te maîtriser. Qui aurait cru que tu serais si vorace?

Il posa ses yeux lubriques dans mes pupilles dilatées, ses lèvres s'étirant en un rictus espiègle, alors qu'une gêne saisissante et démesurée s'emparait de moi, mon cœur livrant une bataille au creux de ma poitrine. Ses paroles ne semblaient être qu'une proposition chimérique et absurde, profanant les oreilles chastes, offensant l'esprit pudique du prêtre que je fus. En réalité, il m'apparaissait impossible que j'eusse bu le sang de cet homme...

— Par ailleurs, ajouta-t-il, cette demeure qui attise tant ta curiosité, est mienne.

Mes yeux s'écarquillèrent dans la démesure. Cet éclat qui vivifiait mes iris violets hésitait entre l'irascibilité fougueuse et l'indignité singulière qu'éprouvaient les individus tombés en disgrâce. Ma conscience vacillait dans une pénombre plénière à l'atmosphère drue, et ma tête, qui paraissait être d'une infinie lourdeur, chancelait sous le poids outrancier de l'étourdissement. Combien de révélations importunes demeuraient encore inconnues de ma vertu? Combien en entendrai-je dans le futur, qu'il soit attenant ou lointain? Furtivement, mon regard, confus et craintif, se déplaça dans sa direction, rencontrant maladroitement ses yeux sombres et songeurs qui criblèrent mon âme d'une attention particulièrement intimidante.

— Je... je suis terriblement navré de vous avoir infligé cette peine. Je n'ai pas le moindre souvenir, or je...

Aussitôt, il m'interrompit crûment, arborant cette prééminence dont seul lui connaissait les rouages et, s'approchant de mon visage tourmenté qui, désespérément, feignait l'impassibilité, il chuchota :

— nul regret n'est nécessaire, ce fut... plutôt plaisant.

Mes joues s’enflammèrent indiciblement, épousant avec parcimonie la couleur flamboyante des tentures grivoises. Il contrôlait et s'égayait de mes réactions surfaites, exhibant audacieusement son sourire aux traits malicieux et suggestifs.

— Trêve de plaisanteries, suivez-moi, je vais vous indiquer votre chambre.

Il me tendit la main d'un geste vigoureux et placide, ne soustrayant ni la jubilation, ni l'excès de confiance à ses traits éloquents. Ainsi, par politesse, je saisis parcimonieusement la main qu'il me présentait et nous nous dirigeâmes, sans empressement, en direction d'un modeste couloir où les lumières tamisées faisaient preuve de tempérance, rehaussant la beauté discrète de la tapisserie. En outre, les œuvres d'art raffinées semblaient dormir sereinement contre les murs prune, minoritaires sur cette vaste superficie. Nous fîmes encore quelques pas et arrivâmes devant une délicate porte de bois, dont les ornements gravés évoquaient indistinctement les vestiges de mon enfance disparue, au sein d'un foyer à l'apparence fallacieusement sage et pauvre.

L'homme qui, patient et attentif, m'observait depuis les prémices de mon égarement, m'effleura légèrement le poignet et me fit signe d'entrer, interrompant subitement ma rêverie amère.

À l'intérieur de cette pièce, aux proportions manifestement plus humbles que la précédente, une commode de bois et d'acajou, sobre et étrangement discrète malgré son imposante stature, semblait se prélasser contre le mur depuis plusieurs années, vraisemblablement des siècles, alors que l'encoignure gauche de la chambre accueillait un lit aux dimensions idoines et suffisantes pour un homme seul. Drapé de maintes couvertures à la blancheur chaste, semblable à la pureté d'une jeune vierge, ce lit possédait, de surcroît, un large chevet de bois aux motifs finement sculptés, formant une répétition plantureusement élégante. Les murs, quant à eux, étaient d'une douce couleur crème, quasi lilial, sinon d'un blanc opalin ternit par les années. Une fois de plus, les draperies écarlates imitaient sans gêne la couleur du sang, glissant voluptueusement contre les murs prudes et effrayés par cette lascivité immodérée.

— Vous devriez vous reposer, vous devez être éreinté à la suite d'une journée si éprouvante.

Ses yeux me scrutèrent sereinement, emplit d'une bienveillance implicite qui suffisait à lénifier ce sentiment ineffable de nausée, qui tiraillait ma gorge depuis mon réveil. Il ferma promptement la porte, inhibant ainsi tous dialogues, toutes paroles intempestives et toutes émotions éprouvées. La parole m'étant manifestement refusée, mon esprit éprouva la nécessité inaccoutumée de se réfugier dans la pensée, pensée qui était submergée, assaillie de tant de tourments, de tant de questions en suspens, me laissant avec la sensation térébrante d'une perplexité amère.

Ma vie, fatalement, funestement, ne serait plus jamais semblable aux doux jours de sérénité passés en compagnie de Dieu, à l'église qui m'eut accueilli si longtemps.

Les heures se succédèrent dans une lenteur provocatrice, ne me laissant aucune seconde de répit. Après des heures de tourments, de questions irrésolues et d'apitoiement indigeste envers ma propre personne, le sommeil vint enfin à ma rencontre.

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