1.2

4 minutes de lecture

Un scorpion noir – le plus mortel du pays – s'était camouflé entre les caisses en bois contenant les anciennes œuvres d’art découvertes dans le sanctuaire. Un ouvrier, portant un coffret encombré de pièces rares dans les bras, s’était approché du monticule. Au moment où il se déchargeait de son fardeau, l’animal avait jailli de sa cachette. Il l’avait frappé à l’aine de son dard empoisonné avant de disparaître sous la toile. Le venin s’était propagé à travers l’artère fémorale. L’homme était décédé dans d’atroces souffrances.  

Pierre Berthas sortit une plaquette de médicament glissée dans la poche intérieure de sa veste. L’accident s’était produit une demi-heure auparavant et son cœur fatigué s’en souvenait encore. Ses battements affolés refusaient de se calmer. Prendre un cachet pour le forcer à se détendre – il souffrait d’insuffisance cardiaque depuis deux ans et devait éviter les chocs physiques et émotionnels – était indispensable. Ce geste accompli, il se leva pour se rafraîchir et remplacer ses habits imbibés de sueur qui l’incommodait.  

En homme maniaque, il conservait une hygiène irréprochable sur lui. Il se changeait deux à trois fois par jour et se couvrait de déodorant pour camoufler l’odeur tenace de la transpiration. L’ordre lui tenait tout aussi à cœur. Voir un objet traîner sur le sol ou sur les meubles l’horripilait. Même ici en plein désert, sa grande tente beige restait organisée.  

L’intérieur comportait un lit de camp avec sa couverture bordée au carré (une habitude obtenue lors de son service militaire), une armoire en tissu avec étagère et penderie, une petite table en fer avec son nécessaire de toilette, une caisse à outils et un fusil de chasse (indispensable à cause des prédateurs).  

Toutes ses affaires étaient pliées avec soin et classées par catégorie dans des coffrets ou des sacs. Une manie – certes contraignante – qu’il tenait de sa mère et transmise à son propre fils, Alexis.  

Plus à l’aise – et tout aussi malheureux – Pierre s’assit en face de la table, remit ses lunettes – sans elle, il ne voyait pas de près – pour consigner ses tristes évènements dans son journal de bord, sans poursuivre sa lecture précédente. La suite n’était qu’un enchaînement d’incidents. Rats, scorpions, chute de pierres et tempête de sable s’étaient ligués contre lui pour faire cahoter ses travaux. Il avait perdu dix hommes en cinq jours ! Dix hommes morts par accident !  

Six mois auparavant, il découvrait par hasard ce temple millénaire, pourchassé sans relâche pendant dix-sept ans. À ce moment-là, il logeait chez l’habitant, dans un petit village pittoresque de cinq cents résidents, niché dans une formation rocheuse, en plein désert. D’anciennes légendes sur la divinité l’avaient convaincu d’effectuer des recherches dans le secteur. Il parcourait ses contrées désertiques dans son véhicule tout terrain, en plein soleil et dans la chaleur, tous les jours, jusqu’à ce qu’un après-midi une tempête se lève et l’oblige à s’arrêter.  

Durant ses longues minutes passées dans la tourmente, il avait cru sa dernière heure arrivée. Le vent avait ballotté le quatre-quatre dans tous les sens, en rugissant de colère. Les grains de sable avaient frappé la carrosserie de tous les côtés et avaient fêlé les glaces. À l’intérieur, le fracas avait résonné en un bruit assourdissant. La poussière s’était insinuée dans les interstices des portières et s’était collée à ses bronches, provoquant une mauvaise toux.  

Lorsque les rafales s’étaient calmées, il était sorti de sa voiture et avait distingué en face de lui un rocher tapissé d’anciennes inscriptions. Il avait alors compris que le monument recherché se situait juste en dessous de ses pieds.  

Il avait engagé une cinquantaine d’ouvriers – des hommes âgés d’une vingtaine à une quarantaine d’années – dans le village dans lequel il résidait, seul présent sur ce plateau aride à des kilomètres à la ronde.  

Au début, tous avaient mis du cœur à l’ouvrage à déblayer le sable qui recouvrait les pierres, puis à mesure que la roche sculptée s’était dénudée, les sourires s’étaient effacés à la découverte du propriétaire des lieux : Seth.  

Seth, dieu du mal, de la confusion et du désordre. Il apparaissait comme un homme à tête animale, au museau effilé et aux oreilles carrées. Ennemi de la lumière, il demeurait le maître des orages, des sombres nuages, du tonnerre et du désert.  

Les hommes les plus superstitieux, bercés par des mythes sur ce dieu maléfique durant leur enfance, quittèrent les lieux. De cinquante, ils passèrent à quarante. Malgré tout, le travail avançait bien et les quatre gigantesques statues humaines à tête bestiale, disposées en paire autour d’une entrée scellée, leur étaient apparues.  

Des lignes d’anciens hiéroglyphes gravés dans la pierre surplombaient la porte. Dix ouvriers, terrorisés par ce message d’avertissement – ici demeure l’esprit du dieu Seth, quiconque franchira cette porte le payera de sa vie – refusèrent de l’ouvrir et partirent à leur tour, de peur de s’attirer les foudres divines. Ils se retrouvèrent à trente pour dégager les étroites galeries, à découvrir ses chambres obscures et à en extraire ses œuvres d’art poussiéreuses. C'est là que les premiers incidents avaient débuté…  

Depuis, les rumeurs les plus folles couraient dans le campement. On disait le dieu Seth présent dans le temple. On le comparait à un esprit malin qui prendrait plaisir à provoquer le malheur autour de lui. Les travailleurs, mal à l’aise et inquiets, ne rentraient à l’intérieur que par obligation. Il avait dû doubler leurs payes pour les convaincre de rester.  

Archéologue depuis sa jeunesse, Pierre Berthas avait passé une trentaine d’années à parcourir l'Égypte, passionné par son art, à en explorer ses monuments grandioses, loin de sa famille. Jamais, au grand jamais, il n’avait connu une telle hécatombe ! Ses fouilles se révélaient être un véritable désastre ! Quant à la suite, elle le laissait bien perplexe…  

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire sylvie Mounier ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0