1. Liberté 

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Je regarde le monstre de pierre qui se tient au sommet du chemin pavée. La citadelle se dresse au milieu des bâtiments de la ville. Les voitures circulent derrière moi, inconscientes de ma présence comme de celle de l’édifice massif, dissimulé derrière une grande porte de métal au milieu d’un mur solide. L’université Vauban.

Je respire profondément. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, à la fois de peur et d’excitation. Enfin dans la cour des grands! Plus d’obligations, plus de devoirs débiles, plus de vie scolaire pour te dire comment t’habiller ou te comporter et plus de parents sur le dos. La liberté. Paradoxal pour une ancienne prison.

Je replace mon sac en bandoulière d’étudiante et m’attèle à gravir la côte qui m’emmène vers mon avenir.

  • Salut minimoy !

Assis sur le muret qui borde la montée raide, cinq garçons me fixent en souriant. Le premier, décontracté, s’appuie en arrière, une jambe nonchalamment posée sur l’autre. Il a des cheveux blonds qui tombent sur ses yeux bleus foncés en ondulant. C’est lui qui a parlé, Hyas. Le second, plus raide, semble à la fois gêné d’être là et heureux de me voir. Zek. Le menton du troisième repose sur sa main. Penché en avant, il me scrute. Ses cheveux noirs sculptés au gel encadrent un visage au teint mat, semblable au mien. Kurt. Le quatrième a la jambe qui gigote. Il braque ses yeux verts sur moi, impatient de se lever pour me parler, je le sais. C’est Yanis. Le cinquième, penché en avant, me scrute de ses iris marron, ses doigts entrelacés, les coudes sur les genoux. Ses cheveux bruns coupés courts sont libres de faire des épis façon coiffé, décoiffé. Liam.

Toute la clique est présente et me fixe, sourire aux lèvres.

Je soupire. Le retour des embrouilles. Pitié, ne me dites pas que mon frère va me fliquer jusque sur les bancs de la fac !

Pour être honnête, Kurt est sympa. Il s’est toujours inquiété pour moi et m’emmenait aux fêtes votives avec ses amis et dans la plupart de leurs sorties. J’étais un peu leur petite sœur à tous les cinq. Mais quand j’ai eu quatorze ans, tout a dérapé. J’ai ramené mon premier petit ami et à partir de là, Kurt n’était plus inquiet pour moi, mais carrément surprotecteur. En plus, il a mis toute sa bande à contribution pour me pourrir l’existence. Il a gâché ma vie amoureuse pendant deux ans, puis il est parti faire ses études.

J’espère que ces deux années où j’ai pu sortir avec des garçons en toute tranquillité, ne deviendra pas un bref interlude dans un immense cauchemar sentimental.

Je sais que ni Kurt, ni les autres, ne sont venus pour me surveiller, ils veulent probablement m’accompagner pour mon premier jour à la fac. Mais le résultat est le même, et ça me fait bouillir.

  • Qu’est-ce que vous faites la? Dis-je en essayant de cacher mes émotions.
  • J’accompagne ma petite sœur, tiens!

Kurt se lève, ses amis toujours assis de part et d’autres. Ses prunelles noisette, presque dorées, semblables aux miennes, pétillent innocemment. Ça me met encore plus en colère qu’il soit si gentil. Parce que sa gentillesse mène à l’oppression et que ça me donne l’impression de ne pas pouvoir le lui reprocher.

Yanis suit le mouvement et bondit comme un ressort.

  • Je suis content de te voir Mia! Lance-t-il à la cantonade. Tu doit être inquiète, mais ne t’en fait pas! On est là et on ne sera jamais loin! Tu sais, la maison est encore mieux que quand tu étais venue. On a mis du temps à oser faire des fêtes l’année dernière, mais cette année on va se faire plaisir!

Le moulin à parole en pleine action. Je n’ai même pas le temps de placer une phrase, mais il me fait rire. Il est toujours plein d’entrain et bavard comme une pie.

Liam et Zek se lèvent à leur tour.

  • La ferme Yanis, lance Zek en riant. Lâche-la un peu!

D’un geste vif, Yanis fait semblant de fermer sa bouche à double tour et de jeter la clé.

  • Tu dois être perdue pour l’instant, reprend Zek, mais tu verras, tu prendras vite tes repères. La fac n’est pas très grande.
  • On te montrera tout ce qu’il y a à connaître, ajoute Liam. Et puis, si tu as besoin d’aide, tu n’auras qu’à nous appeler.

Liam est en troisième année de droit et Zek, d’art. Ils fréquentent Vauban depuis déjà deux ans. Ce seraient effectivement les guides idéaux, s’ils n’étaient pas presque aussi zélé que mon frère pour me faire rester vierge. Heureusement qu’ils ignorent que c’est peine perdue, il est trop tard!

  • Anouk n’est pas avec toi? Reprend Liam. Je croyais qu’elle venait aussi?

Anouk? On est copines depuis le lycée, mais je ne pensais pas qu’il se rappellerait d’elle. C’est une fille plutôt mignonne, peut-être qu’elle lui plaît?

  • Non, j’ai choisi psycho et elle, le droit. Donc elle a commencé sa prérentrée il y a deux jours. Nos horaires sont différents.
  • Oui, confirme Zek, c’est pareil pour nous en troisième année.
  • A la CCI c’est plus simple! Lance Hyas. Tous les bts sont rentrés ensemble. La fac, c’est vraiment le bordel. Je suis tellement content d’en être parti! En plus je peux jouer les espions vu qu’Oriane est dans la promo de cette année.

Il me fait un clin d’œil. C’est donc lui qui a dit à mon frère la date de ma rentrée. Cette traîtresse d’Oriane va m’entendre ce soir! Des qu’elle rentre à l’appartement, je lui ferai sa fête.

Hyas regarde sa montre.

  • Par contre, je ne vais pas pouvoir rester plus. Désolé Minimoy, content de t’avoir vu.

Il me serre dans ses bras, suivi de Yanis et Kurt.

  • On doit partir aussi, annonce mon frère. Si on loupe le bus pour le CHU, on est mort! Bonne chance sœurette!

Il se tourne vers Zek et Liam pendant que Yanis me serre dans ses bras pour me dire au revoir..

  • Je compte sur vous, les mecs! Prenez soin de ma petite sœur.

Oh non… Je vois les deux sous-officiers saluer Kurt comme un seul homme. Adieux ma liberté a peine effleurée…

Le trio s’éloigne en chahutant. J’imagine leurs mines réjouies, inconscients de l’épée de Damoclès qu’ils viennent de poser au-dessus de ma tête et de mon changement d’humeur.

J’ai a peine le temps de ruiner, que Zek regarde sa montre.

  • On t’a fait perdre pas mal de temps, tu devrais y aller.
  • On te montre le chemin? Demande Liam.

Je le rembarre immédiatement, remplie de venin.

  • Non merci. J’ai déjà un grand frère, je n’ai pas besoin d’en faire collection! Je me débrouillerai!

Je me détourne sans attendre. Je m’en veux aussitôt. Ils sont pleins de bonnes intentions et je suis désagréable avec eux. Ils ne réalisent même pas ce qu’ils me font, mais cela ne change rien à ce que je ressens.

Une boule dans la gorge et les larmes aux yeux, je dévore les quelques mètres qui me séparent de la nouvelle vie que je désire me créer. Je passe la porte métallique, puis traverse le pont qui surplombe un genre de douve asséchée. C’est quand même étrange comme endroit.

Je pénètre enfin dans l’université elle-même. Les étudiants se bousculent dans la grande cour pavée. De grands bacs sont disposés ça et là pour amener un peu de verdure dans cette enceinte de pierre. La boule de ma gorge tombe lourdement dans mon estomac quand je réalise que je n’ai aucune idée de l’endroit où je dois me rendre.

Je regarde autour de moi. Ma respiration s’accélère. Je panique et regrette amèrement de ne pas avoir accepté la proposition de Liam. Je me retourne, dans l’espoir qu’ils m’aient suivie. Personne. Je me sens mal, oppressée et j’ai chaud. La sueur perle sur mon front. Je regarde de tous les côtés, il doit bien y avoir une pancarte, quelque chose!

Près de moi, je remarque un grande blond qui a l’air aussi perdu que moi. Lui aussi tourne la tête de droite à gauche, ses yeux noirs exorbités. Je m’avance vers lui.

  • Salut. Tu cherches l’endroit pour t’inscrire en psycho?
  • Oui, répond-il, visiblement soulagé. Tu sais où c’est?
  • Non, mais on va bien trouver!

En n’étant plus seule, ma bonne humeur revient et l’air envahit mes poumons avec plus de facilité.

  • Mia. Ravie de te rencontrer.

Un sourire timide étire ses lèvres.

  • Romain. Enchanté.

Ensemble, nous fouillons et trouvons des pancartes nous indiquant le chemin à suivre dans le méandre des bâtiments. Nous ne croisons aucun professeur, mais quelques jeunes qui accueillent les nouveaux venus.

  • Pardon! S’exclame Romain en en attrapant un au passage. Pour les inscriptions en psycho, c’est par où?
  • Euh… marmonne une fille qui semble aussi perdue que nous.

Elle se tourne en tous sens et fini par nous guider vers l’un des attroupements. Soulagés, nous la suivons et nous joignons à la file des étudiants qui serpente depuis une grande salle jusque dans la cour.

Mon téléphone vibre dans ma poche.

Zek : coucou ma belle, je vérifie seulement que tout va bien. Tu as trouvé les inscriptions? Ne sois pas surprise par contre, c’est toi qui va choisir tes UE. Si tu as besoin de nous, un mot et on arrive.

Effectivement, la fac, c’est assez déstabilisant. Ce sont des étudiants qui font les inscriptions, tu te débrouilles plus ou moins pour faire ton emploi du temps en choisissant les cours que tu va suivre (nous sommes plusieurs à nous être arraché les cheveux pour réussir à faire rentrer les cours de notre choix, enfin, quand ils n’étaient pas déjà complets) et tu n’es pas vraiment guidé. Heureusement, c’est une situation qui pousse à s’entraider, et c’est à cinq que nous quittons cet enfer en riant de frustration mais aussi de soulagement. C’est fait!

Après ce casse-tête, je me sens épuisée et affamée. Je me tourne vers mes condisciples et les interroge.

  • Est-ce que vous connaissez un peu Vauban? J’aimerai bien manger quelque chose. Il doit y avoir une cafétéria ou quelque chose non?
  • Aucune idée, répond Romain en haussant les épaules.
  • On va bien trouver, affirme une fille dont j’ai oublié le nom. Sinon il suffira de demander.

Je glisse ma main dans ma poche. Mon téléphone me brûle les doigts. Il me suffirait de quelques mots et de cliquer sur le bouton envoyer… Je n’ai pas envie de me prendre encore la tête à fouiller, même si cette fac n’est pas très grande.

  • On peut aussi aller à la Coupole? suggère un autre de mes compagnons.
  • Mais on ne connaîtra jamais la fac si on fait ça! Pleurniche ma première interlocutrice.

Sa voix a des accents nasillards désagréable. Elle couine et insiste. Je crois que je ne la garderai pas longtemps dans mon cercle d’amis celle-là… J’essaie de me rappeler ce qu’elle a choisi comme options en priant pour que nous n’ayons pas tous nos cours ensemble.

Devant le ton qui monte, je cède.

  • Je connais quelqu’un qui peut nous guider. Vous voulez que je l’appelle?
  • Par pitié, oui! grogne Romain.

Lui aussi en a assez des geignements de la fille. Il fait mine de se boucher les oreilles et lève les yeux au ciel. Je sorts mon téléphone et pianote à toute allure.

Mia : Coucou, ça va, merci. Les inscriptions, c’est ok. Par contre, si ta proposition tient toujours, mes copains et moi on aimerait bien faire une visite guidée de la fac et savoir où acheter un truc à manger.

La réponse ne se fait pas attendre. Au bout de quelques secondes, mon téléphone vibre.

Zek : Ou es-tu?

Mia : Près de l’entrée.

Zek : On arrive.

Je scrute les alentours et aperçois Zek et Liam qui sortent par une porte en face de nous, de l’autre côté de la cour et qui se dirigent droit vers moi. Est-ce un sourire satisfait qui flotte sur leurs lèvres?

Quand la mâchoire de mes compagnes s’effondre et que leurs yeux écarquillés dévorent les amis de mon frère, je réalise que j’ai peut-être commis une erreur. Liam est grand et élancé, il doit dépasser le mètre quatre-vingt. Ses cheveux chatains décoiffés, son vieux jean entre classique et rebel, et son expression mutine pourraient en faire craquer plus d’une. Zek est plus petit, mais sa peau cuivrée et ses cheveux noirs lui confèrent un charme exotique. Il est plus à la mode avec un petit côté bobo ou artiste avec son gilets boutonné sur son t-shirt. Avec ces deux-là dans mon entourage, je risque de ne pas réussir à me débarrasser de la voix de crécelle…

  • Salut, lance Zek à la cantonade. Moi c’est Zekaria et lui, Liam.
  • Salut ! repondent mes compagnes en battant des cils.
  • On vous fait faire le tour du propriétaire? propose mon ami, avenant, comme toujours.

Zek et Liam nous expliquent que la porte par laquelle ils sont arrivés mène à la bibliothèque universitaire (la BU) à l’étage. Ils nous montrent l’administration avec l’accueil, près de l’entrée de l’université, les amphis, des deux côtés de la cour et même en-dessous! Et enfin, ils nous emmène à la cafétéria, au fond, près d’un parking.

Je m’écroule sur une chaise avec un pain au chocolat et écoute distraitement les discussions de mes camarades. Il n’est même pas midi, et je me sens complètement vidée. Je mastique ma viennoiserie sans y penser et regarde Zek et Liam. Ils n’ont fait aucune réflexion au sujet des garçons qui m’accompagnent. Ils ne se sont pas imposés quand j’ai refusé leur aide. Ils sont venu me soutenir dès que j’en ai eu besoin. Finalement, cette année ne sera peut-être pas si catastrophique.

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