6. Mise au point

12 minutes de lecture

L’après-midi en compagnie d’Oriane est le meilleur des antidépresseurs. Je pensais que Hyas nous laisserait après le repas, mais au contraire, il nous a accompagnées dans tous les magasins. Il a fait le clown, comme d’habitude, donnant son avis sur tout et n’importe quoi, même sur la lingerie! Réussir à gêner ce mec, c’est mission impossible. C’est tellement rafraîchissant.

Grâce à eux, j’ai fait le vide. Les jours passent, mon suçon a disparu et j’ai chassé mon inconnu de mon esprit. Enfin, presque. Les choses reviennent à la normale et je reprends goût à ma vie d’étudiante. Je m’amuse avec Romain, Abdel et Victoria. Grâce à leur complicité, j'évite autant que possible Liam et Zek.

Je respire à nouveau.

— Mia, on fait le travail de recherche ensemble? demande Romain et sortant de TD (travaux dirigés).

— Bien sûr! Tu as une idée pour le sujet? Parce que moi, je sèche complet.

Je me tourne vers Vic et Abdel.

— Vous allez faire le votre ensemble? Vous avez déjà un sujet?

— Franchement je ne sais pas encore, répond Victoria.

— On peut aller réfléchir à la bibliothèque si ça vous dit, propose Romain.

Victoria et Abdel refusent. Nous nous saluons et Romain et moi nous dirigeons vers la bibliothèque.

— Tu crois qu’ils sortent ensemble? me demande mon binôme.

Je ris.

— Je me posais la même question! Tu as remarqué aussi comme ils s’éclipsent toujours ensemble?

J’attrape sa main et me serre contre lui.

— Je ne peux pas vivre sans toi, Abdel!

Nous nous esclaffons, alors que mon œil est attiré par un étudiant assis sur un muret, les bras ballants et la tête basse. Il semble abattu. Un étau se referme sur ma poitrine.

C’est Liam. Il ne regarde pas vers moi. Je devrais l’éviter.

— Romain, ça t’embête si on bosse un autre jour?

— Mais non, Bella. Tu veux que je reste avec toi?

Il est vraiment adorable, mais je refuse. Je n’ai jamais vu Liam si démoralisé et je ne pense pas que la présence de mon ami serait bénéfique.

Avec un signe d’au revoir pour Romain, je m’approche de Liam et pose une main sur son épaule. Il se raidit et baisse encore davantage la tête. Je me penche vers lui et murmure:

— Liam? Tu vas bien?

Il m’ignore. J’attrape son menton et l’oblige à lever le visage vers moi. Je rencontre ses yeux rougis. Il se libère immédiatement et fuit mon regard. Est-ce qu’il a pleuré? Est-il seulement capable de pleurer? Ou est-ce qu’il manque de sommeil? Il a l’air si désemparé, que je le prends dans mes bras.

— Pitié, lache-t-il contre mon sein. Arrête de me torturer.

Le torturer? Moi? On ne s’est pas croisé depuis des jours…

— Pardon? Dis-je en le lâchant. Qu’est-ce que j’ai fait?

— Rien, soupire-t-il. Laisse-moi tranquille.

Il se lève, passe son sac sur l’épaule et se dirige vers la sortie de l’université. Je le suis.

— Liam, qu’est-ce qui se passe? Qu’est-ce que j’ai fait?

— Je t’ai dit de me laisser!

Il est en colère. Il ne se tourne même pas vers moi et continue sa route, courbé comme s’il avait tout le poids du monde sur les épaules. Je le poursuis et l’attrape par le bras.

— S’il te plaît! Dis-moi ce qui t’arrive. Je peux t’aider?

Il me jette un regard noir et, sans un mot, se dégage et passe la grande porte en direction de la route. Je ne comprends pas. Aussi loin que remonte ma mémoire, je ne l’ai jamais vu dans cet état.

Est-ce ma faute? Comment pourrais-je le torturer? A moins qu’il ait murmuré ces paroles pour lui-même, à destination de quelqu’un d’autre? Je l’avais mis en colère, certes, mais nous nous sommes disputés des dizaines de fois. Qu’est-ce qui a changé?

Ah oui… Ça…

Je cours pour le rattraper. Il est dans le petit parc, sur la place. Je lui saisis le bras.

— C’est à cause de l’autre jour?

Il ne répond pas, ne se tourne pas vers moi, il m’ignore.

— Écoute, je suis désolée, j’ai dis des choses vulgaires…

C’est le moins qu’on puisse dire.

— J’ai exagéré, mais tu as commencé à sous-entendre que… Enfin… Et puis…

Mon cerveau part complètement en vrille. Je n’arrive plus à aligner deux mots. Je me sens coupable, mais en même temps j’étais dans mon bon droit! Je suis allée trop loin, mais c’est lui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas!

— Liam… Ça te perturbe tant que ça l’idée que… que j’ai déjà eu desgarçons dans mon lit?

Il se contracte. Ses poings se serrent.

— Ton frère est au courant? marmotte-t-il toujours immobile.

— Euh… Non. J’évite le sujet de ma vie sexuelle avec mon frère, figure-toi. Et, à vrai dire, je me serais bien passée d’en parler avec toi. En plus, si je l’avais fait, il m’aurait enfermée et fait fuir mes petits copains. Tu sais comment il est…

— Maintenant, il va le savoir.

— Pardon? Tu ne feras pas ça!

Je m’étouffe à moitié. La peur me serre les entrailles. Je fixe l’arrière de son crâne. Si Kurt est au courant, il va piquer une de ces crises… il ne me laissera plus jamais sortir, même avec de simples amis…

— Je vais me gêner! répond Liam sur un ton dur. Il m’aidera peut-être à me sortir ces horreurs de la tête!

— Quelles horreurs?

— Qu’est-ce tu crois? demande-t-il en se retournant si brusquement que je manque de tomber et le lache. Depuis que tu m’as balancé ça, à chaque fois que je te vois avec un mec, je ne peux pas m’empêcher de t’imaginer à genoux, en train de lui sucer la bite! Ça me tue!

Il détourne le regard, passe une main dans ses cheveux et reprend dans un soupir..

— Mia, je te connais depuis que t’es gamine. J’étais là alors que t’étais plate comme une limande et que tu jouais aux barbies. T’es la petite sœur de mon meilleur pote… T’imagines pas ce que ça me fait…

— Eh bien, arrête d’y penser. C’est tout.

— Si tu crois que c’est facile, ricane-t-il.

— Je suis désolée de t’avoir dit ça, mais tu n’as pas à te mêler de mes affaires. J’embrasse qui je veux. Si j’ai envie d’embrasser ce Yann, je l’embrasserai. Et si j’ai envie d’aller plus loin… Eh bien, ça ne te regarde pas. En plus, tu as été insultant envers moi. J’avais des raisons d’être en colère.Alors si ma vie sexuelle te perturbe, n’y pense pas!

— Ah! hurle-t-il en plaquant ses mains sur ses oreilles. Arrête de me parler de « vie sexuelle »! Ça ne devrait même pas exister!

— Non, mais tu t’entends? Tu voudrais quoi? Que je sois nonne?

— Franchement? Ouais! Ça me faciliterait la vie!

Le ton monte.

— Et ma vie a moi? Je fais ce que je veux de mon corps! Arrête d’y penser, bordel! Même ta mère a une vie sexuelle tu sais? Sinon tu ne serais pas là! Et pourtant tu n’y penses pas chaque fois que tu la regarde, si?

— Mais c'est différent!

— Non! Ça ne l’est pas!

— Oh! Si! C’est carrément différent!

— En quoi?

— Tu as couché avec d’autres mecs! crache-t-il hors de lui.

— Mais putain! En quoi ça te regarde! je hurle à mon tour, inconsciente des regards des badauds. Je n’ai couché avec personne depuis…

Soudain, les mots de Liam résonnent à l’intérieur de mon crâne pour atteindre ma conscience. «Tu as couché avec d’autres mecs! » D’autres mecs? D’autres mecs… que qui? Lui? D’autres mecs que Liam? L’un des meilleurs amis de mon frère? Celui qui m’embête depuis des années? Celui qui s’est toujours comporté comme mon grand frère?

Je ne sais plus où j'en suis. D’abord Zek et maintenant Liam. Est-ce que je me fais des idées toute seule? Est-ce possible que Liam ressente quelque chose pour moi?

Je n’arrive plus à réfléchir.

— T’as raison, ronchonne l’ami de mon frère, ça ne me regarde pas.

J’ai du mal à respirer. Je dois en avoir le cœur net.

— Liam? Qu’est-ce que ça veut dire?

Il fuit mon regard.

— RIen. Si Kurt t’avait vue avec un de ces imbéciles, il leur aurait cassé les dents!

Mon frère? C’est mon frère qui le tracasse? J’ai donc mal interprété? J’ignore si je suis déçue ou soulagée. Liam cherche donc à contrôler ma vie sexuelle parce que ça ne plairait pas à Kurt. Il est sérieux là? Mon sang bouillonne, je halète, je suis en rage!

— Tu n’es pas mon frère Liam! Et même lui n’a pas à décider avec qui je couche ou non! Je fais ce que je veux et ni toi, ni lui n’avez rien à y redire.

— Et quoi alors? Tu veux retrouver le mec avec qui tu étais tout à l’heure et lui lécher les couilles?

Ma main me démange. Je me retiens de le gifler.

— Mais putain! Si c’est ce que j’ai envie de faire, je le ferais!

Il serre tellement les poings que ses jointures sont blanches. Il se détourne. Je fais la même chose. Par pure provocation, j’attrape mon portable. Il veut jouer au grand frère surprotecteur? Eh bien, il va en avoir pour son grade. Je cherche le numéro de Romain et m’éloigne en direction de la Coupole, le centre commercial tout proche.

— Allô? Romain? Désolée de t’avoir planté tout à l’heure. Tu es toujours dans le coin?

Je m'arrête. Il n’est pas encore parti. Parfait. Liam n’a qu’à se faire se faire des films et moi je vais pouvoir avancer mon travail de recherche. Ce gros dégueulasse n’a qu’à me prendre pour une pute si ça l’amuse. Il n’avait qu’à se mêler des ses affaire.

— Ok, alors on se rejoint…

Une ombre orageuse plane sur moi. Mon téléphone m’est arraché de la main.

— Désolé, lance la voix de Liam emplie d’une colère froide, Mia n’est plus disponible.

Pause. Je suis effarée, choquée, sidérée! Il a osé! Liam écarquille les yeux, s’assoit lourdement puis se passe la main sur le visage.

— C’est ça, une autre fois

Il me rend mon téléphone et laisse retomber ses bras et sa tête. Il semble épuisé.

— Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu le voyais pour bosser, murmure-t-il sans croiser mon regard accusateur.

— Parce que ça ne te regarde pas. Tu veux me prendre pour une salope? C’est toi que ça regarde. Je n’ai pas à changer ma vie en fonction de Monsieur, ni à me justifier!

Il me regarde, effaré. La panique se lit dans ses prunelles noisette.

— Je ne t’ai jamais prise pour une salope!

— Ah bon? Alors c’était très bien imité!

— Je suis désolé, bredouille-t-il les yeux rougis. Je ne suis qu’un con.

— C’est vrai. Un GROS con.

Un sourire timide étire ses lèvres pendant une seconde.

— C’est juste que… Je ne veux pas que tu ailles avec n’importe qui. Tu vaux mieux que ça.

Il a l’air si fragile. La culpabilité pèse sur ses épaules. Je me radoucis un peu.

— C’est gentil de vouloir me protéger, mais ça ne te donne aucun droit sur moi. Si je me trompe de mec, alors tant pis pour moi.

Je m’assois à côté de lui et pose ma main sur son avant-bras.

— Si tu veux faire quelque chose pour moi, sois là si je me trompe. Sois là pour m’éviter un accident quand je suis bourrée. Sois là si je demande de l’aide. Et, éventuellement, si on m’agresse et que je n’arrive pas à m’en débarrasser seule. Je n’ai pas besoin de plus. Ce n’est pas à toi de décider si j’ai besoin d’aide ou de protection, c’est à moi.

Je pointe un doigt menaçant sous son nez.

— Si tu ose à nouveau essayer de prendre mon téléphone ou de parler à ma place, je te brise les doigts!

Il sourit. Pas son sourire franc, juste un demi-sourire las. Il semble tellement tourmenté. Je m’en veux de lui faire subir ça, pourtant, je ne retirerai rien. Combien de temps a-t-il tourné tout ça dans sa tête? Il me fait mal au coeur. C’est lui qui a besoin d’aide.

Sans ajouter un mot, je pose ma tête sur son épaule. Je veux juste qu’il sache que je suis là pour lui.

Nous restons ainsi quelques minutes.

— Mia… reprend-il d’un ton hésitant. Ne te vexe surtout pas…

Je suis déjà inquiète.

— …mais j’ai une question à te poser et ça ne va pas te plaire.

Je pensais qu’il avait compris, mais visiblement, il va recommencer… Sur la défensive, je ne dis rien. J’attends qu’il s’exprime. Il soupire.

— Ok… Je… Ne te fâche pas! Ce n’était pas fait exprès mais… je sais que tu es venue à Halloween et…

Oh… non…

— … je sais qu’il s’est passé quelque chose…

Je me raidis. Jusqu’à quel point est-il au courant?

— … dans le cellier.

Bingo! Je suis dans la merde. Je sens mes joues devenir brûlantes. Je dois être rouge comme une pivoine.

— C’est lui qui t’en a parlé?

— Non! Enfin… en quelque sorte. Les gars savaient qu’il avait joué à sept minutes au paradis, alors ils l’ont charrié.

— Et il s’est empressé de tout déballer pour se faire mousser! L’enfoiré!

— Pas du tout! Au contraire, il est resté très évasif, mais éviter le sujet comme ça, c’était presque un aveu.

J’ouvre la bouche, mais il lève un doigt pour me faire taire.

— Je te jure que ce n’était pas par rapport à toi. Personne ne savait que c’était toi la fille. Et personne d’autre ne le saura.

Je suis soulagée, mais j’ai une envie irrépressible de courir me cacher dans ma grotte et de ne plus jamais en sortir. Il doit vraiment penser que je suis une fille facile…

— Je voulais juste savoir une chose. J’ai bien compris que ça ne me regarde pas. Tu as parfaitement le droit de ne pas me répondre. Mais j’en peux plus… Il faut que je sache pour arrêter de me prendre la tête et de me comporter comme un connard! Est-ce que…

Il hesite. J’attends.

— Est-ce que c’est dans tes habitudes?

J’ouvre la bouche alors que je ne sais pas quoi dire. Liam lève à nouveau un doigt.

— Je ne veux surtout pas de détail! Juste un « oui » ou un « non ». J’ai besoin de savoir si je dois me préparer à ce genre de nouvelles.

— Et tu vas encore me dire d’aller « lécher les couilles » de tout le monde si je dis oui? Ou tu vas m’enfermer chaque soir de fête? lâché-je avec hargne.

Liam se décompose. Je souffle un grand coup et reprends plus calmement.

— Non. Même si ce ne sont pas tes affaires.

Son visage s’illumine. A mon tour, je lève un doigt pour signaler que je n’ai pas terminé.

— Ce n’est pas dans mes habitudes, mais je ne peux pas te promettre que ça n’arrivera plus.

Il se pétrifie.

— Écoute, c’était juste un jeu et pas n’importe où: chez vous. Dans ce contexte, si quelqu’un me plait, ça pourrait arriver. Ton ami et moi sommes majeurs et consentants.

— Tu n’es pas majeure, réplique-y-il, acerbe.

— Ne joue pas sur les mots! Je le serai dans une semaine!

Il hausse les épaules en signe de reddition.

— Bref, c’était le jeu et il était attirant, alors…

Les souvenirs de la soirée s’imposent à moi. Ma respiration s’accélère et des papillons explosent dans mon ventre. Je croyais l’avoir chassé de mes pensées, mais mon corps vibre encore de ses caresses. Il m’a complètement faite chavirer. Malgré les semaines écoulées, j’ai encore envie de mon Zorro. Peut-être que c’est l’idée de m’offrir à un inconnu? Je repense à son torse, à sa peau lisse sous mes doigts, à ses lèvres avides… Non, c’est lui qui me fait cet effet. Je bous intérieurement.

— Liam…

Tiré de ses pensées, il sursaute.

— Tu m’as posé une question intime et j’y ai répondu. Donc tu me dois, toi aussi, une réponse. Qui était dans ce cellier avec moi?

Sa réponse fuse.

— Pas question! Demande-moi n’importe quoi d’autre, mais pas ça.

Pourquoi réagit-il ainsi? Qu’est-ce que ça signifie? Je souffle.

— N’importe quoi d’autre hein? Et à la prochaine question, tu me diras que tu ne peux pas et ainsi de suite.

Il devient sérieux et me tend son petit doigt.

— Je te promets que si ta question ne concerne pas un partenaire sexuel potentiel, j’y répondrai.

Je le regarde avec méfiance, puis tends mon propre auriculaire.

— Tu as intérêt à tenir parole. Je garde ce droit pour plus tard. Mais un jour, je trouverai une question et tu devras y répondre.

— Ok.

Annotations

Vous aimez lire Solveig L’Heveder ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0