8. Le retour de l'homme masqué

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Sur la piste de danse, les corps lovés les uns contre les autres chaloupent au rythme lancinant de la musique. Je réalise que c’est un slow. Les couples s’embrassent, les mains se baladent sur les corps enlacés.

Batman ne me serre pas, il ne m’oblige pas à le suivre. Il me guide, il slalome entre les danseurs. Ses doigts sont si légers sur les miens, qu’il suffirait que je m’arrête pour m’en libérer. Je ne le fais pas. Je le suis, tremblante, désireuse de le sentir contre moi.

Mon cœur palpite. Son masque me cache ses cheveux et la pénombre dissimule ses yeux. Impossible de devoir qui il est. Est-ce seulement le même homme que la dernière fois? Il s’arrête et se tourne vers moi. Une bouffée de chaleur nait dans le bas de mon ventre et remonte jusqu’à mes jours. Tout mon être me hurle que c’est lui et que je le veux une nouvelle fois.

Avec délicatesse, il m’attire contre son torse, puis il attend. Je sens son regard braqué sur moi. Je place mes bras sur ses épaules. Est-ce le costume ou est-il plus musclé qu’il n’en a l’air?

Ses mains glissent le long de mon dos jusqu’à ma taille. Un picotement brûlant s’attarde à la suite de ses doigts. J’en ai la chair de poule. D’un même mouvement, nous nous balançons, aveugles à ce qui nous entoure. Cette complicité, cette attirance magnétique, c’est forcément lui.

— C’est toi n’est-ce pas? Tu as joué à sept minutes au paradis avec moi à Halloween.

Je le sens qui hésite. Il finit par acquiescer d’un signe de tête.

— ce n’est pas du jeu de changer de costume monsieur Zorro.

Ses lèvres s’étirent en un sourire exquis. Si seulement je voyais ce sourire se communiquer à ses yeux, je suis certaine que je le reconnaîtrais. Je ne distingue de lui que son menton et sa bouche, rose et pleine. Je me demande si elle est aussi douce que dans mon souvenir ou si ma mémoire a commencé à l’enjoliver.

Je n’arrive même pas à voir par-dessus son épaule. Je me mords la lèvre. Je veux le goûter à nouveau, comparer mes émotions à ce dont je me rappelle. Je serré sa nuque et me hisse sur demi-pointes pour déposer un baiser sur ses lèvres.

D’un geste vif, il m’évite et secoue la tête. Je me pétrifie, le cœur serré. Je me sens rejetée. Je ne comprends plus. S’il est venu me chercher, c’est pourtant qu’il voulait me revoir lui aussi. Mes yeux me piquent, je les baisse pour cacher mon trouble.

— Pourquoi?

Ma voix est à peine plus forte qu’un murmure. Pourtant il l’entend. Il plaque son front sur le mien, soupire et répond sur le même ton.

— Ton frère.

Le couperet s’abat, c’est bien un ami de Kurt. Ce sourire qui me parle, cette voix transformée, ces mains qui me touchent, appartiennent a quelqu’un que je connais. Les seuls amis de Kurt que je côtoie assez pour qu’ils me soient familiers, ce sont les plus proches. La bande. Yanis. Hyas. Liam. Zek. L’un d’eux se trouve en face de moi. L’un d’eux m’a embrassée, passionnément. Et peu importe lequel c’est, il ne le refera probablement jamais.

Si Kurt apprenait qu’il se passait quoi que soit entre un de ses meilleurs amis et moi, il le tuerait. Pas au sens propre, bien sûr, mais il se sentirait trahi. Il le renierait et le rouerait de coups… Leur amitié serait brisée à jamais.

J’arrête de danser et baisse la tête.

— Tu n’aurais pas dû venir me voir…

Sans lui laisser le temps de réagir, je l’embrasse sur la joue et le repousse.

— Au revoir.

A-t-il entendu le sanglot contenu dans ma voix? Je m’éloigne, contrite. J’étouffe, j’ai besoin d’air. Je ne suis pas en colère, je le comprends. Il ne va pas briser une amitié profonde pour une vague attirance. Sauf que pour moi, c’est plus que ça. C’est viscéral. Sa façon de poser ses mains sur moi, de m’embrasser, comme s’il me désirait plus que tout. Ça me met dans un état indescriptible. Mon ventre se contracte à cette simple évocation. Le besoin de le sentir contre moi m’oppresse.

J'aperçois Oriane sur la piste. Elle rougit dans les bras de son amoureux. J’ai besoin d’elle, mais je ne vais pas l’embêter. Elle a de la chance d’avoir trouvé un garçon sympa. Si je lui demandais, elle ferait comme mon crush masqué, elle l’abandonnerait pour moi. C’est ma meilleure amie.

Mais je ne suis plus une gamine. Inutile que nous soyons deux à broyer du noir à cause de la distance d’un homme. Je suis contente qu’une de nous passe une bonne soirée. Je vais bien trouver quelqu’un avec qui discuter.

Je me dirige vers le jardin. Je devine des couples dans les recoins sombres, mais le salon de jardin, juste devant la baie vitrée, est vide. Trop exposé. Je m’y affale, épuisée. Je ne reverrai plus jamais mon crush. Et en même temps, je le verrai régulièrement. La question de son identité va-t-elle me hanter toute ma vie? Est-ce que je pourrai encore regarder les membres de la bande sans penser à lui? Sans me demander si ce sont ces lèvres qui se sont unies aux miennes?

Je pousse un long soupire et un rire me répond. Romain s’avance avec deux verres de punch. Il m’en tend un.

— Arrangé ? je demande.

— Évidemment! répond mon camarade. Alors, tu es seule?

— Comme tu vois.

— Et ton amoureux masque? m’interroge-t-il.

Je grimace et avale une gorgée de ma boisson avant de répondre

— Décevant…

— Il s’est passé quoi? demanda-t-il en se penchant vers moi. Il ne s’est pas montré où il a fait quelque chose?

— Qu’est-ce qu’il n’a pas fait, tu veux dire.

— Comment ça? Il a été assez stupide pour te laisser filer? Il est aveugle? Tu es ultra sexy en Harley Quinn.

Je minaude avec une voix haut perché face à mon ami déguisé en Joker.

— Merci m’sieur J!

Nous rions tous les deux. Je reprends, toujours hilare.

— En vrai, je ne sais pas trop comment je dois le prendre. Je n’ai pas vraiment envie de te dire merci alors que tu ne fais que vanter mon cul dans une tenue de super méchante badass! 

— Oh! Mais tu dois le prendre comme un compliment! Être attirante n’empêche pas d’être intéressante! Sinon je ne traînerais pas avec toi. Et il n’y a pas que ton cul qui est sexy!

Un sourire soulève un coin de sa bouche. Je m’appuie sur sa cuisse pour lui mettre un coup d’épaule.

— Arrête tes conneries, tu veux bien?

Je lève les yeux et mon rire s’étrangle dans ma gorge. J’avale ma propre salive de travers et tousse comme une idiote. Batman, mon Batman, est à quelques mètres. Il se dirige droit vers nous, poings serrés. Romain se fige. Batman me fait signe de le suivre.

Il plaisante? Je n’ai aucune envie de rentrer dans son jeu, ni de ressentir à nouveau cette intense déception que Romain venait juste de me faire oublier. Un peu.

J’avale ce qui reste de mon verre d’une traite, le pose et croise les bras.

— Non, désolée.

Il serre les lèvres. Il respire fort.

— S’il te plaît, murmure-t-il de sa voix faussement rauque.

Il désigne un bosquet sur le côté de la maison. Ce bosquet me faisait envisager baisers et caresses… Je savais pourtant que c’était exclu. La déception laisse place à la colère.

— Quoi? dis-je, cinglante. Finalement, tu veux me bécoter dans un coin? Désolée, mais c’est trop tard.

Il secoue la tête pour refuser et se mord la lèvre. Romain s’écarte de moi, le lâcheur! Pire! Il me pousse vers Batman.

— Je crois que vous avez besoin de discuter. Enfin, si Batman a assez de neurones pour aligner deux mots, ricane mon ami. En même temps, tu n’as peut-être pas besoin de mots. Amusez-vous bien! conclut-il, son demi-sourire à nouveau l’ante sur ses lèvres.

Surpris, mon Batman avait ouvert la bouche. Il finit par la refermer alors que je me lève en maugréant et me dirige vers le bosquet. Je te retiens, Romain. Tu me le paieras.

Je glisse derrière les branche et me retourne, bras toujours croisés. J’ai conscience d’être stupide, mais face à lui, je ne veux pas me mettre à pleurer alors que je comprends pourquoi il me rejeter. La colère est ma dernière ligne de défense. Il faut qu’elle tienne!

Il ne va pas parler, alors autant que je prenne la parole.

— Je suis désolée, mais tu m’énerves.

Aucune réaction.

— J’ai bien compris que tu es pote avec mon frère et que donc, il ne se passera plus rien entre nous.

J’inspire profondément.

— Mais j’en ai envie.

Sa poitrine se soulève plus vite.

— C’est débile. Et purement physique étant donné que tu n’ouvres pas la bouche! Mais j’en ai envie. Tu m’a repoussée, je comprends, mais c’est pas facile à encaisser figure-toi. Du coup, je préférerai que tu gardes tes distances. Que tu reviennes me

Donne l’espoir que tu as changé d’avis… et je ne veux pas être déçue.

— Quelle tirade, chuchotte-t-il.

— Oh! Deux phrases! Méfie-toi, tu vas devenir une vraie pipelette!

— Je suis jaloux, grogne-t-il, du rouge colorant la partie visible de ses joues.

Mon poil se hérisse.

— Ah non!J’ai déjà assez de monde qui se préoccupe de ma vie sexuelle! Donc désolée, Batman, mais il va falloir te décider. Soit tu veux être avec moi, tu retires ce masque et tu fais une croix sur mon frère, soit tu ne veux pas et tu ne t’occupes plus de mes affaires. Tu ne peux pas me laisser de côté et t’énerver si je vois quelqu’un d’autre. En plus c’est Romain! Franchement!

Il secoue la tête. Je distingue à peine ses iris, pourtant, je les sens s’accrocher aux miennes. Elles me consument. Mon cœur rate un batement.

— Il te voit. Belle, intelligente, drôle…

Il se rapproche, m’accule au mur. Il pose une main sur ma joue, l’autre à côté de ma tête.

— … inaccessible.

Il repose son front contre le mien. Je sens son souffle chaud, rapide. Je déglutis avec difficulté. Je tends la main vers lui, avide de son contact. Il recule.

Une pierre tombe au fond de mon estomac. J’ai besoin de lui. Je suis frustrée. Je veux frapper quelque chose. Lui faire mal. Me faire mal. Pleurer. Hurler.

— Ok! J’ai compris!

Je veux me détourner, mais il ne bouge pas. J’ai la haine. J’ai besoin de me défouler. Je pose un doigt menaçant sur sa poitrine.

— Par contre, ne t’avise pas de te mêler de mes affaires! Même si ce que tu vois ne te plaît pas!

Il fronce tellement les sourcils que je les aperçois à la lisière de son masque. Il plaque son autre main en miroir de la première et me bloque contre le mur. Je comprends sa question silencieuse. Tu comptes faire quoi exactement?

— Ce que je vais faire et avec qui, ça ne te regarde pas. Tu as fait ton choix. Maintenant, j’ai besoin de me défouler. Alors laisse-moi passer.

Ses narines sont dilatés. Il respire encore plus vite et semble prêt à mordre.

— Danser ou plus?

— ça ne te regarde pas! Et puis tu m’énerves! C’est de ta faute!

— Ma faute? rétorque-t-il, aussi en colère que moi. Pourquoi?

Le timbre de sa voix change à cause de l’émotion. J’aurai presque pu la reconnaître, mais je ne pense qu’à le fuir. J’ai envie de pleurer. Je veux partir, je veux…

— Pourquoi? répète-t-il, sa voix à présent aussi tranchante que de l’acier.

Il accroche mon regard. Son visage est à quelques centimètres du mien. Je sens son odeur suave. Mes digues cèdent. Je crie presque quand je réponds.

— Parce que je meurs d’envie que tu m’embrasses!

Il écarquille les yeux, puis saisit l’arrière de ma tête pour m’attirer à lui. Empreint de la colère de notre échange, il s’empare brutalement de ma bouche. Mon cœur est prêt à lâcher. Mon souffle s’emballe. Des frissons remontent le long de mon dos.

Aussitôt ses lèvres ont-elles touché les miennes, que ses gestes s’adoucissent. Il approfondit son baiser, se serre contre moi. Sa langue joue sensuellement avec la mienne. Son odeur musquée m’enivre.

Je pose mes mains sur son torse ferme. Ma tête tourne. J’arrive à peine à reprendre ma respiration, mais hors de question de le lâcher. Pourtant, il ne me laisse pas le choix. Il se détache de moi. J’émets un grognement désapprobateur. Il repose son front contre le mien, aussi essoufflé que moi.

— Je ne dois pas… marmonne-t-il.

— On s’en fout.

Je monte sur la pointe des pieds, passe mes bras autour de son cou et presse mes lèvres sur les siennes. Il répond aussitôt à mon baiser, sa main libre glisse sur mon dos et trace un sillon enflammé de mes épaules jusqu’au creux de mes reins.

Je suis frustrée qu’il n’aille pas plus loin. Sans cesser de l’embrasser, j’attrape sa main et la pose plus bas, sur ma fesse. Il gémit contre mes lèvres.

— Tu vas me tuer, se plaint-il dans un souffle.

— Alors je m’en vais?

Je chuchote à son oreille avant d’en mordiller le lobe.

Il m’empoigne fermement et me plaque au mur. Il m'emprisonne, colle son bassin contre le mien. Le regard fiévreux, il enfouit son visage dans mon cou. Je fremis alors qu’il goûte ma peau nue. 

Il insinue sa cuisse entre les miennes et la presse contre mon mont de Vénus. Je retiens un gémissement. Je suis en train de fondre. Prête à m’écrouler, je le sens dur contre moi.

Je suis tellement excitée que je crois que s’il veut aller plus loin, ici, tout de suite, je serai d’accord.

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