Le dragon déchu
Le dragon déchu ~
Un grand corps dans l'obscurité, une mécanique abandonnée. La poussière scintille dans l'air doré, le sol est noyé dans un noir de velours. Le silence résonne entre les quatre murs. L'espoir déçu glisse, goutte à goutte, le long des écailles et des flancs de la puissante carcasse. Sur le sol rongé par le murmure de la mousse, de longs nœuds de serpents s'enroulent, coulés dans le métal et nappés de rouille. Ils convergent vers leur maître, ce squelette d'acier à l'armure de fer, ce colosse en pièces détachées, dont les ailes fracassées hurlent leur agonie. Des notes perdues dansent au fond de cette gorge titanesque ; un rêve de ciel et de vent teinte les plumes de métal tordu. Des coulées de sang ennemi pleurent encore le long des cornes martelées. Les échos de la guerre, les chocs des épées, le sifflement de l'air glacé, la folle euphorie du combat. Tout cela vibre encore dans le cœur, sous les plaques de métal, sous les os et mécanismes disloqués. Le cœur, cette bonne vieille mécanique d'horloger, dont les ressorts tiennent bon, dont les écrous ne veulent lâcher prise et serrent à en hurler, dont les veines de bois charrient encore leur lot de vie et d'envies.
Et tandis que dans ce cœur énorme les rouages continuent de brasser les souvenirs et le mal, tandis que la rouille ricane face à l'armure que rien n'aurait ébranlé jadis, tandis que la longue gueule caparaçonnée embrasse le sol dans un rictus désarticulé, l'antique titan reste là, dans cet entrepôt branlant, caché aux yeux du monde. Vestige abandonné, lourde marionnette endormie que le maître a cassée.
Ne restent que ce cœur au fond de ce squelette, et ces grands yeux vides aux prunelles brisées.
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