VIII [corrigé]

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À la faveur du crépuscule du deuxième jour, l’Étranger et Anna aperçurent les contours d’une maison gagnée par les lierres que des hêtres vertigineux semblaient étouffer. Felerive, enfin.

Assiégé par une épaisse forêt, le village se tenait au pied d’une colline. Colline qui justifiait l’existence de cette communauté relativement prospère au beau milieu des bois : à partir d’anciennes mines Agides, les habitants avaient élargi les tunnels et trouvé de nouvelles veines de fer, d’argent et de cuivre. De ces ressources abondantes dépendaient bon nombre de villes et villages plus ou moins éloignés, parmi lesquels figuraient Sigurd et Val-de-Seuil.

Une pluie fine, mais glaciale accompagnait leur arrivée, dans une ambiance lugubre. Lorsqu’ils passèrent les premières habitations aux rideaux tirés, Anna eut la certitude que quelque chose clochait. Sur la place du village, déserte, des barricades de fortunes se dressaient agressivement comme pour protéger le minaret central d’une menace invisible.

Anna stoppa la carriole dans l’ombre étirée de la tour. Personne ne vint.

Seul le bruissement de la brise dans les branches accueillit le duo.

La jeune femme n’osa émettre le moindre son. Elle demeurait aussi silencieuse que son comparse, spectatrice d’un décor oppressant.

Finalement, un homme sortit d’une bâtisse en bois dont la porte grinça avec écho. Il était mince, le teint pâle, pas très grand avec une calvitie bien avancée pour son âge.

— Sebastian ? demanda Anna en le dévisageant.

— C’est bien moi, c’est bien moi, oui. Je vous souhaiterais volontiers la bienvenue, mais ça serait être malhonnête.

Il regarda à sa droite, puis à sa gauche, et avança prudemment vers le chariot.

— Sebastian, qu’est-ce qu’il se passe ici ? Pourquoi...

Anna ne termina pas sa phrase. Des villageois épiaient par leurs fenêtres le trio sur l’esplanade. Ils semblaient non pas méfiants, mais inquiets pour eux.

Sebastian baissa les yeux et joignit ses mains comme pour se rassurer lui-même :

— Écoutez. Une menace pèse sur ce village. Repartez d’où vous venez, mais faites-le vite, ou venez trouver refuge chez moi, mais il ne faut pas traîner ici.

Anna capta le regard de l’Étranger et y discerna la même peur qui naissait dans son ventre. Il prit la parole :

— Quoiqu’il se passe ici, nous ne ferons pas demi-tour. Attachons les chevaux et rentrons chez vous. J’aimerais comprendre...

— Comme vous voudrez. Attelez vos montures à la barre, là-bas. Ils ne craignent, rien, la bête ne les remarquera même pas...

— La bête ? bafouilla le jeune homme.

La main d’Anna serra le pommeau du sabre qui pendait à sa ceinture. Elle qui n’en voulait initialement pas y trouvait une forme de réconfort, de contenance pour ne pas céder à l’angoisse palpable.

— Oui, la bête. Allez, faites vite, la nuit arrive.

Sans attendre, Sebastian regagna au petit pas la maison dont il était sorti. Du coin de l’œil, Anna le vit se saisir d’une lance qu’il avait dû poser contre le linteau de la porte.

Le duo s’empressa de s’occuper des chevaux. L’angoisse se faisait de plus en plus pesante dans les tripes d’Anna. Et l’épaisse brume qui l’empêchait de distinguer le bout de ses bottes n’aidait en rien.

— Quel étrange brouillard, constata-t-elle.

— Dépêchons-nous, fit l’Étranger à voix basse. Ça n’a rien de naturel...

Les deux compagnons rejoignirent la maisonnée. Sitôt à l’intérieur, Sebastian referma sur eux la porte renforcée de planches de bois clouées de manière chaotique.

— Non, rien de naturel en effet, renchérit-il. Cela fait bientôt une semaine maintenant que cela a commencé. Pas toutes les nuits. Uniquement les plus sombres, quand il pleut ou que l’orage menace.

» Une créature des enfers attaque le village et enlève un enfant. Uniquement un enfant. Mais si une personne tente de l’en empêcher… Hé bien disons que notre cimetière se remplit plus vite qu’il ne le devrait.

Il s’assit sur un tabouret branlant et reprit en chuchotant :

— Certains ont bien tenté de fuir le village. Mais on finit toujours par retrouver leurs montures et le corps des parents, dans les bois.

— À quoi ressemble cette créature ? demanda l’Étranger, les sourcils froncés. Qu’avez-vous tenté pour l’arrêter ?

Sebastian hésita. Ses mains se mirent à trembler de manière perceptible. Il répondit la voix enrouée :

— Personne ne l’a jamais vue. Du moins pas en entier. Cette brume, elle précède son arrivée d’une paire d’heures, parfois moins. Elle se déplace dedans comme si elle n’avait pas besoin d’y voir. On a juste aperçu des griffes longues comme un avant-bras. On a placé des pièges à loups, tiré dessus avec des arcs. Le bon Guy est même descendu à Sigurd acheter une arbalète, mais rien n’y fait. On retrouve nos projectiles sur le sol quand le brouillard s’en va.

» La garde de Sigurd nous ignore complètement. Ils ne nous prennent pas au sérieux...

— Et les enfants, où sont-ils ? questionna Anna qui tentait de garder son calme autant que possible.

— Là aussi nous avons essayé des ruses. Les enfermer dans une cave, les rassembler, les séparer… Mais rien n’y fait. À chaque fois la créature force le passage et en enlève un, et un seul. On entend ses cris s’enfoncer dans la forêt.

Dehors, le vent se mit à souffler, faisant grincer la baraque, mais sans chasser le brouillard qui devait maintenant monter jusqu’à la taille d’un adulte. L’air devint encore plus oppressant, irrespirable.

Puis il y eut un bruit grave, comme une sinistre prière. Un son constant sur une seule note, seulement perturbé par le hennissement paniqué des chevaux.

— La voilà... elle arrive !

Le bourgmestre Sebastian hurla ces mots, le visage déformé par la terreur. Il se précipita à la seule fenêtre non condamnée de sa maison, scrutant au-dehors avec frénésie. Dans un même mouvement, l’Étranger et Anna mirent au clair leur lame respective. Elle posa son arc et une paire de flèches sur le tabouret, à portée de main.

Le bruit s’intensifiait. Anna crut entendre des tambours, mais il eut été plus probable que ce fut son propre cœur qui s’emballait à mesure que le terrifiant soupir résonnait dans son crâne.

Puis le bruit s’évanouit, laissant place à un silence répugnant. Soudain, la porte du bourgmestre vola en éclat comme si tous ses renforts n’étaient que de la paille. La brume s’engouffra dans la maison et gravit l’unique escalier, tel un serpent de nuage. Sebastian sauta sur les premières marches de l’escalier, sa lance dirigée vers le trou béant du seuil de sa maison.

Anna ne vit ni pourquoi ni comment, mais l’homme fut brutalement jeté dans les airs, désarticulé, fantoche. Une forme abstraite se faufila à travers la brume et grimpa l’escalier.

Tétanisée, elle ne put réagir. Au contraire de l’Étranger qui récupéra la lance et se jeta après la chose.

À l’étage, il y eut des cris. Ceux d’un homme, d’abord, puis d’une femme. Enfin, la symphonie se clôt sur les pleurs d’un enfant que l’on arrachait à sa mère.

La même forme repassa devant Anna avant de se glisser dehors. Mais cette fois, la jeune femme reprit le contrôle de son corps : elle jeta son sabre au sol et empoigna son arc et une flèche. Elle n’aurait qu’une seule chance.

Anna parvenait à situer les pleurs de l’enfant et en déduire la position du monstre. Ils s’éloignaient à une vitesse folle. Alors qu’elle estima que la créature fut au pied de la tour centrale, elle décocha son trait.

Un bruit creux résonna, suivi du son du bois sur le pavé. Les pleurs continuèrent de s’éloigner jusqu’à complètement disparaître dans les ténèbres.

Anna hurla. De désespoir, d’abord, puis de rage. Le cri rebondit sur les murs de pierre des maisons, comme jeté à la poursuite de l’horreur indicible. Elle l’avait touché, elle en était certaine.

Lentement, la brume s’étiolait sous la lumière de la lune qui perçait à travers les nuages. Il ne pleuvait plus. Le silence enveloppa de nouveau le village ; salvateur calme après la tempête. La jeune femme, à genoux dans l’encadrement de la porte, se leva péniblement. Elle se rendit auprès du bourgmestre.

Il vivait.

Il reprit peu à peu ses esprits, en se tenant les côtes, titubant avant de s’affaisser sur le perron.

Anna le laissa là, monta quatre à quatre les marches et arriva dans l’unique pièce qui constituait l’étage de la bâtisse.

Son estomac se révulsa, mais elle parvint à ne pas vomir devant le spectacle morbide.

Une femme gisait là, au milieu de la pièce, sur une peau de cerf. Elle était allongée sur le ventre, les mains crispées tendues au-dessus de sa tête comme pour attraper quelque chose. Elle baignait dans son propre sang. Anna resta comme subjuguée par ce visage à jamais figé dans un râle d’horreur et de détresse. Ce sang, tout ce sang. Le liquide vermeil continuait de se répandre à travers les poils de la peau de bête comme un lent tsunami, jusqu’à toucher les chausses de l’Étranger, debout à côté. Il avait le visage bas, la main serrée sur la hampe de la lance brisée. Il leva un regard apathique sur Anna :

— Je n’ai rien pu faire. Je n’ai même rien vu. J’ai plongé la lance de toutes mes forces dans la brume. Mais elle s’est brisée sur la créature. Elle m’a ignoré. La mère enserrait le pauvre enfant dans ses bras alors la bête lui a tordu le cou avant de l’éventrer machinalement. Puis la brume a recouvert la scène, et lorsqu’elle s’est dissipée, j’étais seul. Seul avec elle.

— Vivienne ! Vivienne noooon !

Sans qu’ils s’en aperçoivent, Sebastian avait réussi à se hisser en haut des marches. Lorsque ses yeux se posèrent sur le tableau macabre, il oublia ses douleurs pour se jeter au cou de celle qui fut son épouse, les genoux dans le sang de son aimée.

D’un commun d’accord, Anna et l’Étranger laissèrent le couple seul une dernière fois. Ils avaient besoin d’air.

Sur la place, une vingtaine de personnes s’étaient rassemblées devant la maison du bourgmestre. Autant de paires d’yeux les observèrent franchir le pas sans porte de la bâtisse.

Une jeune femme qui n’était pas sans rappeler Esther vient les trouver :

— Laissons-les. Il n’y a rien de plus que nous ne puissions faire. Venez chez moi passer la nuit.

Ils se retrouvèrent tous les trois assis autour d’une table, une tasse d’infusion entre leurs mains. Encore sous le choc, personne n’osa briser le silence qui perdura plusieurs dizaines de minutes. Finalement, l’hôte prit la parole.

— Je suis Cassandre. Je vis ici seule depuis que ma fille a été elle aussi enlevée par cette chose. Elle a été la première des enfants à… enfin vous voyez. Nous n’avons aucune idée de ce pour quoi cette créature les enlève. Ni ce qu’ils deviennent.

— Merci, Cassandre, de nous accueillir pour ce soir. Elle c’est Anna, et moi… appelez-moi juste l’Étranger. Nous sommes désolés pour votre enfant, désolés pour votre village. À l’aube, nous partirons vers le col le plus proche trouver les Templiers. Cette créature ne vient pas d’ici, mais de l’Extérieur, c’est une certitude. C’est leur rôle de nous protéger de ces menaces.

— Comment peux-tu en être si sûr ? demanda Anna d’une voix monocorde.

— Parce que plus aucune créature magique n’existe en Karfeld. L’Église y a veillé. Or cette brume est d’origine arcanique, ça ne fait aucun doute. Il est possible qu’une des galeries des mines Agides donne sur l’Extérieur. Ça s’est déjà vu et ça expliquerait la présence de ce monstre.

Les yeux de Cassandre n’exprimaient aucune émotion. Ils ne brillaient plus. Toute lueur avait dû s’éteindre il y a quelques jours.

— Vous pourrez dormir ici, si vous y parvenez. J’irai dans le couchage de ma fille.

Elle désigna un lit un peu plus large que la moyenne pouvant accueillir deux personnes à l’étroit. Mais cela restait plus luxueux que l’arrière de la charrette.

— Merci mon amie, la remercia l’Étranger. Bonne nuit.

— Autant que faire se peut.

Allongée sur sa paillasse, Anna ne trouva le sommeil que peu de temps avant l’arrivée du jour. Dans l’obscurité inquiétante de la nuit, elle entendait les pleurs de Cassandre.

***

Le col le plus proche était à plus de cinq heures de marche. C’était l’un des plus connus de la région, car très accessible par sa faible altitude. De fait, en sus des patrouilles, l’Église y avait implanté un avant-poste fortifié servant également de monastère.

Équipés seulement du nécessaire, le duo avait préféré faire le trajet à pied, car le sentier montait raide et traversait plusieurs pierriers qui se seraient avérés dangereux pour leur monture. Malgré tout, ils gravirent la montagne avec célérité et atteignirent la lourde porte en fer du prieuré alors que le soleil pointait au plus haut. L’Étranger abattit le heurtoir trois fois.

Après quelques minutes, des bruits de pas lourds se firent entendre de l’autre côté et dans un grincement métallique, un battant pivota sur ses gonds. Dans l’ouverture apparut un colosse en armure dorée. Aucune portion de sa peau n’était apparente. Seules deux billes étincelantes et menaçantes perçaient à travers le heaume du chevalier. Il attendit sans mot dire.

— Nous représentons le village de Felerive plus bas, tenta l’Étranger. Nous sommes en proie à une menace venue de l’Extérieur. Une créature magique enlève nos enfants chaque nuit. Elle est toujours précédée d’un voile magique et est insensible à nos armes et nos pièges. Pitié, aidez-nous !

Il n’y eut aucune réponse. Le géant resta là un instant, fixant les deux jeunes gens, puis il ferma la porte dans un vacarme qui résonna sur le versant de la montagne.

— Que font-ils ? Pourquoi ne répond-il pas, vont-ils au moins daigner nous aider ?

— Je ne sais pas, Anna. Nous allons attendre un moment, c’est notre seul espoir.

Ils marchèrent un peu sur le gazon naturel de la prairie d’altitude. Bien que plus bas que son village, le paysage lui rappelait un peu Val-de-Seuil. Valian et Esther commençaient à lui manquer sérieusement. Anna espérait de tout cœur que son amie se porte bien.

Une heure passa pendant laquelle Anna consentit à s’entraîner avec son sabre (qui, compte tenu de la situation, s’imposait comme un équipement prioritaire) contre l’Étranger. Ce dernier, une fois encore, exprima son étonnement quant à la vitesse et la précision de la jeune femme. D’après ses dires, son instinct la rendait meilleure que la plupart des bretteurs qu’il avait pu affronter lors de ses propres entraînements.

La dissonance des battants du monastère mit fin à la session d’escrime. Deux soldats passèrent la porte et s’engagèrent sur le chemin d’un pas incroyablement vif pour leur carrure. Anna et l’Étranger s’élancèrent après eux. S’ils n’avaient jamais eu de réponse, ils surent que les deux Templiers avaient été envoyés pour les aider.

***

La lumière rasante de cette fin d’après-midi accompagnait le quatuor alors que celui-ci marquait l’arrêt au pied de la grande tour centrale. Les deux colosses toisèrent l’édifice, puis d’un geste circulaire, ils indiquèrent qu’ils souhaitaient que tous les enfants soient réunis dans cette tour.

Anna remarqua que s’il ne pleuvait pas, les nuages étaient maîtres des cieux pour ce soir encore. La bête serait probablement de sortie à la nuit tombée. Mais cette fois elle avait hâte. Elle ne savait pas exactement de quoi étaient capables ces Templiers, mais les marteaux à deux mains qu’ils avaient emportés avec eux infligeraient certainement plus de dégât à la créature que son arc ou la lance du bourgmestre.

Ledit bourgmestre vint d’ailleurs personnellement accueillir les soldats. Il était livide, les yeux gonflés par le chagrin. C’est lui qui s’occupa de ramener tous les enfants au sommet de la tour. Lorsque le regard de l’homme pénétra le sien, Anna crut revoir les yeux de Valian le jour où ils avaient appris le décès de leurs parents.

Alors que la nuit tombait, les villageois regagnèrent leur tanière comme des proies fuyant le prédateur. Seuls restèrent Anna, l’Étranger, les deux Templiers et Sebastian. Et puis la brume se leva.

Comme la première fois, ils entendirent d’abord un grondement grave ininterrompu. Les représentants de l’Église se postèrent devant l’unique porte de la tour. Anna un peu à l’écart avait déjà tiré sa lame au clair, tandis que l’Étranger tenait son épée des deux mains, à côté des Templiers. Sebastian était dans la tour, dernier rempart contre la créature si les autres échouaient.

Mais ils n’échoueraient pas. Ils n’en avaient pas le droit.

Le feulement se fit de plus en plus fort, mais un autre chant vint le perturber. Ce chant, pareil à des cantiques, émanait du heaume des géants en armure dorée. La brume s’éclaircit, Anna parvenait même à voir le bout de ses bottes.

— Ils incantent, dit-elle à voix haute. De la magie...

Galvanisée par cet espoir, elle raffermit la prise sur son arme.

Et cette fois ils la virent. Cette fois, ils purent contempler l’horreur.

Sortie de la forêt, celle-ci se mouvait avec une grâce étonnante pour sa taille.

En effet, longue de plus de deux mètres, la créature avait une forme insectoïde, au croisement de la fourmi et du scorpion. Ses huit pattes martelaient le sol et elle sembla hésiter. Si elle n’avait pas d’yeux, elle sentit d’une manière ou d’une autre la présence d’une menace bien plus sérieuse.

Sans être belle, la créature était étonnante. Ses longues pattes se terminaient en une griffe bifide. Son corps ovale, recouvert de plaques chitineuses aux reflets bleutés était hérissé de pointes acérées. Anna comprit pourquoi ni les flèches ni la lance n’avaient pu percer l’épaisse carapace. Chaque parcelle de l’être ne servait qu’un but : tuer ou éviter de l’être.

L’Étranger embrasa son épée du même geste théâtral que naguère alors que la litanie des Templiers se fit plus forte, presque enivrante.

Malgré tout, la créature chargea brutalement en direction de la tour, replongeant dans la brume. À l’unisson, les deux paladins frappèrent le sol du manche de leur marteau. Une onde de choc fit s’envoler le brouillard sur vingt mètres et stoppa net le monstre dans sa charge.

Y voyant une occasion rêvée, Anna s’élança. Elle prit impulsion sur un muret et dirigea toute sa rage vers la tête bien visible de la bête où la carapace semblait moins épaisse. Hélas, dans un mouvement fulgurant, celle-ci se recroquevilla et frappa la jeune femme d’un coup de patte à la taille, la projetant contre la maison de Sebastian.

Une douleur incroyable au sternum la paralysait et son crâne vibrait comme une cloche sonnée. Chaque inspiration était une torture. Mais au prix d’un colossal effort de volonté, elle parvint à ne pas perdre connaissance. Elle put voir l’Étranger tenter sa chance, sans plus de résultat. Mais au moins évita-t-il la contre-attaque de la bête.

La situation était bloquée. Les Templiers parvenaient à empêcher la créature d’avancer, mais celle-ci demeurait trop forte pour être blessée. Et les chevaliers faiblissaient à vue d’œil.

Anna se releva, ignorant la douleur qui l’assaillait de toute part.

Et puis enfin, enfin cette sensation qu’elle attendait tant se manifesta. Comme dans son baquet. Comme à l’arrière de la charrette. Le calme se fit autour d’elle et ses afflictions s’amenuisèrent. Elle ferma les yeux, laissant la chaleur l’irradier et assista à la scène hors de son corps. Toute sa haine et ses peurs se déversèrent comme un torrent acharné sur le dos de la bête. Au delà d’être immobilisée, elle était cette fois écrasée par le poids immense de la furie de la jeune femme. La chose essayait de se débattre, crachant frénétiquement en direction des enfants. Mais rien ne saurait faire lâcher prise à la fille du Val-de-Seuil. L’Étranger saisit son épée ardente et l’introduisit méthodiquement dans la jonction entre le cou et le corps du monstre réduit à l’impuissance. Finalement d’un geste sec, mais précis, il enfonça son épée jusqu’à la garde. Le feu s’éteignit dans un crépitement affreux libérant une fumée nauséabonde.

Il n’y eut pas de sang. Dans un tourbillon azuré qui aspira la brume environnante, l’imposante dépouille disparue corps et bien. Quand le phénomène se dissipa, un cristal se trouvait là, à même le sol. Discrètement, L’Étranger le ramassa et l’enfouit sous son pourpoint bleu.

La dernière chose que remarqua Anna fut les corps des deux Templiers allongés face contre terre dans une symétrie quasi parfaite. Puis elle céda à son tour au néant, sans résister.

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