Kyrian et moi nous nous dirigeons donc vers la cafétéria de l'école. C'est une grande salle qui fait beaucoup plus moderne que le reste de l'établissement. Ici il y a beaucoup de choix et on peut manger autant qu'on veut. La salle est remplie de tables et de chaises en fer. Les élèves prennent la file d'attente devant le buffet pour pouvoir se servir.

Kyrian et moi nous saisissons d'un plateau avec des couverts et un verre avant de nous positionner derrière les autres :

- Tu comptes manger tous les jours ici ? me demande mon camarade.

- Je ne sais pas, je pense que des fois je rentrerais chez moi pour le déjeuner, et toi ?

- Moi je reste manger ici.

Je l'écoute sans rien dire tout en continuant d'avancer et quand enfin nous arrivons devant le buffet, je suis stupéfait. Je savais que cet école proposait de la nourriture aussi variée que possible afin de plaire à chacun des élèves, mais là il y a de tout, des plats de tous les pays du monde :

- Et ben, on ne risque pas de mourir de faim ici ! lâché-je en riant un peu.

Kyrian pouffe aussi avant de se servir. Je regarde les plats proposés et opte pour du hachis Parmentier et un verre d'eau. Je vois pleins d'élèves qui eux ont pris du Coca et des Burger avec des frites. Visiblement ils s'en fichent d'avoir un repas équilibré. Moi aussi j'aime bien manger ce genre de chose, enfin ce sont mes parents qui me le préparaient donc plus sain qu'un fastfood

Une fois que nous avons rempli nos plateaux, nous allons nous installer à une table de libre. Je ne me prive pas pour commencer à manger, c'est vraiment bon ! Et mon camarade a aussi l'air d'apprécier car il dévore son repas.

***

La semaine passe assez rapidement. Notre professeur nous fait d'abord étudier l'Histoire de la Magie. Nous commençons également les cours de sport. La plupart du temps nous faisons du basket, du foot ou de la balle au prisonnier. Au début les élèves n'étaient pas très motivés pour ce dernier et n'en voyaient pas l'utilité. Cependant notre professeur, Monsieur Jonson, nous a expliqué que ce sport servait à améliorer notre agilité et nos réflexes. C'est un homme grand et musclé, avec le crâne entièrement chauve et de petits yeux noirs. Il est toujours vêtu d'un survêtement d'une horrible couleur jaune canari. Sa voix grave me donne des frissons, elle me fait penser à l'un des hommes de main de mon père. Quand j'étais petit j'étais terrifié quand je l'entendais parler parce que je pensais que c'était un démon, et j'avais raison dans le sens propre du terme. C'était un démon de roche, ce qui expliquait que sa voix soit si grave et rauque. Mais malgré ça, j'aime beaucoup le professeur de sport, il est vraiment très gentil même s'il est assez exigeant. Cependant ce n'est pas le genre de prof qui te crie dessus et te rabaisse quand tu fais mal quelque chose. Lui il t'encourage et fait en sorte de toujours trouver un point positif dans ton échec. C'est pour ça que je l'apprécie tant.

Je profite aussi de cette semaine pour faire connaissance avec Kyrian qui est vraiment très gentil. Il adore les mangas et les jeux vidéos, comme moi. Je sens comme une connexion avec lui. Comme si j'étais relié à lui mais d'une manière que je n'arrive pas à déterminer.

Je l'ai présenté à mes parents, au début ils n'étaient pas vraiment... comment dire, peu enthousiastes à l'idée que je laisse un étranger rentrer aussi facilement dans ma vie. Mais je ne leur ai pas vraiment laissé le choix. De plus, ils ont eu une longue discussion en privé avec lui, je ne sais pas ce qu'ils se sont dit mais étrangement une fois ceci fait, Killian et Gabriel ont un peu mieux accepté la présence du jeune homme à mes côtés. Et puis de toute manière ce n'est pas comme si je sortais avec lui.

Par contre, Arwen n'aime pas du tout Kyrian, il semble le détester alors qu'il ne le connaît même pas. J'ai bien essayé de discuter du problème avec lui, de lui faire comprendre qu'il n'avait aucune raison de ne pas l'apprécier mais peine perdue, il n'a rien voulu savoir.

Les cours viennent de se terminer, je me lève et fais disparaître mes affaires dans mon portail avant de sortir de la classe avec Kyrian :

- Il avait l'air motivé le prof aujourd'hui, tu ne trouves pas ?

Je hoche la tête pour dire que je suis totalement de l'avis de mon ami. C'est étrange car c'est le vrai premier ami que j'ai. Étant toujours isolé ou renfermé sur moi-même, je n'ai jamais vraiment eu l'occasion de m'en faire. Certes il y avait bien quelques enfants du gang de mon père qui voulaient jouer avec moi... mais j'ai toujours conservé une certaine distance avec eux, comme si j'avais peur de me lier à quelqu'un :

- Tu veux venir chez moi ce soir ? demandé-je au jeune homme.

Il secoue la tête tout en allant vers le portail avec moi. Comme tous les soirs, Arwen est venu me chercher en voiture. Heureusement il l'a changée et n'utilise plus la limousine. Il conduit maintenant une voiture plus petite et discrète, qui fait moins « gosse de riche » :

- Ton chevalier est arrivé, me taquine mon camarade.

- C'est pas mon chevalier, c'est mon chien de garde, grogné-je. Je te laisse, à demain.

Il me salue et je prends place dans la voiture, grimpant côté passager avant de regarder Arwen qui démarre en restant silencieux.

Nous roulons quelques minutes sans qu'aucun de nous ne parle et finalement il finit par lâcher en grommelant :

- Je n'aime pas Kyrian.

Et allez ! Combien de fois il a essayé de me convaincre de ne plus voir le jeune homme. À croire qu'il a vraiment quelque chose contre lui :

- Pourquoi ? Tu vas me dire ce que tu n'aimes pas chez lui ou je vais devoir le deviner tout seul ?

Il serre le volant entre ses mains, on dirait qu'il pense que je vais me moquer de lui s'il me le dit. Seulement je ne ferais jamais une chose pareille. Il a l'air de se décider à parler car il expire avec un air résigné :

- Je n'arrive pas à voir ses rêves. Quand je veux savoir des choses d'une personne, il me suffit de me connecter à celle-ci en dormant et je peux alors explorer librement ses rêves. Avec l'Oniromancie, il est possible de voir le passé d'une personne et parfois son futur. Mais lui rien, tout est vide. Ce n'est pas normal, quelque chose ne va pas et ça m'inquiète.

Je grogne en l'entendant dire cela et la colère augmente encore un peu dans mon esprit :

- Tu es en train de me dire que tu le déteste tout simplement parce que tu ne peux pas l'espionner ? Tu te fous de moi ou quoi ?!

Il reste silencieux. Une fois arrivés à l'immeuble, nous sortons de la voiture :

- Je suis désolé de vous le dire mais il faut se méfier de lui. Si vous ne le faîtes pas alors je le ferais à votre place. C'est pour ça que votre père me paie.

- Et bien il ferait mieux de te virer ! craché-je avec colère.

Ma réponse semble le blesser, mais il ne répond pas et baisse la tête tout en rentrant dans l'appartement. Je l'imite, allant ensuite dans ma chambre en claquant la porte. Pourquoi ça m'énerve autant qu'il n'aime pas mon ami ? Il ne le connaît pas alors comment peut-il le juger sur un critère aussi stupide que celui-là !

Je me laisse tomber sur mon lit pour regarder le plafond. Que faire ? Arrêter de voir Kyrian ? Impossible, je tiens trop à lui. Virer Arwen ? Non plus, je l'aime bien même s'il se permet de juger mon camarade sur un critère très flou. Cependant je ne peux pas le forcer à changer d'avis, peut-être que s'il apprend à le découvrir il l'appréciera mieux ?

Je soupire et me redresse, je dois faire mes devoirs, je n'ai pas envie de prendre du retard dès le début de l'année.

Je me concentre donc sur mon travail et l'heure du repas arrive assez rapidement. Arwen me prévient que celui-ci est prêt et qu'il n'attend plus que moi pour passer à table. Je vais le rejoindre dans la cuisine avant de m'asseoir en face de lui et me mettre à manger. Un silence gênant règne dans la pièce, seul le bruit des couverts percutant légèrement les assiettes se fait entendre. Aucun de nous ne dit quoi que ce soit. Mais en même temps je ne vois pas trop quoi prononcer. J'ai peur d'enfoncer encore plus le couteau dans la plaie et je n'ai pas envie d'être en froid avec lui. Je le regarde discrètement pour essayer de lire dans ses yeux comment il se sent, mais en vain, son visage est aussi inexpressif qu'un morceau de glace. Il a dit qu'il pouvait faire faire aux gens des rêves éveillés, est-ce c'est ce qu'il fait pour m'empêcher de voir son vrai visage ? Non, je ne pense pas qu'il oserait user de son pouvoir sur moi. Peut-être qu'il a été entraîné à avoir un air aussi froid et glacial. Une fois le repas terminé, je veux l'aider à faire la vaisselle mais il me fait comprendre d'un regard que ce n'est pas la peine. Je vais me glisser sous la douche. L'eau chaude me fait du bien, me détend et surtout, m'aide à retrouver mon calme. Je la laisse donc couler librement sur mon corps en repensant à la première fois que j'ai fait une peur bleue à mes parents.

Nous étions allés au Quartier Général de mon père Gabriel dans la ville de Dark City, c'était en Hiver et j'étais mort de froid. Alors pour me réchauffer, j'avais décidé d'aller me blottir dans le feu de la cheminée. Mais pas à côté, directement dans les flammes. Mes deux pères avaient crié de peur... Jusqu'à ce qu'ils se rendent compte que le feu ne me brûlait pas. J'ai toujours été insensible à celui-ci et mes parents étaient vraiment soulagés qu'il ne me fasse pas de mal.

Je me glisse dans mon lit, seulement vêtu d'un boxer et je monte la couette sur moi. Que faire ? Je pourrais demander à mon père de me trouver un autre garde du corps, mais je n'ai pas envie qu'Arwen parte, je me sens bien avec lui, en sécurité. Je ferme les yeux et m'endors assez rapidement.

Je suis réveillé dans la nuit par une drôle de sensation, celle de n'être plus seul dans ma chambre. Je me redresse et regarde autour de moi sans avoir besoin d'allumer les lumières, merci la Nyctalopie :

- Qui est là ? demandé-je avec méfiance.

Le silence me répond et j'ai beau essayé de me dire que je me fais des idées, cette drôle de sensation ne veut pas partir. Je finis par allumer la lumière, mais il n'y a rien, je suis bel et bien seul dans la pièce.

Je me laisse retomber sur mon lit, je suis trop stressé, personne n'aurait pu rentrer dans ma chambre de toute manière, Arwen a installé des protections magiques et même un système d'alarme dans tout l'appartement, s'il y avait eu un intrus, il l'aurait su bien avant moi.

La sensation reste pendant un long moment et quand enfin elle disparaît, je me rendors rapidement.

Je me réveille le lendemain avec une boule dans le ventre, je ne comprends pas pourquoi elle est là, je ne suis pas stressé et je suis reposé. Je décide de l'ignorer, après tout elle finira sans doute par partir non ?

J'enfile un boxer avant de mettre un jean noir et un haut blanc. Je me chausse aussi de mes baskets avant de mettre ma veste rouge. Je rejoins Arwen dans la cuisine, le petit déjeuner est déjà sur la table, ce sont des crêpes. J'avale sans rien dire, comme hier, son visage est aussi froid que de la glace. Nous mangeons dans le silence le plus total :

- Arwen je...

- Vous allez être en retard, allez vous préparer, lâche-t-il d'une voix glaciale.

Je le regarde, choqué par sa réponse, il m'en veut donc autant que ça ? Je ne devrais pas mais je me sens blessé par son attitude. Certes, je lui ai moi aussi dit des choses blessantes et je comprends qu'il puisse être en colère, seulement ses mots me font plus mal que je ne le voudrais.

Je vais donc faire ma toilette, me brossant les dents et les cheveux. Je décide d'aller voir Arwen qui est en train de nouer sa cravate :

- Arwen, il faut qu'on parle.

- Je ne vois pas de quoi, nous nous sommes déjà tout dis, répondit-il froidement.

Il va vers la porte pour m'emmener à l'école et je me plante devant lui, bien décidé à ne pas lâcher l'affaire :

- Si, écoute, je m'excuse pour ce que je t'ai dit hier, ça t'a blessé et je n'avais pas l'intention de le faire, j'étais en colère et j'ai dit quelque chose que je ne pensais pas.

Mon garde du corps est étonné par ce que je viens de dire. Je suis content de voir autre chose que son visage froid et glacial, j'aimerais beaucoup le revoir sourire, j'aime quand il le fait :

- Je comprends, j'accepte vos excuses, mais sachez que je ne changerais pas d'avis sur votre ami.

- Je sais.

Aucun de nous ne rajoute quoi que ce soit et nous rejoignons la voiture. L'air est toujours pesant entre nous. Nous roulons jusqu'à l'école dans le silence le plus total. J'ai envie de lui parler, mais j'ai peur de me faire de nouveau repousser par son air et sa voix glaciale. Une fois arrivé devant l'école, je soupire et le regarde. Cependant je ne dis rien et me contente de sortir de la voiture.

Kyrian m'attend, il sourit quand il me voit et je me dirige vers lui. Mais à peine ai-je fait quelques pas que ma vision se brouille. Ma tête se met à tourner et des points noirs dansent devant mes yeux.

Une sensation étrange mais familière me parcourt le corps, la même que celle d'il y a treize ans, quand je suis arrivé dans ce monde.

J'essaie de lutter contre les ténèbres, mais elles finissent par m'envahir et je sombre dans l'inconscience.