Chapitre ---
Audience de Rosalie, lieu, heure et date inconnus.
– Asseyez-vous, mada...
– Non, interrompit brusquement Rosalie. Pardonnez-moi, mais je ne supporte plus les « madame » qu'on ne cesse de me rabâcher à droite et à gauche. Je voudrais revenir à de la simplicité. À Rosalie, et pas à quelque chose qui me donne l'impression d'être une accusée au sein d'un procès.
Elle avait conscience de s'être trop sèchement adressée à ses interlocuteurs, mais à force de tirer sur la corde, celle-ci finissait indéniablement par rompre.
– Rosalie, donc, reprit l'homme. Asseyez-vous, s'il vous plaît.
Fatiguée d'avance, elle se laissa tomber sur la vieille chaise au tissu effiloché. La table autour de laquelle trois hommes et une femme attendaient de l'interroger paraissait bien trop grande pour la minuscule pièce où elle se trouvait. Comment avait-elle pu y être amenée ? À moins que la pièce ne fût construite autour. Rosalie aurait pu rire de sa bêtise. C’étaient les nerfs et non plus la raison, qui semblaient désormais dicter ses pensées.
L'un des hommes recula sa chaise pour étendre ses jambes. Le dossier tapa contre le mur, faisant vaciller l'abat-jour tâché de noir qui pendait du plafond. Grand luxe inespéré, il y avait une fenêtre sur la cloison à droite de Rosalie. Mais comme il ne fallait apparemment pas trop en demander, le ciel était d'un gris dépressif.
– Je ne comprends pas ce que vous me voulez. J'ai déjà tout dit aux autorités.
– Nous appartenons aussi aux autorités, expliqua l'homme, mais d'un genre différent. Nous nous intéressons au pourquoi, quand les gens d'armes se préoccupent surtout du comment. Nous souhaiterions que vous nous racontiez tout, depuis le début, pas seulement ces dernières semaines et encore moins votre découverte au manoir.
– En bref, vous voulez vous immiscer dans ma vie privée. Commencez déjà par me donner l'exemple en vous présentant tous. Je ne connais que vous.
L'homme qui avait jusque-là parlé était celui qui l'avait contactée deux jours plus tôt, alors que Rosalie croyait enfin le manège des dépositions achevé.
AS, telles étaient ses initiales, car il refusait de donner son nom.
Un intermédiaire de plus, un interlocuteur supplémentaire. Toujours pour leur raconter la même histoire. Ce n’était pas elle la coupable, mais ils s’acharnaient tous ! Même l’autre, le vrai responsable, devait avoir davantage la paix, bien au chaud dans sa cellule.
L'homme assis directement à la droite de AS, les genoux coincés dans l'angle de cette table pourtant immense, redressa le torse.
– Je suis VD. Coéquipier de AS.
Le troisième se trouvait plus près de Rosalie, une machine à écrire face à lui.
– FD, je suis chargé du compte-rendu de cette audience.
La femme lui faisait face, située juste sous la fenêtre.
– EM, je représente les services secrets, en charge du dossier. Le compte-rendu de cet entretien y sera ajouté.
Un interrogatoire de plus, donc. Rosalie se passa une main sur le visage avant de soupirer sans cacher son agacement.
– Allez-y, qu'on en finisse.
AS lui adressa un signe de tête compréhensif. Mais jusqu'à preuve du contraire l'audience aurait bien lieu, alors qu'il garde sa compassion pour lui. Dans le cas contraire, Rosalie n’était pas certaine de pouvoir s’empêcher de céder à la violence.
– Je crois savoir que vous vous êtes rencontrés au travail, n'est-ce pas ?
Au moins ne tournait-il pas autour du pot.
– En effet.
– Comment cela se passait-il ? Au début, j'entends.
– Bien. Nos rapports étaient cordiaux, professionnels. On ne se fréquentait pas en dehors du travail.
– Et des mois après ?
Rosalie soupira.
– À votre avis ?
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