Chapitre 30 - 1
Palais royal, 9h52, 3 nafonard de l’an 1900
Amerius et Rosalie avaient prétexté un rendez-vous urgent pour justifier leur absence à La Bulle.
Ils se rendirent au palais royal sans passer par la loge des gardes puis traversèrent les différentes ailes jusqu'aux appartements où les souverains possédaient leur salle de travail. Une vaste pièce qui apparaissait au dos des billets, au centre de laquelle trônait un imposant bureau, davantage que celui d'Amerius.
Celui-ci n'eut qu'à se présenter pour qu'un serviteur l'annonce à la reine qui le reçut aussitôt.
Il entra, suivi de Rosalie, qui s'efforça de se rappeler que dans cette réalité, Galicie VII ne l'avait pas enfermé pour se servir d'elle comme un bouc émissaire.
– Amerius, que me vaut ta...
Elle s’interrompit aussitôt en apercevant Rosalie. La reine leva un sourcil contrarié avant de l'examiner de pied en cap.
Autant pour le nouveau départ espéré.
– Voici Rosalie. Elle est magiterienne et sait à peu près tout de ma particularité et de certaines autres affaires qui nous préoccupent.
La reine le fixa sans mot dire, les lèvres entrouvertes, à deux doigts de devenir une mâchoire décrochée.
– Excuse-moi ?
– Je disais que...
– Oui, Amerius. J'ai compris. Mais j'espère que tu as au moins trois bonnes raisons qui justifient cette décision soudaine et faite sans mon consentement.
– En fait, j'en ai même douze.
Douze ? Rosalie se demanda comment c'était possible. Elle-même était arrivée à quatorze.
La reine tapa sèchement le bureau de son stylo.
– Asseyez-vous.
Un ordre ponctué d'un regard noir uniquement destiné à Rosalie. Celle-ci abandonna l'idée de se tenir tranquille. La reine ne l'aimait tout simplement pas, juste parce qu'elle existait. Ou qu'elle était trop proche d'Amerius ? Galicie VII gardait peut-être encore rancune de leur histoire d'adolescents.
– Raconte, siffla-t-elle. Et sans rien omettre, je te prie.
Il n’omit en effet rien. Noé et ses Poupées, le voyage dans le temps, le changement de réalité, les Basses-Terres et l'escapade de Rosalie et Amerius, achevée avec la fuite de Noé qui s'avérait être un imposteur puisque son cadavre gisait dans un sous-terrain secret. Il y avait la véritable nature de la Lune, gardée par les magiteriens qui s'avéraient être des traîtres d'abord alliés de Noé et des Bas-Terriens.
Il ne se tut qu’à propos de la vraie nature de Rosalie et son lien avec Noé, ne mentionnant que la manière dont elle s'était retrouvée impliquée la première fois et ce que la reine lui avait fait subir.
– Je crois que je n'oublie rien.
Galicie VII avait beaucoup soupiré. Sa main avait fini par se crisper autour du stylo.
– Un autre que toi aurait fini dans les geôles pour m'avoir raconté la plus vraisemblable et inutile des histoires. Et fait perdre mon temps.
– Mais je ne suis pas un autre.
La reine plissa les yeux.
– Je me le demande. Tu viens apparemment de te découvrir un côté sarcastique.
Son regard dévia brièvement vers Rosalie, accusateur.
– Donc, si je résume...
– Nous avons un gros problème. Il nous faut une preuve que les magiteriens sont coupables, mais il faut les protéger de Noé, qui pourrait faire beaucoup de dégâts en s'en prenant à eux.
– Et pourquoi fera-t-il cela maintenant ? De ce que j'ai compris, c'est un terme qui pour lui n'a pas vraiment de signification.
– Il est forcément limité en ressources, expliqua Amerius. Notamment en Poupées. S'il n'a pas agi, c'est qu'il ne doit plus avoir la possibilité de voyager et doit donc composer avec le temps présent. Sa dernière intervention remonte à plusieurs mois, quand il aurait dû se faire enlever.
– Aurait dû. Si les magiteriens l'ont appris, ils doivent avoir un plan pour se défendre contre lui.
– Mais leur magie n'est pas faite pour le combat. Ils sont en danger.
La reine soupira – encore.
– Protéger les magiteriens me permettrait de coincer Noé. Dommage, cela m'aurait retiré une belle épine du pied de le laisser faire.
– Ce sont des gens, vous savez.
La reine releva la tête, comme surprise d'être dérangée. Elle tourna un air outré vers Rosalie.
– Excusez-moi ?
– Les magiteriens. Ce sont des gens. Nous sommes des gens. Les familles sont loin d'être parfaites, je le sais mieux que personne, mais elles restent des gens, avec des enfants, des maris et femmes, des envies et des rêves. Vous ne pouvez pas parler de les jeter comme une de vos robes déjà portées une fois de trop !
Elle ne détourna pas le regard. Pas même quand le bleu de ses yeux devint un ciel d'orage.
– Comment osez-vous, magiterienne ? Je suis vôtre....
Amerius barra la route à la colère de la souveraine en brandissant sa canne devant Rosalie.
Ils s'exprimèrent d'une même voix.
– Elle a un nom.
– J'ai un nom !
Pour qui se prenait-elle à la rabaisser ainsi ? La jeune femme ne voulait plus se laisser faire par quiconque, fut-il souverain ou non !
– Je m'appelle Rosalie.
Amerius rabaissa sa canne.
La reine fit claquer sa langue sur son palais avant de s'enfermer dans le silence. Elle fixait Amerius, sans avoir l'air de savoir comment réagir. Il le fit pour elle.
– Tu te vengeras plus tard, Galicie. Nous avons des choses plus urgentes à gérer que ton ego. Comme les Astre-en-Terre. Il nous faut une preuve de leur culpabilité.
– Je le sais, marmonna-t-elle.
Elle secoua la tête et redressa le menton, retrouvant sa posture royale.
– Tu m'as bien dit que les manoirs magiteriens étaient faits de pierre lunaire ?
– C'est Rosalie qui l'a compris, mais oui, elle en est certaine.
Galicie VII balaya sa remarque d'une main distraite. Elle fixait l'encrier qui lui faisait face.
Rosalie avait beau la détester, il lui fallait reconnaître que la souveraine était compétente. Elle avait une parfaite connaissance de son peuple et des lois, des règles politiques, internes ou étrangères. Elle l'avait souvent démontré lorsque des événements sensibles secouaient le pays.
Rosalie songea avec amertume qu'elle était semblable à Amerius. À moins de trente ans, Galicie VII était quelqu'un d'important, qui exerçait son devoir avec dévouement. Une femme dont on retiendrait le nom.
Rosalie ne possédait pas tout cela et pour la première fois de sa vie, songea à ce qu'elle n'avait pas, mais qu'une autre possédait. Son regard glissa vers Amerius, avant de se reprendre.
– Ce qu'il nous faut, déclara la reine, c'est un prétexte pour confronter les Astre-en-Terre et fouiller leurs quartiers. La roche lunaire peut nous le donner.
» Parmi les nombreuses lois édifiées à propos de la Lune, certaines concernent la régulation de la roche. En détenir sans preuve d'achat ou d'origine est illégal. Les manoirs magiteriens en sont l'exemple parfait.
– Et puisqu'ils existent depuis des siècles, les familles vont devoir s'expliquer, ajouta Rosalie.
La reine souffla par le nez. La jeune femme se sentit soudain un peu bête d'avoir pu complexer un instant plus tôt. Galicie VII lui faisait penser à une enfant jalouse de son nouveau cadet.
– Les Astre-en-Terre ont érigé leur partie du palais eux-mêmes, avec leur propre matériau. Il ne sera pas difficile d'en récupérer un morceau pour analyse. Les jardiniers qui entretiennent les plantes des façades raclent souvent de la poussière.
» De fil en aiguille, nous en arriverons à parler de Noé. Et s'il le faut, Rosalie nous fabriquera un sort de vérité.
Elle se leva avant que la mage puisse répliquer, et ordonna à un serviteur présent dans le couloir d'aller récupérer un outil de jardinage. Il fut immédiatement transmis à un médecin du palais qui possédait du matériel d’analyse, mais l’homme affirma que cela prendrait une à deux heures. Durant ce temps, Rosalie et Amerius furent proprement congédiés du bureau de la reine.
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