5 - Samuel

9 minutes de lecture

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Sam

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   J'ai eu toutes les peines du monde à convaincre Rafaël de me laisser aller à cette soirée. En pleine semaine, chez quelqu'un qu'il ne connaît pas...

— Il y aura de l'alcool ?

— Oui Raf, c'est une soirée de lycée..., mais je suis pas obligé d'en boire.

— Tu connais qui là-bas ?

Avec lassitude, j'essuie la dernière assiette de la pile, et la repose délicatement sur le bord de l'évier.

— Chiara et Damian. Ça fait deux personnes.

— C'est qui cette Chiara ?

Il vient de me faire un clin d’œil ? Je rougis jusqu'aux racines et me détourne, complètement paralysé par la gêne.

— Une amie à moi.

— C'est top ça Sam ! Pourquoi tu m'en as pas parlé avant ?

— Parce que je pensais que le fait que j'aie déjà un ami avec Damian te suffisait.

— Damian est un petit con prétentieux et arrogant, je n'approuve pas cette amitié, aussi étrange soit-elle. Couvre-feu à minuit, tu as cours demain.

Je soupire, et le laisse à ses réflexions inutiles sur ''Les bons amis à avoir'' dans sa cuisine pour aller me préparer à l'étage.

Depuis la semaine dernière, je n'ai presque pas eu de nouvelles de Damian. Il a complètement séché la fin de semaine dernière, et est revenu fier comme un coq lundi matin, comme si rien ne s'était passé. Duke lui a fait une ovation, Chiara l'a critiqué, j'ai juste observé.

Les marques sur son visage avaient presque disparu, et il semblait avoir relâché un peu de la tension qui le dérangeait lors de sa nuit improvisée dans ma chambre.

Lundi, il m'a ignoré. Mardi, il est venu me dire bonjour à mon pupitre en salle d'algèbre. Mercredi il m'a invité à manger à sa table, mais j'ai refusé. Et aujourd'hui, il m'a carrément attendu à la sortie du lycée pour relancer son invitation concernant la soirée chez Julio. Il avait un air tellement dépité que je n'ai pas pu refuser.

Grossière erreur, car je n'avais pas prévenu Rafaël – du moins pas officiellement – et n'avais pas de costume. Alors au dernier moment, Chiara et moi sommes allés au premier bazar du coin pour trouver de quoi nous fondre dans la masse ce soir. Sorcière pour elle, diable pour moi.

Le garçon sur l'image de la boîte qui contient le costume est maquillé en rouge et a peint ses lèvres en noir ; je n'ai pas le temps pour ça, les autres reconnaîtront bien mon costume si je me contente de porter les cornes et la queue ?

La soirée est à vingt-et-une heure trente, il me reste vingt minutes. Car bien sûr, c'est ce soir que Rafaël a décidé de bien traîner pour se mettre à table, conduisant ainsi à un nettoyage de table et une vaisselle faite à la hâte il y a dix minutes à peine.

Un nouveau message de Chiara : « Mon déguisement est super court, j'ai l'impression d'être déguisée en pute, pas en sorcière ». Je lui réponds d'un simple smiley qui rigole : j'aurai l'occasion de me moquer d'elle dans quelques minutes.

La maison de Julio, c'est celle où j'ai retrouvé Damian il y a deux semaines, après une soirée qui l'a conduit à vomir ses tripes sur le trottoir après s'être enfoncé les doigts dans la gorge. Je prie, j'espère que tout se passe pour le mieux.

Il y a déjà du monde à l'extérieur, et au vacarme, je devine qu'il y a sans doute le double à l'intérieur. La maison a été décorée de lampions orange et noir, une large citrouille nous observe arriver depuis son perchoir à la fenêtre du premier étage. Quelques filles peu vêtues discutent entre elles dehors, et amorcent mon arrivée d'un drôle d'air. Je remarque que l'une d'elles commence à se lever pour m'interpeller quand une blonde que je reconnais comme étant Lu la retient, et m'adresse un large sourire.

— Calme Cassie, c'est un bébé certes, mais un bébé pote avec le prince.

— Bordel, entre lui, Duke et sa bande, et Dam, on se croirait à la fête de l'école primaire. T'as un couvre-feu mon chou ?

Je sens mes oreilles s'enflammer, et me dépêche de rentrer à l'intérieur.

Premier choc : ça sent le shit à plein nez, des murs de fumée de cigarette et de joints rendent la visibilité presque nulle, et des vapeurs d'alcool me vrillent les narines.

Et moi qui pensais faire mon lycée en restant pur de toutes ces soirées qui me terrifient, voilà que je me jette littéralement dans la gueule du loup.

Un mec déjà ivre me bouscule, s'excuse en rigolant comme un demeuré, et je m'enfonce un peu plus dans cet enfer. De la musique résonne à mes oreilles et semble vouloir me percer les tympans. Aux murs des spots lumineux, des guirlandes de LED multicolores.

Et des corps. Partout des corps, qui bougent, qui se meuvent, s'entremêlent, se complètent puis se séparent.

Je plisse les yeux pour mieux voir à travers ces flashs lumineux et ces ombres déformées par la fumée. J'ai envie de faire demi-tour d'un coup, mais une main sur mon épaule m'en empêche.

— Alors comme ça, mes vices ont finis par déteindre sur toi ? Bienvenido.

Je me retourne, et ne suis pas étonné de tomber sur Damian, sourire en coin, air suffisant collé au visage. Il avise mon accoutrement, et je l'imite.

Oh.

— Tu es quoi, un démon ?

— Ouais, tu vois pas, j'ai des cornes.

Je secoue mon serre-tête avec l'espoir qu'il ne se moque pas trop de moi tandis que mon regard reste bloqué sur son propre déguisement.

— Et toi tu es...

— Harley Quinn, mais en mode basané. Et mec, aussi.

Du bleu sur l’œil droit, du rouge sur le gauche, qui dégoulinent le long de son visage comme si il avait pleuré. Et effectivement, la même tenue grotesque que Harley Quinn dans le film ''Suicide Squad'' : un tee-shirt de base-ball un peu court, un short très – beaucoup trop – court bicolore, bleu et rouge lui aussi, et une paire de baskets blanches.

Ariana l'a vraiment laissé sortir comme ça ? Et Chiara qui se plaignait du fait que sa robe pouvait être courte, elle va pouvoir relativiser.

Il m'offre un sourire, et je remarque que ses yeux sont déjà un peu rouges.

— Tu fumes ?

Le pétard entre ses doigts m'avait échappé jusqu'alors. Je refuse poliment et il m'entraîne à sa suite parmi les invités qui se déhanchent sur un quelconque tube aux accord répétitifs. Des rythmes de latino urbain enflamment les esprits et les corps.

Je ne me sens définitivement pas à ma place ici.

— Putain les gars, Dam nous a ramené un nouveau !

L'exclamation vient d'un type négligemment assis sur l'accoudoir du canapé, gobelet rouge à la main, cigarette au coin des lèvres. Il doit être en dernière année, est tatoué d'un peu partout, et a le crâne à moitié rasé.

Au-delà du mal-être, j'ai désormais peur pour ma vie.

— Viens nous le présenter.

Mon camarade – ami ? – joue encore un peu des coudes pour atteindre l'homme et lui emprunte sa cigarette pour en tirer une bouffée.

— Julio, je te présente Samuel. Mon voisin d'en face depuis peu. Il est cool, mais il fume pas et boit pas non plus.

— Sérieux ? T'es quoi, un saint ?

Julio s'étire, longuement, et passe un bras autour des épaules de Damian pour l'attirer contre lui.

— Quel âge t'as gamin ? Quatorze, comme lui ?

— Euh, ouais.

— Donc tu as le droit de picoler! Meli, apporte-nous une bière pour Samuel !

Son autre bras entour mes épaules, et la fameuse Meli ne tarde pas à me coller un large gobelet rempli de bière entre les mains.

Et, je ne sais pas si c'est la pression de Julio juste à côté de moi, ou un simple besoin de me fondre dans la masse, mais je bois ce verre, en entier.

   Chiara n'a pas pu entrer. Elle est resté bloquée dehors. De ce que j'ai compris, les filles de la bande à Lu ont prit un réel plaisir à jouer sur son âge et à lui soutenir que tous ceux à l'intérieur étaient au moins en troisième année. Elle n'a pas insisté, et est partie, non sans m'envoyer un message où elle ne se gène pas pour insulter la ''reine des connasses'' de tous les noms.J J'ai hésité à repartir avec elle,vraiment. Mais quelque chose, un sentiment étrange m'a poussé à rester là, avec Damian, avec ces gens aussi étranges qu'intriguants.

La soirée bat son plein, il est déjà minuit passé. Je n'ai bu que ce gobelet de bière, et déjà la tête me tournait. Alors je me suis arrêté là, troquant les bulles pour du jus d'orange. Ça sent la sueur et l'alcool autour de moi, et ce cocktail détonnant commence lentement à me faire mal à la tête. J'ai un peu discuté avec Julio, et aie perdu Damian de vue. Disparu entre les ombres mouvantes sur la piste de danse, il va m'être compliqué de le retrouver.

Mamacita des Black Eye Peas débute dans les énormes enceintes situées ici et là de la pièce centrale, et je constate un véritable mouvement de foule. Les gens se retrouvent en binôme, se collent l'un à l'autre, se déhanchent d'une façon aussi sensuelle que rythmée.

Une fille à peine plus vieille que moi, à en croire son visage poupon, m'attrape et commence à danser contre moi. Peu à l'aise avec ce genre de danse, j'observe le tissu de sa jupe remonté un peu plus à chaque fois qu'elle me donne un coup de hanche. Très maladroit, je pose une main sur sa taille, et elle accélère le mouvement, hurle ''Mamacita ! » en même temps que les autres.

Et alors, je le localise. À quelques mètres de moi, exerçant la même danse obscène que ma partenaire contre un type qui doit largement dépassé les quinze ans, ses mouvements décousus et erratiques me font douter de sa pleine conscience.

Le mec derrière lui tient ses hanches à pleines mains, et le rapproche de plus en plus de lui à mesure que la chanson s'écoule et que les lumières s'affolent.

Distrait, j'attrape les mains de la fille, la fait tourner du mieux que je peux, et me rapproche de Damian et son binôme. Je vais l'échanger avec lui, le tirer de la prise plus que dérangeante que ce type exerce sur sa taille.

Nouvelle valse, nouveau tour sur la pointe des pieds, le type qui danse avec Damian m'imite, et récupère la fille entre ses bras. Même parade grossière, tandis que j'étreins désormais Damian à la place de ma précédente partenaire.

— Je t'ai vu me mater depuis l'autre bout de la piste, me susurre t-il à l'oreille.

Il colle ses hanches aux miennes, et je rougis jusqu'aux racines : en réalité, le type ne le forçait pas à se frotter à lui de la façon vulgaire dont Damian le faisait. C'était même tout l'inverse.

Ses bras passent derrière moi, et bientôt il se retourne, pour me coller ses fesses à peine couvertes de son mini-short contre les hanches.

Pourquoi Diable a t-il fallu que j'accepte cette invitation foireuse ? Je n'ai jamais été aussi gèné de toute ma courte vie.

Dans sa main, il tient toujours un gobelet d'alcool qu'il descend d'une traite avant de le jeter par terre, les bras en l'air.

— Allez el principe !

Le cri vient de je ne sais où, mais est repris par plusieurs autres voix.

Je ne sais pas où mettre mes mains, et attends seulement une chose : que cette chanson se termine et que j'aille me terrer au fin fond d'un trou où on ne me retrouvera jamais. Damian continu de se mouvoir contre moi, et son odeur, mêlée à celle de tabac et de bière qui flotte autour de nous m'enserre la gorge et m'étourdit. Ses mouvements sont fluides contre moi, et je peux voir les muscles de ses cuisses se contracter à chaque ondulation.

Le frottement commence à m'échauffer, alors je me dérobe, recule, et quitte la piste de danse sous le regard fiévreux de Damian, prétextant un besoin urgent d'aller me soulager aux toilettes.

Il n'est pas dupe, mais n'en montre rien, préférant retourner se nicher au creux des bras de Lu.

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