8 - Damian
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Damian
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Lorsque j'ouvre les yeux cette nuit-là, je sens du mouvement sur ma gauche. Un froissement des draps, puis un bras qui tâtonne pour allumer la lampe du bureau. En un éclair, la pièce est inondée d'une abominable lumière crue qui me déchire les yeux.
— Hé, ça va aller.
Une main glacée se pose sur mon épaule et je me concentre pour ne pas trembler.
— Tu as fais un cauchemar je crois.
Mes yeux cherchent la silhouette de Samuel dans le noir, et il me faut un moment pour comprendre que c'est lui qui se tient là, assis dans le lit juste à côté de moi.
Il me tend une bouteille d'eau que j'attrape avant d'en boire quelques longues gorgées. Le liquide tiède me fait un bien fou. Il éteint le brasier dans mon ventre, atténue la douleur.
— T'as envie d'en parler ?
Je secoue la tête, lui rends sa bouteille, et me recroqueville dans le lit. Il accompagne mon mouvement après avoir éteint la lumière, et pose une main rassurante contre mon cou. De son index, il retrace ma jugulaire, en me chuchotant que tout va bien, que ce n'était qu'un cauchemar. Un ridicule cauchemar qui ne peut désormais plus m'atteindre. Sa peau est glaciale contre la mienne, que je sais brûlante. Le contact me fait du bien et me détend.
— Je suis là.
…
Samuel n'est plus à côté de moi lorsque je rouvre les yeux, éveillé par la douce lumière du jour perçant à peine à travers les volets rabattus. Les draps sont encore chauds à sa place, mais il ne semble plus être dans ma chambre.
Dans ma tête se rejouent rapidement quelques bribes de souvenir, que je ne saurai interpréter : rêve, réalité, il m'est difficile de faire le tri alors que dans ma tête, c'est encore un vaste désordre.
Des pas précipités m'interpellent dans le couloir, et avant même que je n'aie pu dire quoi que ce soit, la porte s'ouvre et Miguel accourt jusqu'à mon lit avant d'y monter pour s'étendre à côté de moi. Ses cheveux sombres lui retombent en jolies boucles sur le front, et avec un petit sourire en coin, il me touche le bout du nez.
— Dami, il est presque midi.
Je ronchonne, le repousse pour mieux le rapprocher de moi par la suite, dans une étreinte qui le surprend et le fait rire. Il rue, essaye de se dégager en vain : cheerleader est plus qu'un moyen de divertir le public des matchs, nous fréquentons autant la salle de sport que les footballeurs, et Mikky vient de l'apprendre à ses dépens.
— Damian !
— Quoi ? C'est toi qui m'a attaqué le premier !
— Je t'ai juste touché le nez !
Il rit encore, se débat toujours, et je finis par relâcher ma prise lorsque je le sens prêt à se calmer.
Tranquillement, il se rallonge correctement à côté de moi, et plante ses yeux dans les miens.
Les gens disent souvent que j'ai des yeux de chat, de par leur couleur et la façon que j'ai de toujours avoir un air méprisant au visage. Mikky et Danny eux, ont des yeux plus ronds, moins perçants, mais toujours de cette jolie couleur émeraude léguée par maman.
— Tu es fâché avec Ariana ?
— Non Mikky, c'est plutôt elle qui doit être fâchée après moi.
— Non. Et tu sais pourquoi je le sais ?
Je hoche négativement la tête, et il me retouche le bout du nez de son petit index tendu.
— Parce que hier soir, quand tu es monté avec Sam, elle a pleuré. Elle a essayé de se cacher les yeux, mais avec Danny on a tout vu.
Mon cœur se serre dans ma poitrine, mais je n'en montre rien.
Craquer devant Samuel m'a déjà bien suffi hier soir. Et à en croire Mikky, Rafaël a dû assister au même désastre avec Ariana.
Bienvenu chez les Cortez, qui se prétendent durs et invulnérables, mais qui n'hésitent pas à chialer dès qu'ils en ont l'occasion.
— Vous avez eu peur hier au match ? je demande finalement en jouant avec ses cheveux.
Il détourne le regard un instant, pince ses lèvres, avant de hocher la tête.
— Oui.
Il ne semble pas très à l'aise, et me le montre en commençant à triturer mon drap entre ses doigts.
— T'étais pas là, et Ariana elle nous a dit de partir...
Il s'arrête, cherche ses mots, et se rapproche un peu plus de moi.
Son visage se niche au creux de mon cou, et je soupire en caressant distraitement son dos.
Eux aussi devaient en avoir lourd sur le cœur hier soir, et nous avons fui le problème en les collant devant un film. Peut-être que madame Kaya a raison : on est une famille pourrie.
De nouveaux pas dans le couloir, puis la porte qui se rouvre sur Samuel, un large sourire aux lèvres et une tasse à la main.
Ça sent le chocolat chaud d'ici.
— Quand vous aurez fini de ronfler tous les deux, vous pourrez peut-être venir nous rejoindre en bas ?
Je gronde, et observe Mikky sauter du lit pour aller étreindre Samuel avant de dévaler les escaliers.
Plus paresseux, je me redresse en m'étirant avant de bâiller, pour seulement ensuite poser mes yeux sur Samuel, qui n'a pas bougé d'un millimètre.
— Je pensais que tu serais rentré chez toi, je murmure en me relevant.
— Et pourquoi ça ? Je te signale juste que ta sœur fait grave bien à manger par rapport à Raf.
— Vraiment ? Alors ton frère doit vraiment être une tanche. Elle a déjà réussi à louper du riz une fois.
Il rit, et je l'imite, tout en enfilant un jogging par-dessus mon caleçon.
Samuel m'attend jusqu'à ce que je le rejoigne sur le pas de ma chambre. De là, je lui subtilise sa tasse et en bois une bonne gorgée avant de la lui rendre.
— Je croyais que t'aimais pas le chocolat chaud ?
— Y'a plein de choses que tu ignores sur moi.
Il me donne un coup de coude dans les côtes, et je lui grogne dessus avant de descendre les escaliers avec lenteur.
Je crois que malgré la conversation que je viens d'avoir avec Mikky, je ne suis pas totalement réveillé.
— Dis...
Il tourne la tête vers moi, m'indiquant de poursuivre, mais ma question reste en suspend.
Je voudrais lui demander ce qui s'est passé cette nuit, pourquoi il était réveillé lorsque moi-même j'ai ouvert les yeux. J'aimerais qu'il m'assure que je n'ai pas à nouveau craqué pendant mon sommeil.
Sauf que je ne dis rien non, et accélère le pas pour rapidement rejoindre la salle à manger.
— Enfin, s'exclame Fiona, une poêle à la main. Ça va Aurore ?
— La Belle aux bois dormant ? me demande Samuel.
— Fiona adore les Disney. Elle a beau avoir bientôt vingt-cinq ans, elle a un QI de primaire.
La concernée me lance un regard outré, mais ne fait aucun commentaire, préférant terminer de répartir le bacon dans les différentes assiettes.
Ariana est attablée devant le journal du jour, et le lit en sirotant un café qui me fait de l’œil.
— Bonjour, murmure t-elle sans lever les yeux de son journal.
Je lui réponds du même ton détaché, et constate que Samuel et Fiona échangent un regard ahuri.
— Tu décolles à quelle heure déjà ? s'enquit Fiona en secouant l'épaule de ma sœur.
Elle lève enfin la tête de son torchon aux titres racoleurs, et jette un coup d’œil à l'horloge.
— Dans une demie-heure à peu près.
— Tu vas où ?
Elle darde son regard dans le mien, et je constate une certaine rancœur au fond de ses yeux sombres. Cependant, elle n'en montre rien et avale un morceau de bacon avant de me répondre.
— Je vais voir notre cher et tendre frère. Fiona va vous garder.
— On a passé l'âge d'avoir une baby-sitter.
— Le jour où je te rejugerai assez mature pour t'occuper des jumeaux, on en rediscutera.
Sa pique me fait l'effet d'un coup de poing dans l'estomac. Mais comme elle, je maîtrise parfaitement l'art du masque, et décide d'appliquer celui de l'arrogance pour cacher la blessure.
— Je demanderai à mon éducateur comment être mature, c'est juré.
— Parfait, tu as rendez-vous avec lui lundi à quinze heures.
— J'ai entraînement.
— Non, tu as éducateur.
Elle termine son assiette avec raideur, et débarrasse ses affaires alors que nous commençons à peine à déjeuner, Samuel et moi.
— Elle est en colère je crois, me glisse Samuel.
— Bravo génie, comme si j'avais pas remarqué.
Il hausse un sourcil, et je fronce les miens.
— Ah aussi, reprend Ariana en revenant dans la salle. Jusqu'à ce que tu n'obtiennes ta propre arme, une fois que tu seras officiellement dans le gang, j'ai caché les miennes. Interdiction d'y toucher. Histoire que la prochaine fois que j'ai à m'en servrir, elles soient chargées.
Et elle repart dans la cuisine.
Mon sang ne fait qu'un tour, et je me lève de table pour la suivre, les poings serrés.
Elle me tourne le dos lorsque j'entre dans la pièce, et ne me jette qu'un regard désintéressé par-dessus son épaule.
— T'es en colère ?
— À toi de me le dire ? Ce n'est pas moi qui me suis enfui dans ma chambre hier.
— Tu peux comprendre que j'avais pas envie de parler ?
— Tu peux comprendre que j'avais pas besoin de ça en plus ?
Sa voix claque comme un fouet, mais elle ne me regarde toujours pas.
— Jusqu'à preuve du contraire, je n'ai rien fait de mal hier ! gronde t-elle en essuyant une assiette.
— C'est pas la question !
— Si, justement ça l'est. Quoi, t'avais peur que je t'engueule pour cette putain d'arme déchargée, ou peur de constater ce que ça fait d'être pris dans un règlement de compte ?
Elle remonte la manche de son tee-shirt, et exhibe le bandage avec un air de défi au visage.
— Une balle, qui m'a traversée l'épaule de part en part. J'ai du cautériser, et ça fait super mal. Et tu sais pourquoi je n'ai pas été à l'hôpital, parce que j'aurai pu hein ? Pour que madame Kaya ne soit pas au courant, et qu'elle n'ai pas une nouvelle raison de vous placer ! Et après c'est toi qui oses faire la gueule et m'éviter ?
Le sang bouillonne dans mes veines bien qu'une vague de froid ait balayé mes entrailles.
— Alors, répond-moi, avec ta super répartie. Vas-y Dam.
J'inspire par le nez, et pour la première fois depuis longtemps, je n'ai pas les mots. Je ne trouve rien à redire, et pire encore, approuve tout ce que Ariana vient de me balancer à la figure.
Elle a raison sur toute la ligne. Hier, j'ai préféré battre en retraite plutôt qu'assumer l'arme vide et la vision du bandage. Plutôt que de savoir comment elle s'était tirée de l'arme sur sa tempe.
Ce qu'elle me dit, bien que douloureux, est mérité.
Mes poings se serrent un peu plus, mais je ne rétorque rien. À la place, je laisse mes épaules s'affaisser, et tourne les talons.
— On en reparlera, lorsque je serai plus à même de raisonner avec calme !
Elle me crie ces derniers mots alors que je gravis rapidement les escaliers menant à ma chambre, sous le regard étonné de Samuel.
Il tente de m'interpeller, mais je ne l'écoute pas, et m'enferme dans la salle de bain pour me laisser glisser contre le panneau de bois.
Mes doigts tremblent, et de la sueur me dégouline le long de la nuque. Et, malgré mes efforts pour maintenir une respiration convenable, je sens tout de même une différence s'opérer ; mon souffle se hache, et je relâche l'air par petits coups.
Mon portable vibre à côté de moi, et ce n'est qu'à ce moment que je remarque que je l'ai laissé tomber sur le carrelage.
« Phase 2 cette après-midi, on se retrouve où tu sais » - Donni.
Je me mords intensément la lèvre, repense à la fusillade hier soir, à l'air neutre de Ariana alors que l'arme était contre sa tempe, à l'angoisse de ne pas savoir où étaient partis les jumeaux et Samuel. Puis je repense à madame Kaya, l'éducateur que je dois rencontrer lundi, l'ombre du foyer au loin.
Je veux pouvoir protéger comme Ariana le fait. Et je veux aussi conserver ma famille.
Alors je réponds « oui », et je me recroqueville en enfouissant mon visage dans mes genoux.
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