20 - Damian
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Damian
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— Tu te fiches de moi en fait, c'est ça ?
Je roule des yeux, soupire en avalant une longue gorgée de milk-shake à la vanille, et cherche du soutien du côté de Fiona. La meilleure amie de ma sœur se contente de hausser les épaules avec légèreté, le sourire aux lèvres.
Ariana me fixe, hallucinée, et m'encourage à réitérer ma demande, incisive.
— C'est chez Duke, et...
— Damian Cortez, tu vas m'écouter et mémoriser mes mots : sous emprise ou pas, tu as enfin réussi à rentrer dans le gang de façon officielle en perforant la gorge d'un mec influent des King100. J'ai été relativement indulgente avec toi car je suis convaincue que tu as été embarqué par Donni mais bref, là n'est pas le sujet. Jusqu'à nouvel ordre, les sorties c'est out, et ça comprend les soirées, même si elles sont chez Duke.
— Samuel va y aller lui.
— Grand bien lui fasse, mais toi c'est non.
Son ton est intransigeant. Elle termine sa rebuffade en me désignant la fenêtre de la cuisine et hausse les sourcils.
— C'est pas pour être méchante avec toi, mais tu comprends que sortir tes petites fesses en ce moment c'est clairement pas une bonne idée.
— … et si tu me donnes un couvre-feu ?
— Damian !
Elle gronde, alors je me tais, et termine mon goûter en broyant du noir, les épaules affaissées et le regard perdu dans le vide.
Nous sommes samedi, et cela fait officiellement deux jours que je fais partie du gang à proprement parlé. Deux jours que j'ai pressé cette putain de gâchette, et que je ne m'en rappelle même pas. Deux jours que Raf m'a fait la morale avant de se faire percuter par ma sœur qui depuis, l'évite comme la peste.
L'ambiance à la maison est invivable : la tension que génère Ariana se répercute sur tout le monde, des jumeaux à moi en passant par Fiona qui bien que d'un naturel avenant, finit par petit à petit tomber dans le gouffre de la mauvaise humeur.
Rapidement, je termine mon verre et le pose dans l'évier avant de grimper mes escaliers jusqu'à ma chambre.
Qu'elle le veuille ou non, j'irais à cette soirée. Il n'y a aucun risque : il ne fait pas partie du gang, n'a été aperçu qu'une fois en notre présence par les hommes des King.
Mon estomac virevolte un peu, je m'interroge, je doute, encore. Depuis cette fameuse nuit où j'ai appelé Samuel au secours, je me sens fragile et manipulable.
Je suis persuadé de ne pas avoir pris d'ecstasy, et je ne vois pas pourquoi Donni irait en mettre dans ma nourriture : suite à notre agression au parc, j'avais été clair sur le fait que je n'avais plus peur de presser la détente. J'étais prêt à le faire, et ce sans avoir besoin de tourner à la MD.
C'est pourquoi, le doute, l'incertitude, me polluent la vie depuis. Mes gestes sont-ils les bons ? Est-ce que je transmets les bonnes informations ?
Je gronde, et envoie un message à Samuel :
« Tu passes ? » - Damian.
« Et en quel honneur ? :) » - Samuel.
« En l'honneur que j'ai genre trèèès envie de te voir, là, tout de suite » - Damian.
« Laisse-moi le temps d'enfiler un pantalon et j'arrive » - Samuel.
« Tu peux venir sans » - Damian.
« T'es con » - Samuel.
Je souris en rangeant mon portable, et vais m'allonger sur mon lit après avoir lancé de la musique sur mon enceinte.
Quelque chose de doux pour une fois, rien de trop explosif.
Hugo m'a renvoyé plusieurs messages depuis deux jours, me demandant de venir le voir, que nous avions à parler : j'ai refusé. Sans vraiment l'admettre, je ne suis pas prêt à aller me faire tatouer, à récupérer ma nouvelle arme. C'est stupide car après tout ce que j'ai enduré, et fait endurer à mes proches depuis deux mois, je devrais être impatient, fier et satisfait de mon nouveau statut. Ce n'est pas vraiment le cas. Dans ma tête, ma phase trois est un champ de mine, du coup je n'arrive pas à me fixer sur le fait qu'il s'agisse de ma ''réussite'' ou non.
Love me Now de John Legend débute dans mon enceinte, mais je n'ai pas la force de me relever pour changer de titre.
Alors j'écoute, les bras croisés derrière la tête, jusqu'à ce que ma porte ne s'ouvre sur Samuel qui tel une flèche, vient s'étendre sur moi, m'écrasant de tout son poids.
Sous le choc, j'expire brutalement et l'entends rire à s'en déchirer les cordes vocales.
— Tu veux un pot de glace à la vanille pour aller avec ce que t'écoutes ?
— Ta gueule. C'est en aléatoire.
— Oh I'm gonna love you now, like it's all I have, chantonne t-il contre mon oreille.
J'essaye de l'écarter alors que de bien meilleure humeur que moi, il se met à chanter à tue-tête ce titre que d'ordinaire, je dédaigne avec application.
Ses mains caressent mon visage à mesure qu'il chante – faux – et que ma patience atteint ses limites.
— Sam, je me plains en essayant une nouvelle fois de l'écarter.
— … quoi ?
Je rue, bouge sous lui pour le déloger, et finis par abandonner, plus dérouté qu'autre chose par un contact contre ma jambe, qui fait immédiatement taire mon petit ami.
Un sourire narquois naît sur mes lèvres, et je plante mon regard dans le sien.
— Ce serait cool que tu sortes le twix que t'as dans la poche.
Un furieux rougissement le prend, du cou jusqu'aux racines, et il se recule vivement, les mains devant l'entrejambe.
— Sam détend-toi, j'ai déjà vu un mec en érection, je marmonne sans même me lever.
— Ouais, cool, couine-t-il en s'asseyant sur le rebord du lit.
— À en croire ta réaction, on dirait que c'est la première fois que...
Je hausse un sourcil et me rapproche de lui, à quatre pattes sur le lit pour le forcer à me regarder.
Depuis le début de notre relation, nous n'avons jamais vraiment parlé du côté sulfureux de la chose avec Samuel. Je crois même pouvoir dire qu'il fuit le sujet avec application.
Je l'ai déjà vu en érection une fois, lorsque je m'étais endormi sur son torse. Il a prétexté un besoin urgent d'aller aux toilettes, la bonne blague.
— Sam... tu l'as jamais fait ?
— On peut changer de sujet ?
— T'as l'Empire State Building dans le caleçon alors je pense que c'est le bon moment pour en parler.
Il tourne enfin son visage saturé par la honte vers moi, alors je l'empaume d'une main habituée, et arrive à capter son regard fuyant.
— C'est pas la honte tu sais ?
— Ouais c'est ça... tu sais je suis au courant de ton historique à ce niveau.
— Et ? C'est quoi le problème ?
Il lâche mon regard, et fixe le mur, une main toujours appuyée sur la bosse que je devine douloureuse dans son jean.
Attentif, je m'assois en tailleur à côté de lui, et attrape sa main pour la déloger et l'apporter à mes lèvres.
— T'as peur de pas être bon, c'est ça ?
Ses lèvres restent scellées, mais au léger mouvement de sa tête, je comprends que j'ai touché juste.
Il est tellement attendrissant, je ne peux pas résister.
Vivement, je me redresse pour m'asseoir sur ses genoux, face à lui, mon visage à quelques centimètres du sien.
Étourdi par mon geste, il balaye mon visage d'un souffle court et brûlant, tandis que j'ondule contre lui, un sourire rassurant aux lèvres.
— Dam je...
— Tu me laisses faire, ok ?
Il hoche doucement la tête, tandis que ma bouche se noue à la sienne, et que de mes mains, je retrace ses muscles contractés par la tension, d'abord par-dessus, puis au-dessous de son tee-shirt.
Ses mains tremblent un peu lorsque hésitant, il les pose sur mes hanches pour me tenir en place.
— T'as déjà couché avec beaucoup de garçons... ?
— … ça a de l'importance ?
— Non, je... peut-être ?
Ma main, celle qui ne s'applique pas à faire frémir sa peau sous son toucher, se pose sur son entrejambe. Samuel a un mouvement de recul, alors je le serre plus fort contre moi, dépose une ligne de baiser le long de sa mâchoire.
Il déglutit, et attrape mon visage pour capter mon regard.
— Dam, je suis pas prêt.
— Je sais mon cœur, je veux juste que tu comprennes que t'as pas besoin d'être excellent pour valoir le coup. Moi juste ça...
J'accentue ma prise sur son érection à travers le tissu, et lui arrache un gémissement étouffé entre ses lèvres serrées.
— … ça me suffit. Je m'adapterais à ton rythme. On a le temps après tout.
Il hoche la tête, et embrasse mes lèvres, mon nez avant de coller son front au mien et de fermer les yeux, le sourire retrouvé aux lèvres.
— T'es vraiment beau à tomber, me susurre t-il.
— Chut, me dis pas des trucs pareils. Je suis en mode ''contrôle'' là, mais...
Joueur, je lui mords le lobe de l'oreille, il geint, avant de me serrer un peu plus fort contre lui.
— Tu m'en veux pas ?
— ... bien sûr que non. Par contre va te passer à l'eau froide, tu dois douiller là.
Il rougit à nouveau, et je lui donne une tape sur la joue avant de quitter ses genoux, le sourire aux lèvres. Il trottine jusqu'à la salle de bain, et je m'écroule sur le dos, une seule pensée en tête : depuis qu'a débutée ma trépidante vie sexuelle, il sera le seul pour qui j'aurais accepté d'attendre. Le seul pour qui j'accepterai de laisser passer le temps, l'envie au besoin, le désir au manque d'oxygène.
Quelle merde. Mon cœur bat fort dans ma poitrine, flou dans ses mouvements et ses besoins.
Je ferme les yeux, et inspire à pleins poumons, réprimant de toutes mes forces mon envie naissante et mon besoin presque animal de le rejoindre dans cette putain de salle de bain.
On a le temps, tout le temps qu'on veut.
…
Il fait terriblement chaud à l'intérieur, les effluves d'alcool et de transpiration rendent l'air difficilement respirable. La musique en fond, bien différente de celle qui passe à nos soirées chez Julio, se rapprocherait plutôt de la pop urbaine classique, mêlant anglais, quelques titres en espagnol, beaucoup d'argot, beaucoup de sons dansants.
Les verres au-dessus de la tête, je me fraye un chemin jusqu'à l'endroit où j'ai abandonné Duke et Samuel, qui je le remarque en arrivant, ont été rejoints par Chiara.
— Ils t'ont laissé entrer, je souris en l'avisant.
— Bizarrement, moi qui pensais que cette soirée était réservée aux cassos, le prenez pas pour vous Sam et Duke.
Mon petit ami hausse les épaules, et Duke rigole, un peu fort, un peu trop bruyant : si ce soir j'ai ordre de tourner à la bière, ce n'est pas le cas de mon ami, qui enchaîne son troisième verre de vodka. Je tends son verre de bière à Samuel, garde le mien, et offre un sourire mesquin à Chiara :
— Je t'en ai pas pris, tu m'en veux pas j'espère.
— Ta jalousie est ridicule.
— Ton existence est ridicule.
— Sois pas si cruel, ça donne des rides, persifle t-elle.
Je grince des dents, avale une gorgée de bière pour cacher mon mécontentement.
J'ai prévenu Lu que je me rendais à cette soirée, au cas où Ariana les appelait, et je sais qu'elle le fera : ils ont ordre de lui mentir en affirmant que je me trouve avec eux, vexé de ne pas avoir pu aller à cette soirée même où je me trouve. Samuel est dans le coup, et a prévenu Rafaël qu'il ne rentrerait pas tard, la soirée sans moi ayant je cite ''peu d'intérêt''.
C'est agréable, d'être entouré uniquement de gens du lycée, de visages familiers et quelque peu rassurants. Pas de Lenni en vue, aucun membre des King, mais pour une fois, le reste des invités ne se résume pas à des bouffeurs de maïs comme Chiara et moi. Quelques afro-américains, des asiatiques, il y a même quelques blancs.
Duke me passe un bras autour des épaules, et sourit en me faisant lever la tête vers les lumières au plafond.
— T'entends ça... ?
— Oh, tu gères mano.
Je souris, et fais signe à Samuel de me suivre.
Dorado de Mahmood pulse dans les enceintes. Un peu à la façon de notre première danse, il y a quelques semaines de ça, je passe mes mains derrière son cou, et me laisse porter.
— Vous avez le don de faire des chansons hot les latinos, sourit-il contre mon oreille.
— Tu trouves ? C'est vrai. T'aimes bien... ?
Restes de mon excitation de tout à l'heure, je lui plante un baiser dans le cou, le fait frémir.
Les corps autour de nous nous imitent, se meuvent et se confondent au son de la chanson, au rythme des spots lumineux connectés. Les halos lumineux bleus, rouges, verts, jaunes, me donnent le tournis à mesure que Samuel me fais tourner et que je lui apprends à bouger comme le veut cette chanson.
Ses doigts courent le long de mes flancs jusqu'à saisir mes hanches à pleines mains, possessif et puissant.
Du coin de l’œil, j'avise Isak et Meli : mon ami m'accorde un pouce en l'air et un large sourire.
Je lui réponds d'un hochement de tête, et vais pour coller mon dos contre le torse de mon petit ami lorsqu'au loin, presque imperceptible, presque inexistant, un bruit de verre brisé se fait entendre.
Puis quelques cris, rien de bien alarmant : il pourrait s'agir de cris d'enthousiasme.
Samuel a des années lumières de ce qui est en train de se jouer autour de nous, plante un baiser contre ma nuque, y laisse une légère trace de morsure, et me murmure quelques mots à l'oreille.
Je l'écoute, ondule, m'apprête à lui répondre lorsque la lampe au-dessus de nous explose dans une pluie de verre, réduite en poussière par une balle tirée à quelques mètres. J'ai le temps de repousser Samuel au loin, sans aucun ménagement, et de moi-même m'abriter la tête des mains, tandis que le silence se fait autour de nous. Seule la musique continue de tourner. Les voix, les rires, tout s'est arrêté d'un coup.
Mes yeux fermés se rouvrent et je déchante, le cœur battant.
Un canon d'arme est pointé sur moi, sur ma tête, en face de mon visage.
— On a pas reçu nos cartons d'invitation je crois, murmure le type qui tient l'arme.
Je déglutis, sens mes jambes trembler sous moi avant que je ne me reprenne durement : il ne doit pas avoir la satisfaction de me voir faiblir, tout va bien.
— Lenni fais pas le con là, pose ça, le somme Duke en levant les mains.
— Toi reste à ta place, où je te plante avec lui, putain de traître !
Lenni crache par terre, et ses compagnons l'imitent. Je vois Duke baisser la tête, trembler, avant de relever des yeux désolés vers moi.
Non, tout ne va pas bien, en fait. Pas du tout même.
Ariana, avait raison.
Comme aspiré, mon regard se perd dans le canon infiniment noir, infiniment profond de cette arme, se soustrait à la vision de ces visages amusés tournés vers moi.
Lenni, et quatre amis à lui, se sont invités, armés et dangereux, avides d'une revanche.
Mon esprit, pas encore anesthésié, fait le point. Je n'ai personnellement pas d'arme sur moi, et je doute que qui que ce soit ici en ait une sur lui.
Je respire, tente de garder un visage neutre tandis que l'autre avance dans ma direction en agitant son arme, défiant. Les lycéens autour de nous sont pétrifiés, et personne n'ose agir, bouger, parler : l'aurais-je fait à leur place ? Pas sûr.
— Baby Cortez tout va bien ? T'as pas l'air dans ton assiette.
Je vais mourir.
Le sourire aux lèvres, il plaque le canon de l'arme sous mon menton et m'oblige à relever la tête d'un geste vif, douloureux, qui m'arrache un gémissement plaintif. Je m'en veux tellement de lui laisser entrevoir cette faille, me mords la langue pour étouffer une autre plainte, et ai envie de rire jaune lorsque dans l'enceinte se lance Shotgun de George Ezra.
Titre joyeux, à des années lumières de ce qui est en train d'arriver.
— Bah alors, qu'est-ce qui se passe ici ? Personne n'a de quoi tirer ce connard d'affaires ?
Lenni sourit, encore plus largement qu'auparavant, et continue d'agiter l'arme toujours plaquée sous mon menton.
Comment a t-il su qu'on était là putain... ?
Mes yeux balayent l'assemblée, à la recherche d'une aide quelconque, d'une échappatoire : il n'y en a pas.
J'ai presque envie de pleurer.
Mon agresseur m'accorde un large sourire, et rapproche son doigt de la détente lorsque d'un coup, l'impensable se produit. Une arme surgit, lourde et dangereuse entre les mains débutantes qui la tiennent.
Samuel se crispe, et tremble un peu en tenant le canon de l'arme pointé sur Lenni.
Mon agresseur lui coule un regard lassé, et hausse un sourcil.
— Pose ça toi, tu vas te blesser, grince t-il.
— Lâche-le ! s'écrie Samuel.
— À ton avis, qui de toi ou moi tire le plus vite ?
— Sam, pose cette arme, je lance d'une voix étouffée par la position inconfortable de ma tête.
Mon petit ami hoche négativement la tête et resserre sa prise sur la crosse, le souffle court, l'air concentré.
— Lâche ton arme putain !
— Toi d'abord le nouveau, ou je peux te garantir que je vais répandre votre prince sur les murs.
À ces mots je tremble, me tends un peu plus, et m'attire la moquerie de mon agresseur. Autour de nous, le monde est figé : personne n'ose bouger, la terreur a empli la maison. Je me sens faible, inutile, surtout lorsque Lenni agite une nouvelle fois son arme, m'écorche sous la pression. Samuel lui fronce les sourcils et serre les dents.
Il va se faire tuer.
— Samuel lâche ça ! je m'époumone en sentant la peur m'enflammer.
Il m'ignore, et fait un pas en avant, le pas de trop, celui qui franchit la ligne blanche. Celui qui aurait pu le préserver du coup.
Sans que personne ne puisse réagir, Lenni se tourne, braque, et tire à bout portant, une balle rapide et violente qui déchire l'abdomen de mon petit ami. Tout se passe trop vite. J'ai le temps de voir le doigt presser la gâchette, la balle partir, puis transpercer, en quelques micro-secondes.
Je me sens ouvrir la bouche, je me sens hurler, mais n'entends aucun son. Sourd, muet, je ne peux que voir Lenni lâcher son arme, sûrement sous le choc de son propre geste. Il fait un pas en arrière, se retourne vers moi, avise ma posture de poupée de chiffon, avant de faire signe à ses acolytes de quitter les lieux.
Un bourdonnement sourd me vrille les tympans. J'ai envie de me frapper la tête par terre pour évacuer l'angoisse qui s'y accumule. Le monde revit au départ de Lenni, et les esprits s'échauffent. Des formes commencent à courir en tout sens, se rentrent dedans, et au milieu de tout ça, Samuel s'écroule, une main pressée contre l'abdomen. Entre ses doigts crispés suinte un sang sombre et épais qui me donne la nausée.
— Sam... ?
Vous connaissez l'asphyxie ? Celle qui vous oppresse, rend le passage de l'air impossible, fait se rétracter vos poumons dans un mouvement compulsif ? L'angoisse, la vraie, qui vous fait paniquer, vous entraîne au sol, seul à seul avec votre souffle erratique et vos peurs, alors qu'autour de vous les gens ont besoin que vous soyez valide, prêt à agir ?
Un pompier doit ressentir ça. Un militaire aussi, un policier peut-être.
Mais pourquoi moi ?
On scande mon nom à travers la musique et les cris. La lumière des stroboscopes au plafond renvoie sur la piste de danse des flash colorés qui, au-delà de me déchirer les rétines, rend sa localisation impossible. Les gens, la foule m'encerclent pour ne rien arranger à mon état second.
Je cherche l'air, ne le trouve pas, panique encore plus.
— J'arrive pas à bloquer l’hémorragie ! hurle quelqu'un sur ma droite.
La quoi ?
Quelqu'un marche sur ma main. Aucune douleur. Anesthésié, ma vie file entre mes doigts, à travers un écran de fumée et de larmes.
— Quelqu'un a appelé les urgences ?
Nouveaux cris.
Dehors, les sirènes de police, de plus en plus proches, de plus en plus stridentes. Nouveau coup de feu, hallucination ? Réalité ?
Mon visage s'enfouit d'instinct dans mes paumes : je tremble de façon inexpliquée, et surtout inarrêtable. De violents spasmes me secouent comme une poupée désarticulée.
L'air me manque, encore.
Des mains se plaquent sur mes épaules, me secouent d'avant en arrière.
— Reste avec nous, hé !
Des larmes dévalent mes joues : là aussi, comme la main écrasée, je ne sens rien, je ne contrôle plus rien, impuissant. Tout ce vide dans mes entrailles me terrifie et me déchire.
Ne pas savoir, ne pas réussir à me relever pour aller vérifier, ne même pas pouvoir l'appeler, articuler son nom.
Je crois que je suis mort en fin de compte.
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