21 - Samuel
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Samuel
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Je papillonne lentement des yeux. La lumière m'aveugle dans un premier temps, me vrille les rétines et me fait éternuer – réflexe étrange que j'ai depuis toujours, lorsque je suis ébloui, j'éternue.
Mes doigts se crispent dans les draps car éternuer, comme rire, me fait mal au ventre. Ça me tire, là où la balle m'a déchiré. Je grogne doucement, me mords la lèvre, et inspire à pleins poumons l'oxygène délivré par le masque sur mon nez.
Alors, une main vient caresser mon visage, légère et chaude, j'en profite.
En tournant les yeux du côté du fauteuil, je m'attends à retrouver mon frère, mais c'est mon petit ami qui, comme par magie, a pris sa place.
Il m'adresse un grand sourire lorsque nos yeux se croisent, tout en continuant de caresser mon visage.
— Salut, murmure t-il.
— … hé, je souris à mon tour.
Je me sens mieux que lors de mon entrevue avec Rafaël tout à l'heure. Un peu moins dans le brouillard, je discerne plus nettement les choses qui m'entourent, reconnais les formes et les couleurs, ne vois plus à travers ce filtre opaque qui me déstabilisait pendant ma conversation avec mon frère.
— Comment tu te sens ?
Je me tortille pour tenter de me redresser, sens une douleur fulgurante me déchirer de l'abdomen jusqu'aux épaules, et vois Damian se crisper.
— Bouge pas, m'ordonne t-il. Reste couché.
— Je te vois mal...
— On s'en branle. Reste couché, t'façon je suis moche aujourd'hui, vas pas te faire une frayeur.
Je tente de contenir mon rire, n'y arrive pas, et grimace à nouveau. Damian vient s'asseoir sur le rebord du lit, après avoir vérifié que personne ne nous regardait, et attrape mes mains dans un geste sécurisant. Ses yeux sont rouges et cernés, mais pour une fois, je crois pouvoir assurer que ce n'est pas à cause de l'herbe.
— T'es vraiment qu'un imbécile, me lance t-il dans un murmure douloureux.
Je ferme les yeux avant de les rouvrir pour acquiescer, et serre ses doigts entre les miens.
— Cette balle elle était pour moi. Pourquoi tu t'es senti obligé de jouer les héros hein ?
Je ne sais pas. Hier soir, lorsque par précaution, j'ai pris l'arme de Rafaël, je ne pensais pas avoir à m'en servir. Mais, lorsque j'ai vu ce flingue sous le menton de Damian, prêt à lui exploser la cervelle à tout moment, je me suis dit qu'il fallait que j'agisse. Alors j'ai dégainé, et suis resté bloqué. Plus moyen de tirer, de faire machine arrière, de bouger en fin de compte.
J'ai juste réussi à faire un pas, et c'est ça qui m'a conduit à ma perte.
— C'est à moi de te protéger, chuchote mon petit ami avec une voix cassée. Pas l'inverse.
— Tu serais peut-être mort.
— Et toi ? T'es Superman, tu résistes aux balles peut-être ?
Il n'est pas vraiment en colère. Il est juste mort d'inquiétude, saturé de culpabilité et de remords.
J'arrive tant bien que mal à lever mon bras, pour caresser son visage. Mon pouce retrace ses lèvres, et mes doigts empaument ses joues.
Il frotte son visage contre ma main, à la façon d'un chat, et ferme les yeux.
Nous restons ainsi quelques minutes avant que mes forces ne m'abandonnent et que mon bras ne retombe mollement sur le matelas.
— Je t'aime Sam.
Les mots sortent tous seuls, comme un boulet de canon qui vient me heurter en plein torse. Il a rougi jusqu'aux racines, et détourne le regard, les lèvres tremblantes.
— Moi aussi, je réponds doucement.
Il faut un petit moment avant qu'il ne daigne à nouveau me regarder. Il y a de nouveau cette petite flamme dans ses yeux, la même que j'avais pu constater au lycée le lundi où nous sommes revenus de notre semaine d'exclusion. Une flamme rougeoyante, destructrice et étourdissante, qui me fait tourner la tête.
— Et c'est parce que je t'aime que je peux pas être égoïste avec toi. Je ne vais pas me faire tatouer Sam, je renonce aux Cortez, c'est bon. Des balles qui ne feront pas de dégât trop ''graves'' en te touchant, il y en aura peut-être pas deux. Alors c'est stop.
Ses mots m'étonnent, et me soulagent d'un poids immense. Comme une libération, il se défait de son poids, le balance au loin, et n'en ressort que plus puissant encore.
Selon lui, rentrer dans le gang était ce qui lui apportait de la force. Renoncer à en faire partie malgré le contexte montre qu'il possède quelque chose en lui de bien trop fort pour se contenter d'agir auprès d'une bande de sales types.
Je lui souris de toutes mes dents, et le vois hésiter à me répondre.
— Et ça craint d'avoir dû attendre ça pour m'en rendre compte.
Il me désigne mon corps invisible sous les draps blancs, la perfusion à mon bras, et finalement le masque sur mon visage.
— Le plus important c'est que ce soit le cas maintenant.
— Oui.
Il hoche la tête, et constate alors quelque chose par la paroi vitrée qui me serre de délimitation avec le couloir. Il se redresse un peu pour mieux voir, et je tourne la tête pour pouvoir voir ce qu'il voit.
Ariana est en train de s'exciter derrière la paroi vitrée, lui indique sa montre, sautille un peu sur place.
Les sourcils de mon petit ami se froncent, alors je l'interroge.
— Je dois aller témoigner sur l'identité du tireur à quinze heure.
— Et ?
— Bah, il doit bientôt être quinze heure, répond t-il avec un petit rire.
À mon tour de froncer les sourcils. Tout à l'heure, lorsque Rafaël est venu me rendre visite, je venais d'avoir mon petit déjeuner. Damian avise mon air perdu, et me répond avec un haussement d'épaules léger.
— Tu t'es rendormi après la visite de Rafaël. Je suis passé ce matin juste après lui, mais tu ronflais.
— Je suis désolé.
— Désolé de quoi ? D'être con comme un manche ? Sois pas désolé mi amor faut que tu dormes, alors commence pas. J'essaye de repasser ce soir, ou demain matin grand max, ok ?
Je hoche la tête, et le regarde vérifier le couloir avant de se pencher vers moi, relever le masque à oxygène d'un geste vif pour prendre mes lèvres entre les siennes. Leur goût m'avait manqué ; je réponds à son baiser avec la maigre énergie qu'il me reste, avant qu'il ne se recule et replace le masque sur mon nez.
— On se voit plus tard Sam.
— Fais attention à toi, je t'aime.
Il rougit à nouveau à mes mots, j'adore ça. Alors je le lui répète une dernière fois, juste pour être sûr que je prononce bien ces syllabes, ces deux petits mots si courts, mais si lourds de sens.
Par la paroi vitrée, je le regarde rejoindre sa sœur, constate que Ariana le secoue un peu, plante un baiser sur son front, avant de le tirer à sa suite après m'avoir adressé un grand geste affectueux derrière la vitre.
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