35 - Damian
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Damian
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Je ne suis pas du tout rassuré, lorsque Samuel m'entraîne à sa suite dans le Palais du rire de la fête foraine. Déjà de l'extérieur, cette grande bâtisse colorée et saturée de spots lumineux ne m'inspirait pas énormément, mais alors de l'intérieur...
C'est un vrai casse-tête. Je dois sans cesse faire attention où je mets les pieds, où je mets les mains, où je pose les yeux. Samuel lui, semble vivre ses meilleurs instants, sauter de rebord en rebord, évite les trappes dans les sols et les immenses quilles qui pendent du plafond avec pour unique but de nous assommer au passage.
— Sam franchement, je grommelle en trébuchant sur un rebord en plastique. Je suis censé rire là ? Je suis censé m'amuser ?
Il ricane, passe un bras autour de mes épaules et d'un geste théâtral, me dévoile la pièce suivante de cette fichue maison ; une salle des glaces.
— On fait la course ? Tu pars à droite, moi à gauche, et le premier arrivé à la sortie paye une glace à l'autre ?
— Tu veux vraiment parier à nouveau, même après ton cuisant échec de tout à l'heure ?
— Rafaël a joué finement, il a été sournois. Là, pas possible de tricher.
— Il a pas triché, il s'est juste mieux débrouillé que toi.
Sam secoue la tête, et me pousse dans l'entrée de droite de la salle. J'avance à pas de loup, les mains tendues devant moi. Quand je pense à ma sœur et Rafaël qui doivent être en train de prendre du bon temps en-dehors de ce Palais du rire, je maudis Sam, et je maudis l'inventeur de cette attraction ridicule. En quoi bon sang, se prendre une vitre dans la tronche est ''amusant'' ? En quoi se manger une quille qui pend du plafond est ''drôle'' ?
Et alors que je songe à mes plaintes et mes réflexions sur le nom de l'endroit, mon nez rencontre durement une première vitre. Je me stoppe net, et entends Samuel hurler de rire, quelque part sur ma gauche.
— Espèce de connard, tu vas voir quand j'aurai trouvé la sortie !
— Bébé, bébé, calme-toi ou tu vas pleurer.
Il chantonne ainsi, en me faisant des grands signes depuis un couloir, où il ne semble pas plus avancé que moi.
Lentement, je reprends ma difficile progression, me heurte à un autre mur, y laisse un peu de sang – tous les coups que je me suis pris sur le nez l'ont rendu si fragile qu'au moindre impact, il se met à saigner.
— Je trouve pas la sortie, ça me gave ton truc !
— Courage, allez !
— ''Courage allez'', je murmure pour moi-même en me retrouvant une nouvelle fois, dans une impasse.
Ça m'énerve, mais ça m'énerve... !
Il me faut encore dix bonnes minutes, et deux ou trois impacts de vitre contre mon visage pour enfin rejoindre Samuel de l'autre côté de la pièce. Il m'attend, un grand sourire aux lèvres.
— Pour une fois que je suis meilleur que toi, sourit-il.
— Profite, profite, ce sera la dernière fois.
De ses lèvres, il dépose un baiser au coin des miennes, avant de partir en courant dans un long couloir éclairé au néon. Ses baskets blanches paraissent fluorescentes, ainsi éclairées à la lumière noire.
— Allez cours !
Je le suis du mieux que je peux, me heurte à une guirlande de LED colorées, manque m'écrouler dans des escaliers mouvants, avant d'enfin arriver au terme de cette maison infernale, un immense toboggan rouge.
Mon petit ami me le désigne avec une révérence, s'incline, et attrape ma main pour y déposer un autre baiser.
— Mi lady, à vous l'honneur.
— Sam je...
Il hausse un sourcil, attend la fin de ma phrase.
— Très bien, mon seigneur, on se rejoint en bas.
Sourire immense, puis c'est le noir de ce toboggan tunnel, qui tourne et qui tourne, jusqu'à me recracher en bas de l'attraction.
Si l'entrée du manège se fait par une des artères principales de la fête, la sortie en revanche se fait derrière, dans ce qu'on pourrait appeler les ''coulisses'' des manèges. Ariana et Rafaël doivent nous attendre de l'autre côté.
Tranquillement, je commence à m'adosser à la paroi métallique du manège en attendant Samuel, lorsque de la pénombre, une voix surgit, profonde et oh combien familière.
— Damian.
Mon cœur loupe un battement, je fronce les sourcils et instinctivement, me mets en position défensive. Mes poings se crispent, mon souffle s'accélère et, plus contrarié qu'étonné, je distingue la silhouette de mon vis à vis se détacher de la pénombre.
— T'es pas en taule toi ? je crache avec mauvaise humeur.
— Détend-toi, je viens pas chercher les problèmes.
Lenni se passe une main dans les cheveux, inspire par le nez avant de soupirer, les yeux clos. Il est tout seul, aucun toutou à ses côtés, rien.
Éjecté à son tour, Samuel atterrit sur les fesses juste à côté de moi, et met un petit moment à comprendre que quelque chose ne va pas. Successivement, son regard passe de Lenni à moi, puis l'inverse, avant que, d'horreur et de colère, ses yeux ne s'écarquillent. En un bond, il est debout, devant moi, créant ainsi un mur humain entre mes yeux et Lenni.
— Salut Samuel, lance Lenni.
Je me hisse sur la pointe des pieds, commence à contourner Sam mais, celui-ci me barre la route d'un bras tendu, et me lance un regard préventif.
— Tu reste derrière moi, siffle t-il entre ses dents serrées.
Une vague glaciale me balaye de l'intérieur : Samuel, le Samuel que j'ai en face de moi, ce n'est pas celui dont j'ai l'habitude. Froid, sombre, il me semble prêt à bondir sur Lenni au moindre mouvement.
— Qu'est-ce que tu fous ici ? grince mon petit ami. Dégage ou je hurle.
— J'ai déjà dit à Damian que je voulais pas de problèmes.
— Wouah, ça change de d'habitude, je suis impressionné. T'es malade ?
Notre vis à vis secoue la tête, et m'indique du menton.
— Même si je suis plus au lycée j'ai... j'ai appris pour toi.
— Comme si on le savait pas, je persifle. Je te précise que tes petits copains s'amusent à raconter de la merde sur moi sur les réseaux sociaux. Alors fais pas l'inn...
— J'ai quitté les King100, Damian. Je n'en fais plus partie, c'est fini.
Il a un ton douloureux, quelque chose de prêt à craquer dans la voix. À nouveau, il tourne la tête, cherche un point de repère ailleurs, loin de nous.
— Mais bien sûr, fous-toi de nous, ricane Samuel.
— Je me suis fais viré espèce de connard. Après... hum, après avoir manqué ma cible je... ils ont décidé que je n'étais plus digne de faire partie des leurs, alors ils m'ont éjecté.
— Désolé pour toi, vraiment. Tu veux peut-être finir Sam histoire de pouvoir retourner auprès des tiens ? Ou alors tu veux me flinguer moi ? C'était ça le but à la base non ?
Mon ton sarcastique transpire la fureur. Comment ose t-il venir face à nous pour nous parler de ses problèmes de gang, de son renvoi car, oh zut, il n'a pas tiré sur le bon ado à la fête de Duke ?
J'ai envie de lui sauter à la gorge.
— Mais, ce que je voulais vous dire c'est que... je les aurai quittés de toute façon.
— Ça nous fait une belle jambe, t'espères quoi en venant nous raconter ça ? Qu'on te pardonne ?
— Non, surtout pas. Si ton gang m'avait fait subir le quart de ce que le mien vous a fait endurer, il est clair que je vous pardonnerais pas. Jamais. Mais, ce que Donni à fait c'est... c'est non.
Il a un frisson qui le secoue du bas du dos jusqu'à la nuque, agite un peu les mains pour en cacher le tremblement.
— Mon père et... et ce connard de Rix ils... ils se vantaient de ça, de ton... de ta...
Il balbutie quelque peu. Samuel et moi, estomaqués, restons figés à le regarder galérer, pagayer dans la semoule. Il se tortille sur place, carrément mal à l'aise, à des années lumières du connard prétentieux du lycée.
— Enfin bref, tu as saisi l'idée. C'est pas humain et je pouvais juste pas...
Il se racle la gorge, ferme les yeux, tente de reprendre une contenance. Samuel s'est détendu à côté de moi, un minimum. Protecteur, il a tout de même passé un bras autour de mes épaules, mais ne semble plus sur le point de flinguer Lenni.
— Je quitte Soledo en fait et... et je pouvais pas partir, pas partir tranquille sans... sans vous avoir vu, Sam et toi parce que... parce que même si vous me croyez pas ou que vous n'en avez rien à foutre je... je suis désolé de... de tout ça.
— Grand bien te fasse, crache Samuel. On est vraiment ravi de l'entendre.
— Je savais que ça passerait pas, sourit Lenni en secouant la tête. Mais, juste, laissez-moi vous dire un truc, en signe de bonne volonté, de rédemption, ou tout ce que vous voulez.
J'échange un regard avec Samuel.
Une gamine émerge du toboggan, nous jette un drôle de regard, avant de partir en courant.
— Donni, il est de retour en ville, Damian. Et... il est pas super content que tu y sois aussi.
Une pierre glacée me broie les entrailles avant de s'échouer au fond de mon ventre, tandis qu'un croassement ignoble s'échappe de mes lèvres. Samuel est de nouveau sous tension, les doigts crispés sur mon épaule.
Je sens mon cœur ralentir, mes doigts se congeler, mon cerveau hurler à la mort.
Donni est... là ?
— Préviens ta sœur, ou ton frère, ou qui tu veux mais, il est vraiment en colère.
Il se mord pensivement la lèvre, avant de hausser les épaules.
— Je voulais simplement te mettre en garde avant de partir. Considère ça comme un cadeau d'adieu. Et, une tentative honnête de me racheter, un minimum.
— Si ce que tu dis est vrai, si tu as vraiment été viré de ton gang, tout ça... comment tu sais pour Donni ? Je veux dire, s'ils te considèrent comme un nuisible dans leurs rangs, je vois pas comment tu aurais eu accès à une info pareille. Les gars de mon frère sont sur le coup depuis mon retour et...
Un rire franchement amer s'échappe de la gorge de Lenni qui, jusqu'alors les mains dans les poches, extirpe sa main gauche, et nous la présente avec un éclair de vive tristesse dans les yeux.
— Parce qu'il est passé me voir avant mon départ. Il aime pas les faibles, ou les traîtres.
Mon estomac fait une pirouette : il n'a plus que quatre doigts.
Samuel lui, a même un haut-le-cœur qui le plie en deux.
— Comprenez bien que... chez les King100, pas tirer sur la bonne personne, la laisser en vie, et critiquer les choix des autres membres n'est franchement pas bien vu. Faites gaffe à vous, et, j'espère pas à bientôt.
Il nous adresse un dernier signe de tête, tourne les talons, et s'éclipse, les mains à nouveau enfoncées dans les poches de son sweat.
— Lenni attend !
Il fait un quart de tour sur lui-même, me jette un drôle de regard. Assez ferme pour ne pas être retenu, je m'écarte de la prise de Samuel et fais un pas en avant.
— Si ce que tu dis est vrai, ça va partir en vrille, tu le sais ça ?
— Ouais. Et j'en ai plus rien à cirer.
Samuel se tourne vers moi, semble aussi perplexe que moi. Sauf que, nous n'avons plus le temps de paniquer sur ce genre de détail : Donni est de retour en ville, et il est en colère.
Mon cœur loupe un battement, j'ai envie de pleurer.
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