37 - Ariana
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Ariana
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Damian pour une fois, ne cherche pas à échapper à ma prise, et reste tranquille à mes côtés.
Il est agité bien sûr, qui ne le serait pas à sa place ?
Hier soir, lorsqu'il est rentré à la maison, après être resté un long moment chez Rafaël et Sam, il était en vrac. Du genre à se mettre à ranger sa chambre à vingt-et-une heures, trier ses vêtements, ranger ses livres par ordre alphabétique. Puis, il avait faim, alors il a commencé à se faire à manger, au moins trois énormes sandwichs à l'omelette qu'il a avalés en à peine dix minutes. J'ai laissé couler, mais ce dernier exploit en cuisine m'a poussé à aller mettre mon nez dans ce qui se passait.
Et alors, j'ai tout appris. Absolument tout. De sa discussion avec Samuel, jusqu'à l’aveu de ce dernier concernant l'incident au lycée. Ni une, ni deux, j'ai envoyé un mail assassin à madame Aubra, et ai exigé un rendez-vous en urgence ce matin. À huit heures, elle me rappelait pour me demander si j'étais disponible à dix heures vingt.
Oh que oui! !
— C'était quoi ce numéro dans le couloir ? T'as envie de te faire ramasser ? je grommelle.
— P'têtre. Comme ça, on pourra enfin espérer que les flics agissent. Je veux dire, si je me retrouve à nouveau avec la gueule en morceaux, on aura peut-être une chance de pouvoir porter plainte et d'être entendus.
Je ne sais pas vraiment quoi répondre, alors je reste silencieuse, à le regarder agiter les jambes, dénouer et renouer ses doigts, jouer avec les cordons de son sweat.
La porte du bureau de madame Aubra s'ouvre enfin, et d'une petite voix, elle nous indique de rentrer. Visiblement, elle ne s'attendait pas à tomber nez à nez avec Damian, car son air déjà relativement inquiet, se tord en crispation totale.
Je prends rapidement place, laisse mon frère s'asseoir à mes côtés, et plante alors mon regard dans celui de la vieille femme en face de moi.
— Bien, je lance, glaciale.
— Ariana, Damian, comment allez-vous ?
Sa voix n'est pas du tout assurée.
— Vous vous doutez que c'est pas le top. Et que ce qui se passe ici, n'arrange rien.
— J'imagine que vous avez eu la version de Samuel, laissez-moi vous donner la mienne.
— Entre vous et moi, je fais plus confiance à Samuel qu'à vous mais, dites toujours.
Avec un semblant de calme, elle m'explique que la salle du réfectoire fait partie de ces salles qui restent closes jusqu'à l'arrivée des élèves et qu'à ce titre, elles ne sont pas vérifiées par le personnel. De plus, elle m'informe que le personnel de cantine, qui sert les élèves dans une sorte de couloir adjacent au réfectoire, ne peut pas voir ce qui se passe à l'intérieur de celui-ci.
— Donc pour vous, le fait qu'un incident de ce genre se produise n'est pas de votre ressort ?
— Je vous l'ai dit Ariana, je n'ai pas l'habitude de vérifier cette salle et...
— Il y avait une arme, avec les photos. Une arme réelle, avec une balle. Et ce mot.
Je lui tends le mot griffonné que Samuel a accepté de nous donner ce matin, sous les menaces de son frère, et attends la réaction de la conseillère. Elle lit le mot, hausse un sourcil, jette un regard à mon frère à la dérobée.
— Incitation au suicide ou au meurtre, vous trouvez ça normal ? Dans un établissement scolaire que vous vous vantez de tenir sous contrôle ?
— Je ne savais pas pour l'existence de ce mot, Samuel a dû le prendre avant mon arrivée hier et...
— … et hier, vous avez laissé partir Samuel, sans même aller à sa rencontre pour savoir comment il se sentait. Vous trouvez ça normal, pour une conseillère ?
Elle secoue la tête, extrêmement mal à l'aise, avant de croiser ses longs doigts osseux pour y appuyer son menton.
— Samuel est parti sans me laisser le temps de l'interpeller.
— Vous auriez dû lui courir après. Et puis, parlons des photos. De la cible de tir. Vous lui avez demandé de tout laisser en place, de ne pas toucher ''les preuves''. Vous avez donc, j'imagine, appelé la police pour décider ensemble des suites de cet événement.
— Comme il a emporté les photos, je n'ai pas trouvé intelligent de...
— Donc vous ne les avez pas appelés. Dans votre lycée, sont affichées des photos pédo-pornographiques, des menaces. Ave ceci, le coupable laisse une arme à la direction d'un élève, en lui demandant explicitement de mettre fin à ses jours ou de tuer mon petit frère, et vous ne faites rien ? Vous vous rendez compte ? Vous avez essayé de trouver qui avait fait ça, parmi vos élèves ?
— Je...
— Non. Évidemment que non. Parce que vous n'en avez rien à foutre de vos élèves, et d'autant plus de mon frère et Samuel qui oh malheur, vous posent de sérieux problèmes ! C'est vrai, comment gérer le trauma de ces deux élèves là, lorsqu'il a été causé par d'autres élèves du même lycée ?
— Lenni a été exclu. Et, je tiens à préciser que sur le mot que vous m'avez montré, Samuel et Damian ne sont pas explicitement nommés.
— Vous avez envie qu'on reparle de ce mot, vraiment ?
Je renifle, dédaigneuse, et jette un regard en coin à Damian qui, bras croisés sur le torse, suit la conversation avec un intérêt certain.
— Peut-être que Lenni a effectivement été exclu. Mais ses amis eux, sont toujours là. La semaine dernière, Samuel s'est battu dans le hall du lycée avec deux autres élèves. Vous avez repris avec lui ?
— J'ai prévenu son responsable.
— Ça je suis d'accord mais, avez-vous repris avec Samuel ? Avec le gamin, pas avec son frère ?
Elle secoue la tête, se racle la gorge, cherche un point dans la pièce pour fuir mon regard assassin.
Elle sait qu'elle a perdu, sur toute la ligne et que cette fois-ci, je ne laisserai pas passer.
— Votre rôle est de protéger les élèves alors, pourquoi cette ignorance ?
— Écoutez Ariana, cette conversation ne semble aller que dans votre sens mais...
— Mais quoi ? Mais quoi ? Vous savez que j'ai raison.
Lasse, elle ne répond rien, préférant baisser la tête d'un air piteux.
Je pose une main sur l'épaule de mon frère pour lui rappeler ma présence à son côté, avant de siffler entre mes dents à la direction de madame Aubra.
— Je pense que nous avons fait le tour. Sachez simplement que mon frère ne reviendra pas dans ce lycée, et que je vais de ce pas engager des poursuites contre l'établissement pour mise en danger des élèves.
— Vous plaisantez ?
— J'ai une tête à rire ? Je préfère vous prévenir, afin que vous engagiez vos recherches d'avocats compétants. Avec ce que nous avons sur vous, il va vous falloir l'un des meilleurs.
Elle déglutit, et pose sur moi un regard fiévreux.
— Lorsque la police viendra vous interrogez, j'espère que vous saurez leur expliquer pourquoi vous ne les avez pas appelés hier.
Je fais signe à mon frère de se lever, et quitte le bureau sans un regard en arrière, Damian sur les talons.
…
Durant tout le trajet du retour jusqu'à la maison, je reçois les éloges de mon frère sur mon franc-parler et mon calme olympien face à sa désormais ancienne conseillère d'orientation. Il me félicite également sur mon sang froid lors de notre entrée au lycée, ce à quoi je réponds qu'en bramant comme il l'a fait, il ne nous a largement pas facilité la tâche.
— Tu crois qu'ils vont encore emmerder Samuel ?
— Étant donné que je viens de la menacer de porter plainte, ce ne serait pas judicieux de sa part de laisser quelqu'un s'en prendre à Sam. Franchement pas.
Il hoche pensivement la tête, tout en restant près de moi, son épaule contre la mienne.
Bien que son discours semble indiquer l'inverse, il est tendu, et plutôt agité depuis ce matin. Je sais qu'hier soir, il ne m'a pas tout raconté, et je ne le forcerai pas à le faire. Il a le droit de garder un côté secret, comme je le fais moi-même.
Soudainement, son bras s'enroule autour du mien, et il se rapproche encore un peu plus.
C'est au ralenti que je remarque l'endroit où nous nous trouvons, et comprends alors le mouvement de mon frère.
Je lui coule un regard rassurant, et lui sourit, tout en continuant de marcher, pour l'éloigner le plus rapidement possible de ce morceau de trottoir maudit.
— T'es super jolie habillée comme ça, murmure t-il d'un coup.
— C'est gentil mi corazon.
Je souris bêtement, et lui ébouriffe les cheveux, tandis que derrière nous, nous laissons le mauvais souvenir s'éloigner puis s'éteindre dans l'indifférence.
Nous marchons dans le silence, jusqu'à atteindre la maison.
Ce matin, Rafaël et Jay devaient se rendre au poste du shérif pour discuter de l'enquête en cours, et sur leur possible départ pour le Mexique, la semaine prochaine. Il m'a parlé de ce ''petit détail'' comme il l'appelle, entre deux portes ce matin : j'ai décidé d'attendre qu'il rentre et que ma colère soit redescendue pour avoir une explication plus approfondie. Je ne pense vraiment pas que ce soit le moment idéal pour repartir s'enterrer au Mexique, alors qu'une guerre de gang va éclater ici, à Soledo.
— Dis Ari, on va aller les retrouver quand Danny et Mikky ?
— Dès que monsieur Ross t'en sentira capable.
— J'en suis capable.
— C'est à lui de décider mon cœur, pas à moi.
Il grince des dents et croise ses bras sur son torse, tandis que je sors la clef de la maison pour la rentrer à l'intérieur de la serrure.
Sauf que la porte est déjà ouverte.
— Tu as oublié de la fermer tout à l'heure ?
— Aucune chance, je murmure en plissant les yeux.
Mon rythme cardiaque s'accélère. Pour me rassurer, j'extirpe mon arme de son étui à ma ceinture, celle-là même que j'avais cachée dans un buisson devant le lycée avant l'entrevue avec madame Aubra.
À la vue de l'éclat brillant de la crosse, mon frère hausse un sourcil.
— Tu restes derrière moi, je lui lance avec fermeté.
Il acquiesce en silence, et me suis tandis que je pénètre à l'intérieur de notre maison.
Un frisson me parcourt lorsque sur le carrelage de la cuisine, je remarque des traînées rougeâtres.
— C'est du sang ?
Je fais signe à Damian de se taire, et passe dans le salon, d'où s'élève une respiration saccadée.
— Qui est là ? Je m'écrie en pointant le canon de mon arme sur la forme étendue sur mon canapé.
— Tire pas, tire pas !
J'abaisse immédiatement mon arme, tétanisée par la voix de Hugo, secouée par une vive douleur.
Rapidement, je traverse la pièce pour le rejoindre, et grimace en découvrant son visage tuméfié.
Damian, resté en retrait, fait un pas pour nous rejoindre, avant que je ne lui fasse signe de rester à sa place.
— Pas bouger.
— Je suis pas un chien, s'offusque t-il.
— Dam s'te plaît. Va... va fermer la porte à clef.
Il opine, et tourne les talons tandis que je me penche sur H.
— Qu'est-ce qu'il t'est arrivé à toi ?
— À ton avis putain ? Ils ont refusé le deal.
Il grimace à chaque parole, j'ai mal pour lui. Sa peau s'étire, se craque et se déchire à chaque nouvelle syllabe qui franchit ses lèvres. Fleurissent un peu partout des hématomes, qui encerclent les coupures et jalonnent toute la partie droite de son visage.
Son nez me semble cassé.
— Pourquoi t'es venu là ? C'est Tazer qui gère ça, pas moi.
— Tu imagines la honte d'aller trouver Tazer dans cet état ?
— Combien ils étaient ?
— Cinq.
Je hoche rapidement la tête, et lui fais signe de patienter le temps que j'aille chercher la trousse à pharmacie.
Sur le chemin, je croise Damian, en route pour rejoindre sa chambre, la mine basse, les épaules voûtées.
— Tu montes ?
— Pourquoi il est dans cet état ?
— Je...
Dos au mur, je cherche activement une réponse crédible, correcte, à livrer à mon petit frère. Sauf que, Damian n'est pas dupe, il n'est plus aussi naïf qu'à une certaine époque et, mon temps de réflexion me trahit, il hausse les sourcils.
— Qu'est-ce que vous avez fait ?
— Rien du tout. H s'est fait défoncer la gueule mais... ça arrive. T'es bien placé pour le savoir.
— Ouais, effectivement, ouais.
Il me crache ces paroles avec un venin qui me pétrifie sur place. Une fois de plus, j'aurais dû me taire, bien fermer ma gueule, et être honnête. Mais le vieilles habitudes ont la vie dure.
Je grommelle, et attrape sa manche tandis qu'il commence à grimper les escaliers.
— Damian...
— Tu appelles Raf, grince t-il. Et tu lui dis de passer récupérer Sam au lycée. Si les King en ont après vous, il est autant dans leur ligne de mire que toi ou moi. Oublie pas qu'il reste un raté dans leurs opérations.
Il se dégage vivement, et rejoint sa chambre, tandis que je reste en bas des marches, les dents serrées, le cœur tambourinant dans la poitrine.
Je récupère la trousse de secours, et rejoins H, qui commence lentement à perdre connaissance. La fatigue et l'adrénaline commencent à retomber, il papillonne des yeux dans le vide.
— Reste avec moi H.
Pour toute réponse, il m'adresse un grognement douloureux.
Rafaël va finir par mettre le doigt sur notre petite manœuvre à H et moi et, à ce moment-là j'aurais intérêt à avoir les arguments pour l'avoir maintenu à l'écart. Dimanche, j'ai prétexté un rendez-vous à l'agence, puis ai fait dériver la conversation sur cette stupide leçon d'éducation sexuelle qui, je dois être honnête, n'avais aucun autre but que de me distraire moi-même. Bien sûr, elle aura servie pour Samuel, mais, ce n'était pas le moment, j'ai fait ça dans la précipitation, sans l'accord de Rafaël, et n'ai même pas réussi vraiment me changer les idées. En réalité, depuis que Lenni à lâché le dossier à nos petits frères, je suis focalisée sur ce point.
Donni est là, quelque part, et de le savoir si près de Damian me donne la nausée.
H grince des dents lorsque je commence à désinfecter ses plaies, mais d'une main de fer, je le retiens fermement allongé sur le canapé.
— Bouge pas.
Si ses hommes le voyaient, à se tortiller sous un peu d'alcool à quatre-vingt-dix. Lui qui a honte de se retrouver devant eux avec le visage en ruine, qu'en serait-il s'ils savaient pour son côté chochotte ?
De ma poche, je sors ma paire d'écouteurs, la branche à mon portable, et lance un appel à Rafaël. Ainsi, je pourrais converser avec lui tout en gardant les mains libres.
Il ne lui faut pas longtemps pour me répondre.
— Oui Ari ?
— Je suis à la maison et... H est là. Il s'est fait tabasser ce matin, il est dans un sale état.
— Merde. Il va bien ?
— Un nez cassé et quelques contusions, mais rien de trop grave... j'imagine.
Hugo me dévisage, gronde lorsque j'appuie la compresse un peu trop fermement sur une coupure à son arcade. À l'autre bout du fil, j'entends Rafaël pianoter sur son ordinateur.
— Tu bosses là ?
— Oui, j'en ai encore pour un petit moment.
— Dam voudrais que tu ailles chercher Sam au lycée. Au cas où.
Je l'entends inspirer avec force, puis expirer, avant de me répondre.
— Pas de problèmes. Tu as autre chose à me dire Ariana ?
— On en reparlera ce soir.
— Comme tu voudras.
Il raccroche sans même me laisser le temps de relancer, je suis estomaquée.
Mon frère me fixe d'un drôle d'air, à mi-chemin entre « J'en était sûr » et « Il a pas osé ? ».
Je pointe sur lui un doigt accusateur, et lui indique de ne pas émettre le moindre commentaire sous peine de représailles. Il hausse simplement les épaules.
— Dis-toi que c'était foiré d'avance, marmonne t-il.
— Quoi ?
— Ta relation avec un condé hermana. Ça pouvait juste pas fonctionner.
Pour toute réponse, j'appuie un peu plus fort que nécessaire sur une de ses plaies, lui arrache un cri.
Sauf que ça ne me soulage qu'à moitié. Ses mots continuent de tourner dans ma tête, au même titre que la froideur et le ton suspicieux de Rafaël.
Je sens que je ne vais pas passer une bonne soirée du tout.
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