38 - Ariana
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Ariana
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Il y a tout d’abord ce cri, étouffé dans un premier temps, puis totalement délivré, qui secoue la maison de bout en bout. Horrifiée , j’ouvre les yeux dans un battement, le cœur au bord des lèvres, les idées en vrac.
Puis un second cri, très clair cette fois-ci.
Tout à coup bien plus réveillée, je saute du lit, attrape l’arme sur ma table de chevet, et fonce au premier étage. Mes pas sont maladroits dans les escaliers, je manque tomber à plusieurs reprises, mais j'ai le réflexe de me rattraper à la rampe. J'arrive au premier en quelques secondes, déboule dans la chambre de mon frère en une inspiration.
Le soulagement de n’y trouver que Damian, me submerge et me libère un bref instant avant que, subitement, un autre cri ne me cloue sur place.
Mon petit frère se tort en tous sens dans son lit, en sueur, bat l’air avec ses bras, respire vite et fort.
Je m’avance rapidement vers son lit, constate au ralenti que sa lampe de chevet est restée allumée, que son portable est à ses côtés sur l’oreiller. Il a dû s‘endormir subitement. Sur l’écran plusieurs messages non lus de Samuel, je ne m’y attarde pas et me hâte de saisir les poignets de Damian. Encore et encore, il se débat, manque me donner un coup au visage, halète puis hurle à nouveau.
— Hé... hé mon cœur, c’est moi, c’est bon, ouvre les yeux.
Il s’agite encore quelque peu, avant de subitement se calmer, en ouvrant de grands yeux saturés par la panique. Il est tout d’abord traversé par une terreur sidérante, avant qu’il ne comprenne qu’il ne s’agit que de moi.
— Ari ?
— Oui, c’est moi mi amor. Calme-toi allez.
De grosses gouttes de sueur dégoulinent de son front jusqu’au bas de ses joues, laissant derrière elles une peau luisante et humide. Délicatement, je prends sa joue au creux de ma main, tout en m’asseyant sur le rebord du lit.
Il halète toujours, cherche encore son air, mais ne semble plus en proie à la peur-panique provoquée par son cauchemar.
Ses yeux se plantent dans les miens, il y cherche du réconfort, de la sécurité, avant de les refermer et d’inspirer par le nez.
— Désolé, murmure t-il. Je voulais pas te réveiller.
— Tu plaisantes ? C’est pas un souci Dam.
Peu convaincu, il secoue la tête, avant de se tourner sur le côté, en chien de fusil, dos à moi.
Dans ma tête, j’évalue la situation. Depuis son retour du Mexique, nous ne parlons plus vraiment de ses cauchemars, qu’il préfère taire et enterrer, bien que je sache pertinemment qu’il en fait presque chaque nuit. Même lorsque Samuel est à ses côtés, même lorsqu’il essaye de nous faire croire le contraire.
Je me mords la lèvre, avant de hausser les épaules et de me glisser sous la couette juste à côté de lui.
— Qu’est-ce que tu fous... ?
— Pour une fois que Sam est pas là, j’en profite.
— Ari dégage, j’ai passé l’âge pour...
Il n’achève pas sa phrase, surpris par mon bras que je passe au-dessus de son torse.
Et, alors que je m’attends à un nouveau commentaire de sa part, il se contente de mieux se caler contre moi, pour finalement me demander d’éteindre la lampe de chevet.
Je m’exécute, et ferme les yeux à mon tour, avant de me laisser guider par le sommeil.
...
— Damian ! Tu en es où de la douche là ?
Je hurle depuis la cuisine, espérant recevoir une réponse de mon frère, tandis que je prépare le petit déjeuner. Cela va bientôt faire dix minutes qu’il est sous la douche, il devrait largement avoir terminé.
D’une main habituée, je fouette les œufs dans un bol, prépare l’assaisonnement pour l’omelette, tout en fixant par la fenêtre, Rafaël fumer une cigarette sous le porche de sa maison.
Hier soir, nous sommes restés jusqu’à tard chez H, à préparer un plan d'attaque, une stratégie gagnante selon mon frère, irréaliste selon Julio, concevable pour ma part.
Il s’agirait dans notre cas, de faire reculer les King, récupérer notre territoire, mais surtout trouver Donni, et faire abdiquer Rix.
C’est tout. H parlait de ‘’guerre’’, je cherche uniquement à faire cesser ce cercle vicieux, et ce ne sera possible qu’une fois Rix et Donni hors d’état de nuire.
Je sais que Rafaël va être furieux. Je sais qu’il va m’en vouloir, encore plus que pour tout le reste, mais une fois que Soledo sera redevenu un minimum sécurisé, il sera bien content de pouvoir lâcher la bride à Samuel.
Nos regards se croisent, il hausse un sourcil.
— Damian ! Je brame à nouveau.
Toujours pas de réponse.
Ce matin, lorsque nous nous sommes réveillés, il n’a fait aucun commentaire sur le cauchemar qui avait brisé sa nuit, et est simplement descendu boire un café. Honteux, à en croire le regard qu’il avait en croisant le mien. Alors qu’il n’a aucune raison de l’être, il n’est pas le fautif dans l’histoire, juste la victime, une fois encore.
Il a rendez-vous avec monsieur Ross cet après-midi, et je crois qu’il appréhende.
Je m’apprête à hurler à nouveau, lorsque deux coups résonnent à ma porte d’entrée. Le temps que je le comprenne et que je jette un regard par la fenêtre, Rafaël n’est plus sous le porche.
— J’arrive !
Je m’essuie rapidement les mains, et vais ouvrir à mon voisin - compagnon ? - qui les mains dans les poches, m’adresse un sourire en coin.
— Quoi ?
— Bonjour à toi aussi, murmure t-il. Je peux rentrer ?
— Je suis occupée là Raf.
— Ah bon ? À quoi ?
— Ça te regarde ?
Il hausse les épaules, et se fraye un chemin pour passer malgré mon manque de réponse positive, et va directement s’asseoir à la table de la cuisine.
Non mais je rêve.
Sans aucune vergogne, il se serre une tasse de café fumant, et attend de moi que je fasse la même chose.
Il est plutôt bien habillé, assez coiffé pour une fois, et a même sorti une cravate.
— Tu vas à un rendez-vous galant ?
— Je vais voir mon chef. Il est en ville pour préparer notre départ à Jay et moi.
Mon cœur se glace un instant, bien que je n’en montre rien.
Je hoche simplement la tête, et termine de battre mes œufs avant de lancer la cuisson de l’omelette.
— Vous partez quand ?
— Mardi.
— Tu seras revenu pour noël ?
Il secoue la tête, visiblement affecté par ce petit problème de date.
Alors, je n’insiste pas.
Tandis que je prends place en face de lui, sa majesté Damian nous fait enfin l'honneur de sa présence, les cheveux humides, un sweat à Samuel sur le dos.
— T’as pas l’impression que ça fait dix minutes que je t’appelle ?
— Je t’entendais pas, j’avais mis de la musique dans la salle de bain. Salut Rafaël.
Ses salutations sont plus chaudes que je ne l’aurai imaginé. Rafaël lui rend son sourire, et hoche la tête lorsque Damian vient s’asseoir à côté de lui à table.
Je soupire, et reporte mon attention sur mon petit ami, avant de hausser un sourcil.
— Tu l’as dis à Sam j’imagine ?
— Pas encore..., il va mal le prendre je le sais.
— Qu’est-ce qu’il va mal prendre ?
La question de Damian reste en suspend, Rafaël préfère l’ignorer.
À la place, Rafaël se retourne vers moi, et hausse un sourcil embêté. Je remarque ses mains tendues, tremblantes, qu‘il agite devant lui.
Il va me demander quelque chose de dur à accorder, je le sens.
— J’aimerais que d’ici mardi, vous soyez tous partis chez mes grands-parents, avoue t-il doucement.
— Pardon ?
— J’ai pas envie de vous laisser ici sans...
— Sans quoi ?
Mon ton est plus sec que je ne l’aurais souhaité, je m’en veux quelque peu. Mon petit ami se fige, secoue la tête, et inspire à pleins poumons.
— C’est comme tu le sens Ari, mais dans tous les cas, je mets Sam au bus lundi, si jamais vous décidez de ne pas partir.
— Quoi ? Quelqu’un pourrait m’expliquer, je comprends rien, marmonne Damian en roulant des yeux.
— Dam, tu veux bien nous laisser ?
— Non. Je veux savoir de quoi vous parlez. Tu vas où toi ? Et puis pourquoi on devrait quitter Soledo ? Tu as pas déjà lancé l’offenssive si ?
Sa question m’est destinée. Je me gélifie sur place, laisse mon regard sauter de Rafaël à Damian, en sentant peu à peu mes muscles se tendre.
Bon sang..., je pense en voyant mon petit ami grincer des dents. Il était pas au courant, merci Damian.
Rafaël se racle la gorge, et coule un regard à mon frère.
— Là c’est moi qui te suis pas, murmure t-il. De quoi tu causes Damian ?
Comprenant son erreur au ralenti, mon frère se mord pensivement la lèvre avant de porter sa tasse de café à sa bouche pour trouver une occupation. Sauf que Rafaël ne lâche rien, non. Il le regarde faire, attend patiemment qu’il ait terminé, pour relancer.
Damian s’agite, remue sur sa chaise, lorsque comme tombée du ciel, la sonnerie de son portable explose dans la cuisine.
Un sourire immense lui barre le visage, tandis qu’il répond avec enthousiasme.
— Sam ? Como está ?
Il s’éclipse, et je le maudis. Il me met dans une position pas possible, et s’enfuit juste après ? Vraiment ?
Le temps s’écoule lentement dans la cuisine, on pourrait presque entendre les battements erratiques de nos cœurs respectifs en se concentrant bien.
Mon petit ami ne dit rien, me fixe juste, attend la faille, le craquage, et l’aveu.
Je grince des dents en attrapant un toast sur l’assiette au centre de la table, le dévisage.
— Qu’est ce que t’as foutu ? lâche t-il finalement.
— Rien du tout.
— Ariana.
Rageusement, je mords dans mon toast. Je dois lui dire, il le découvrira forcément.
D’un autre côté, quelle information ai-je à lui donner ? En soi, j’ai simplement parlé avec les hommes de mon frère qui alité de force par Tazer, n’est plus en capacité de tenir les rênes du gang. Certes, mon discours était peut-être un peu virulent, mais je ne sais pas, en m’exprimant, la colère a pris le dessus et a parlé à ma place. J’ai simplement mis des mots sur ce que tout le monde souhaitait voir se réaliser.
Nous souhaitons tous la mort de Donni, et je suis certaine que Rafaël ne déloge pas à cette règle.
— Rien, je grommelle. On a simplement discuté avec les membres du gang et...
— Et... ?
— Et rien du tout. H est pas du tout en forme et de ce fait, on m’a demandé de... de gérer un peu à sa place enfin, tu vois quoi.
— Non mais je rêve ?
Je secoue la tête, fatiguée de ses remarques et de ses commentaires, et commence à me lever lorsque d’un coup, les yeux de Rafaël s’écarquillent d’horreur. Dans un cri presque strident, il m’indique de me baisser, et se laisse lui-même tomber au sol, tandis que les fenêtres de ma cuisine explosent en une pluie de verre.
En soi, l’action ne dure que quelques secondes, rien du tout. Des tirs, l’explosion du verre, puis le vrombissement sauvage d’une voiture dans la rue. Mon cœur bat si vite, tandis que je reprends difficilement mon souffle. Mon cœur rate quelques battements, une sensation d’étourdissement me vrille la tête. Sous mes doigts, je sens le carrelage glacé de ma cuisine, la faience ancienne, qui me rassure et me tétanise en un seul sentiment.
Je suis estomaquée, complètement à l’Ouest, lorsque Damian accourt dans la cuisine, pour nous trouver au sol, Rafaël et moi, recouverts d’une multitude de paillettes de verre brisé. Il se baisse lentement pour ramasser une balle échouée sur le sol, l'examine, la fait bouger entre ses doigts, interdit.
— Tout va bien ? s’alarme t-il.
Il a les yeux écarquillés, une grimace distordue au visage.
Je secoue positivement la tête, tandis que Rafaël se redresse, époussette ses épaules du surplus de verre, et inspecte la cuisine avec un drôle d’air.
— À une seconde près, on était morts, lance t-il avec colère. À une seconde putain !
— On part c’est bon, je rétorque, la voix blanche. Dam, va faire ton sac, on part. C’est plié.
Mon frère hausse les sourcils, visiblement plus que satisfait de ce choix, et fait demi-jour pour monter à l’étage tandis que toujours choquée par ces quelques secondes hors du réel, je pianote sur mon portable, le numéro de Elena.
— Ariana... ? s’informe Rafaël en venant s’agenouiller à côté de moi.
Il pose une main protectrice sur mon épaule, tente de capter mon regard. Tremblante, à deux doigts de suffoquer, je reste focalisée sur mon portable, ignore ses mots rassurants et ses caresses.
Damian aurait pu être seul dans cette cuisine, ou bien Samuel, Rafaël aussi. J'aurais pu, être seule dans cette cuisine, et ne pas voir venir la pluie de balles.
— On part ce soir Raf, on part, on... je vais conduire, ça v aller. Je vais prévenir H, je vais... Elena ?
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