40 - Ariana
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Ariana
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Avec une certaine fatigue, une envie irrépressible de me laisser mourir là, dans ce salon, je me laisse tomber sur le canapé le plus proche, et soupir d’aise. Fiona m’imite, avec cependant un peu plus de classe, et s’assoit près de moi avant de me sourire, l’œil brillant.
Il n’est que vingt heures et pourtant, j’irais au lit comme d’un rien. Bien sûr, j’ai déjà fait une sieste cet après-midi, après avoir défait ma valise et appréhendé mon nouvel environnement mais, la sieste ayant été ponctuée de visites des jumeaux, elle n’a pas été des plus reposantes.
Samuel est le seul à avoir tenu le choc : alors que Damian et moi dormions comme des loirs, il a aidé son grand-père à sortir les chevaux, et a même monté un peu en début de soirée. Autant dire qu’il est KO, et qu’il doit déjà dormir dans son lit à l’étage.
Fiona, avec une habitude toute trouvée, saisit la télécommande de la télévision et lance une chaîne musicale avant de se laisser aller contre le dossier du canapé.
— De toi à moi, je sais pas comment tu fais, me lance t-elle avec amusement. Gérer les jumeaux seule, c’est franchement pas une mince à faire.
— Oh arête, j’ai l’impression que tu as quand même bien été assistée par Ma.
— Peut-être, mais le fait est que leur éducation est toute à refaire. Danny se cure le nez, et cache son butin sous la table, tu le savais ça ?
Elle pouffe, je l’imite.
Des pas dans le couloir m’informent de l’arrivée imminente du grand-père de Rafaël et Samuel, les pieds assez traînant, un léger essoufflement trahissant sa fatigue.
Lorsqu’il passe la tête par l’embrasure de la porte, il nous sourit d’un air épuisé.
— Vous devriez aller vous coucher Pa, lance Fiona.
— Traite-moi de vieux pendant que tu y es ! Je vais aller fermer les bêtes, dire bonne nuit à mon petit fils qui doit déjà ronfler quelque part en haut, et après seulement, j’irais dormir.
— Comme vous voudrez.
Elle hausse les épaules, et c’est avec amusement que je regarde sa femme le pousser pour passer et entrer dans le salon. Elle a troqué son débardeur contre un pull plus confortable. Derrière elle, les jumeaux la suivent à la trace.
C’est stupide mais, j’ai l’impression qu’ils ont grandi. Danny me semble plus âgé, dans sa façon de faire et ses mimiques, tandis que Mikky semble avoir pris en maturité, en calme et en aisance avec l’adulte. Il parle mieux, moins vite, et a cessé de s’agiter sur place comme si le Diable le possédait.
Mes frères sautillent à ma vue, et viennent se blottir contre moi sur le canapé, m’étouffent au passage, pour finalement se caler confortablement contre mes épaules.
— Alors ça y est, Ari est revenue, moi j’existe plus ? s'exclame mon amie.
— C’est ça, sourit Danny.
Il ricane, et serre un peu plus mon bras au creux des siens.
Ma, assise en face de nous, nous regarde avec un air attendri. J’aime beaucoup cette vieille dame, elle me fait penser à notre vieille tante du Mexique, que nous allions parfois visiter lorsque Damian n’était pas encore né. Certes, elle était un peu aigrie, et très peu ouverte d’esprit, mais elle avait du caractère, et on sentait qu’elle ne faisait pas partie de ces femmes qui se laissaient marcher sur les pieds. Elle était pour l’égalité des sexes, refusait de faire à manger à son mari sous prétexte que c’était son ‘’rôle’’, et à même un jour insulté et mis mon père à la porte pour m’avoir obligée à porter une ridicule salopette rose que je détestais.
Ma a l’air un peu du même acabit.
— Vous êtes adorables tous les trois. Le troisième dort déjà, j’imagine ?
— C’est fort probable, il piquait déjà du nez pendant le repas donc...
— Ils vont être ravis lorsque le coq des voisins va se mettre à hurler demain matin à six heures. Cet animal est d’une stupidité : il chante même lorsqu’il fait encore noir !
Elle rigole, et pose ses intenses yeux bleus sur Danny, qui le pouce à la bouche, commence à fermer les yeux.
— Danny enfin ! Quel âge as-tu pour sucer ton pouce ? On en a déjà parlé !
Aussitôt, il retire son doigt d’entre ses lèvres, et s’excuse platement.
Techniquement, les jumeaux n’ont jamais connu de réelle ‘’figure maternelle’’. Bien sûr, il y a eu ma mère, mais qui entre deux rendez-vous chez le psychologue, ne prenait pas vraiment le temps de s’intéresser à leur sort. Il y a eu moi, évidemment, et bien que je déteste ce rôle qui n’est absolument pas le mien, il me faut avouer que depuis deux ans, leur mère, c’est moi.
Mais là, voir cette femme d’âge certain qui le reprend avec douceur et amusement, qui le guide et le protège, ça me réchauffe le cœur.
— Alors, que comptez-vous faire demain ? Visiter un peu le coin ? Je pourrais t’emmener au village rencontrer mes amis mon petit, ça pourrait être amusant !
Je comprends au ralenti que sa proposition m’est destinée, alors je souris, gênée.
— Oui, oui bien sûr ! Ce sera avec plaisir ! Mon frère m’a vaguement parlé d’aller faire un tour avec Samuel du côté d’un café ou je sais plus trop quoi.
— Le café du village oui, c’est un peu le lieu de rencontre de nos jeunes. Autant dire que toi comme moi avons passé l’âge d’y entrer !
Danny rigole à sa remarque, tandis que Mikky s’exclame avec choc.
— Ariana elle est pas vieille !
— Bien sûr que non, mais par rapport à Damian, ou à notre Sam, elle est trop âgée pour se fondre dans la masse.
Il acquiesce, et se pelotonne à nouveau contre moi.
Nous discutons ainsi encore un petit moment, avant que nous ne décidions tous d’aller nous coucher.
Je salue donc Ma et Fiona, et monte à l’étage coucher les jumeaux. La chambre qui leur a été mise à disposition est joliment décorée, et envahie de jouets qu’ils n’avaient pas en partant, j’en suis certaine.
Un lit superposé est encastré au fond de la chambre. Danny dort dans celui du bas et bien sûr, l’énervé de service dort dans celui du haut.
— Je suis contente de vous revoir, je murmure en les embrassant sur le front.
— Moi aussi. Il nous rejoint quand Rafaël ?
Étonnée de la question de Mikky, je bats légèrement des cils, avant de lui ébouriffer les cheveux.
— Bientôt, normalement.
— Chouette.
Une dernière étreinte, et c’est le départ de leur chambre, direction celle de Damian, au bout du couloir.
Comme je m’y attendais, mon frère dort déjà, enroulé dans un plaid à rayures, le sourire aux lèvres.
Lentement, sans faire de bruit, je m’approche pour déposer un baiser contre sa tempe, le regarde quelques instants de plus, profite de le voir si calme, si apaisé, avant de quitter sa chambre.
À peine la porte de ma propre chambre passée, mon téléphone se met à sonner dans mon sac. Je m’en empare rapidement et décroche avec le soulagement de tomber sur la photo de mon petit ami en fond d’écran.
— Alllô ?
— Comment ça va ? Tu sens pas trop le crottin ?
— Pour le moment, tout va bien, mais ça ne serait tarder.
Il rit à l’autre bout du téléphone, de son rire bas et suave, avant de reprendre, plus calmement.
— Le voyage s’est bien passé ?
— Très bien oui. Heureusement que ton frère était là, Damian s’est endormi à vingt-deux heures trente, le pauvre bibiche avait besoin de son quota de sommeil.
Nouveau rire.
Je le mets en haut parleur, tout en commençant à me déshabiller. Il me raconte son après-midi entière passée à travailler avec Jay sur leur stratégie d’arrestation pour le Chill’s hôtel, m’explique à quel point le quartier semble vide sans nous, me fait un rapport sur plusieurs passages d’hommes suspects aux alentours de notre maison.
Rien ne m’étonne, à dire vrai. Nous pouvions nous y attendre, avec la dernière attaque en date.
— Ils ont aussi été traîner du côté de chez H, me lance t-il avec amertume.
— Pas étonnant, il est autant dans le viseur que moi. Enfin... que nous.
Il acquiesce, et j’entends un bruit sourd de son côté, suivi d’un ‘’merde’’ franchement dégoûté.
— Un problème ?
— Je viens de faire tomber un cadre, rien de bien méchant. Au fait, on a pas reparlé de... enfin tu vois quoi, de notre petite dispute de jeudi dernier.
— Et j’ai franchement pas envie d’en parler au téléphone, je marmonne.
— Pas de problèmes, je te comprends.
Je lui parle ensuite de la façon adorable qu’ont eu ses grands-parents de nous accueillir, de l’enthousiasme des jumeaux de me montrer tout ce que Pa leur a appris depuis trois semaines, et de ce sentiment de sécurité absolument magique de ne pas avoir à toujours vérifier mon arme à ma hanche.
— Je te conseille tout de même de la garder, tu sais, les vieux du village aiment pas trop les ‘’rescapés de la frontière’’, murmure t-il.
— Je me doute. Écoute, je vais y penser mais en toute honnêteté, il nous faudrait un coin comme ça pour... après.
— Après ?
Il sait très bien de quoi je parle, mais veut simplement me le faire dire à haute voix.
Je ne lui donnerai pas cette satisfaction.
Désormais en pyjama, je jette un dernier regard par la fenêtre, mon portable à nouveau contre mon oreille, avant de fermer les yeux.
— Je vais aller me coucher Raf, je t’aime, dors bien.
— Ari ?
— Humhum ?
— J’essaye d’être là pour le réveillon d’accord ? Je t’aime.
Il raccroche, et je laisse pendre mon portable le long de mon bras. Dehors, l’ombre d’un chien traverse la cour, sous la lumière pâle de la demie-lune.
Je bats des cils, prends une grande inspiration, et vais me coucher.
Pour une fois, tout va bien, et c’est la simple vérité.
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