.

Samuel

Rafaël

.

   Je n'ai franchement aucune envie d'aller à cette soirée. Je veux dire, on ne connaît pas ces gens, nous leurs avons parlé une fois dans notre vie et déjà, il nous faudrait les rejoindre pour une soirée en ville ? Mon pied frappe le sol au rythme de mon agacement tandis que j'attends Damian, dans le couloir.

Monsieur s'est enfermé dans la salle de bain il y a presque vingt minutes, et n'arrête pas de me répéter ''qu'il a bientôt fini''. Je n'en suis pas certain. Ma patience a des limites qu'il est en train de doucement malmener.

— Damian !

— J'ai fini, j'ai fini ! Quelle heure il est ?

— Déjà bien trop tard pour moi, mais sûrement encore trop tôt pour toi ?

Il entrouvre la porte de la salle de bain pour me couler un regard étonné.

— T'es de mauvaise humeur ?

— Non. J'ai juste pas envie d'y aller.

— Allez Sam.

De sa main, il attrape la mienne, la presse, et me sourit avec son air de chiot battu, auquel je ne peux résister.

Du pouce, il caresse ma joue, m'embrasse, et retourne dans la salle de bain.

Jay me fatigue. Nous partons demain matin à six heures, et pourtant, monsieur à décidé que ce soir, il voulait sortir. Aller boire un petit verre, dans un bar sordide de Soledo. Son argument, simple et ma foi assez efficace : « Si on meurt demain, on doit au moins en profiter ce soir ! ».

J'ai finis par céder, bien malgré moi. Il doit sans doute m'attendre en bas, les clefs de la voiture en main. Je ne réussi tout simplement pas à me résoudre à quitter la maison avec pour certitude que je ramènerai un véritable cadavre ivre mort sur le siège passager ce soir.

S'il se met une mine, je l'achèverai de mes mains.

— Mi lady a t-elle bientôt terminé de se préparer ?

— Je t'emmerde Jay !

Je grogne, avant d'emprunter les escaliers pour le rejoindre. Il s'est fait beau, et sent même l'eau de cologne. Mes yeux le balayent, et étonné, je hausse un sourcil.

— Tu comptes soudoyer une jeune femme ?

— Je suis pas sûr que ''soudoyer'' soit le mot adapté.

— Si si, ça l'est.

Il me donne un coup de coude, rit, avant d'ouvrir la porte et d'ainsi faire entrer à l'intérieur une vague de froid mordant.

— Let's go Raffy.

   Il règne dans la maison d'Aby cette ambiance de fête ma foi, plus... blanche. Je me sais absolument à côté de la plaque de penser ainsi, mais le constat est là. Le rap latin a été troqué pour de la pop actuelle, les tenues sont moins folles, les corps ont moins tendance à se lier malgré l'anonymat de l'autre.

Nous sommes bel et bien à des années lumière de Soledo.

Je me fraie un chemin dans la foule, Damian devant moi, le visage fendu d'un sourire qui s'ouvre d'une oreille à l'autre. Ariana nous a donné une liste de recommandations, a insisité sur l'horaire de retour, a été intransigeante sur l'alcool et la drogue, avant de soutenir le regard bien trop excité de son frère.

C'est fou. Il ne connaît personne ici, à part cette fameuse Aby à qui il a parlé en tout et pour tout cinq minutes hier et pourtant, il me paraît comme un poisson dans l'eau.

Il salue les gens, leur adresse son visage le plus avenant, accepte les poings tendus dans sa direction.

Arrivé à la hauteur du bar, il attrape un verre de jus de fruit, me regarde dans les yeux avant de le porter à ses lèvres.

— Méfie-toi bien de ce genre d'arrogance, je le menace.

— Sammy ce soir, nous allons rattraper les soirées perdues.

— Même pas en rêve. T'as pas entendu ta sœur putain ? Les médocs que tu prends font pas bon ménage avec l'alcool.

Il hausse les épaules, et descend son verre de jus de fruit trop vite, pour ne pas me laisser le temps de comprendre qu'il vient de descendre un verre de punch. Je vais l'étrangler.

Au loin, la chef d'équipe rousse nous interpelle, et nous rejoint avec un sourire en coin.

— Ravie que vous soyez venus les garçons.

— C'est sympa chez toi, note mon petit ami. J'ai vu que tu avais une piscine dehors ?

— Tu dois me prendre pour le cliché de la cheerleader blanche blindée aux as.

— Carrément. Mais c'est pas grave. Après tout, on a tous un peu de cliché en nous.

Il lui tend un verre de punch, qu'elle descend aussi rapidement que lui, avant de lever son gobelet vide en l'air.

— Par contre, la musique ça va pas le faire.

— Quoi, vous écoutez quoi dans le ghetto ?

— Fais gaffe à ce que tu dis Cheryl, on vient d'une ville tout à fait respectable, pas d'un bidonville.

Je lève le doigt pour objecter, mais Damian me rejette d'un signe de la main.

— À peu près, se corrige t-il.

Aby crie au ''DJ'' de s'activer, de faire pulser le callente dans les basses, et Rango II de Pekeno 77 se lance dans les enceintes.

Le bar est bondé. Les sonorités latines de la musique passée à l'intérieur me vrillent déjà le crâne avant même que nous n'ayons passé la porte. Jay passe un bras autour de mes épaules, déjà euphorique, sans même avoir bu une goutte d'alcool.

— Petite préparation mentale pour demain, sourit-il.

— Je vais te tuer Jay. On part tôt demain bordel.

Il hausse les épaules, et pousse la porte du bar pour déboucher sur une vague de foule trempée de sueur et transpirant l'alcool.

Je le suis du mieux que je peux, nous frayons un chemin jusqu'au bar, où mon ami commande deux Tequilas frappées. Je prends place sur un tabouret, le regarde reluquer une jolie jeune femme dans la foule, soupirer.

Le barman me tend mon verre, que je sirote avec lassitude, les yeux perdus dans le vide, jusqu'à ce qu'une main ne vienne se poser sur mon épaule.

— El chico de mi hermana !

Manquait plus que ça.

Je roule des yeux, avant de dévisager H avec une certaine froideur. Et moi qui pensais qu'il était cloué au lit à cause de son bassin déplacé.

Il a l'air de plutôt bien se porter, déjà éméché. Le sourire aux lèvres, il m'incite à lui répondre avec la même chaleur, ce que je ne fais pas.

— Qu'est-ce que tu fais là gros ?

— Je me saoule pour oublier ton existence. À ton avis, qu'est-ce que je fais là ?

Il rit, ne comprend visiblement pas la tournure sarcastique de ma phrase, avant de hausser un sourcil en désignant Jay du pouce.

— Il sait qui est la fille qu'il drague ?

— J'imagine que non.

— C'est la sœur de Lu. Jolie nana hein ?

S'il s'attend à ce que je réponde, il se fourre le coude dans l’œil.

À la place, je bois une gorgée conséquente de mon verre, et ferme les yeux. Pourquoi ai-je accepté de le suivre ?

   Pourquoi ai-je accepté de le laisser venir ? J'avais quelques doutes quant à son enthousiasme bien trop grand pour une simple soirée lycéenne dans un si petit village. Je me demandais pourquoi, il tenait tant à y aller.

Maintenant, j'ai ma réponse.

Sur la pointe de son pied, il tourne, imite un mouvement de bassin que lui montre Aby, ricane avec le type qui l'a projeté en l'air hier après-midi. Sur mon gobelet, mes doigts se crispent, le plastique craque sous la pression. Je sens un peu de liquide s'échapper de l'entaille laissée par ma main, et hausse les sourcils.

— T'as l'air énervé, me lance un type à côté de moi.

— Je vois pas pourquoi je le serais, je rétorque doucement.

— Le gars là-bas, il est à toi ? 'fin, c'est ton mec non ?

Il me pointe mon petit ami du doigt, lequel vient d'attraper un nouveau gobelet rempli d'un alcool quelconque.

Je devrais appeler Ariana.

Je hoche doucement la tête, et vois le type soupirer, avant de me donner un coup dans l'épaule, amical.

— Aby, la rousse avec laquelle il danse, c'est ma meuf. Ils se sont bien trouvés tiens. On ouvre les paris ? À ton avis, lequel va vomir en premier ?

— J'espère, sans vouloir être méchant, que ce sera Aby.

— Vu ce que ton gars s'enfile, je parierais pas trop là-dessus.

Nouvel hochement de tête, que puis-je répondre à cela ?

« Franchement, tu devrais le ramener chez vous. Ça pue mec » - Duke.

Le message de mon ami, à qui j'ai demandé conseil, ne me rassure pas du tout.

Pensivement, je me mords la lèvre inférieure, avant de sursauter lorsqu'une ampoule grésille puis grille près de moi. Avec un temps de latence, je me remémore la soirée chez Duke, et sens mes muscles se liquéfier. Un picotement remonte le long de ma colonne vertébrale, me fait tourner la tête. Damian m'a vaguement parlé des flashes qu'il avait parfois, des quelques jours qu'il a passés en Enfer au Mexique. Je comprends enfin de quoi il parlait exactement.

Je secoue la tête en fermant les yeux, et me retrouve bientôt face à face avec Damian, qui m'a rejoint, tout sourire, les joues rouges. Ses cheveux sont encore plus en bataille que d'habitude, et son souffle erratique, sens des effluves de vodka.

— Viens danser avec moi, murmure t-il.

— Dam, tu sens l'alcool.

— Oh allez ! Saaam ! Viens avec moi !

Il attrape ma main, me tire en avant, mais je reste en place, le regard dur. Son propre visage se crispe, avant qu'il ne roule des yeux, et me tourne le dos, pour me jeter un regard arrogant par-dessus son épaule.

— Comme tu voudras.

Il s'éloigne, et mon voisin d'infortune me donne un nouveau coup de coude.

Du doigt, il me désigne un type de l'autre côté de la salle, qui vient de faire sgne à mon petit ami, qui l'invite visiblement à danser avec lui.

Ça commence franchement à me gonfler.

Qu'est-ce que ça m'énerve. H est collé à moi comme un chewing-gum à une semelle, et Jay m'a totalement oublié au profit de Lu numéro deux. La façon obscène que mon ami a de se frotter à elle me donne l'irrépressible envie de prendre mes clefs de voiture, et de me barrer d'ici.

Qu'est-ce qu'il cherche à faire exactement ? Se mettre minable une dernière fois au cas où on se ferait trouer le bide au Mexique ? C'est ridicule.

— T'as l'air contrarié, note Hugo en agitant son verre de bière.

— On part demain matin pour le Mexique. J'aimerais être chez moi.

— Tu retournes au... ?

— Ouais.

Il hoche doucement la tête, porte le verre à ses lèvres, et détourne les yeux. J'ai cependant le temps de capter dans son regard l'éclat douloureux engendré par ce souvenir.

À dire vrai, Ariana et moi sommes resté focalisés sur le fait qu'il n'était pas venu à l'hôpital, mais jamais personne n'a jugé bon de lui demander pourquoi, exactement. Catégorisé de ''méchant'' dans cette histoire, alors que je porte presque voir autant de responsabilités que lui.

— Tu as eu Ariana ? Ils sont bien en Arizona ?

Sa voix est trouble, l'alcool commence à affecter sa diction.

— Oui, j'imagine. Je l'ai eu au téléphone tout à l'heure, elle s'inquiétait pour Dam et Sam. Ils ont rencontré des jeunes en ville, et avaient une soirée ce soir. Elle savait pas si elle devait les laisser y aller.

— Elle a dit oui j'espère ?

— J'imagine.

— J'espère vraiment. Ils sont en sécurité là-bas, ça a pas de prix. Ils risquent rien.

J'acquiesce, et bois à mon tour une gorgée de rhum, avant de couler un regard à Jay et la sœur de Lu.

Ils ont disparus de la piste de danse.

De mieux en mieux, vraiment.

   Il est séreux ? Damian me fixe, défiant, tandis qu'il ondule entre les mains de ce sale type blond. Furieux, je le regarde faire depuis ma place, Bruce Lee de Mesita en arrière-fond. Le rythme saccadé de la chanson entraîne les battement de mon cœur sur la même cadence.

Le petit ami d'Aby est toujours près de moi, et noie son désappointement dans l'alcool et le saladier de chips à côté de nous.

J'avale une poignée de cacahuètes, note le sourire de Damian lorsque la main du type descend lentement le long de sa hanche.

Il est en train de péter un câble, c'est pas possible ?

Voir les mains de ce parfait inconnu glisser le long de ses hanches de cette façon sensuelle me révulse, je saute de ma chaise, et traverse la piste de danse pour me planter devant eux.

Mon petit ami a le regard voilé par une brume alcoolisée qui doit sans doute le précipiter dans sa chute mais hé, ça n'excuse pas tout.

— Damian, on va y aller je crois.

— Pourquoi ? Parce que tu t'ennuies ? C'est pas mon cas, alors rentre si tu veux.

— Je rêve où tu fais la gueule ? Dam sérieux ?

Il sourit toujours, pose ses mains sur celles du type, ferme les yeux, avant de les rouvrir pour me défier, encore, de dire ou faire quelque chose.

— T'es ridicule, je grince.

— Et toi qu'un sale con. J'ai déjà une Ariana, pas besoin que tu prennes sa place quand elle est pas là.

— Je t'assure que si tu vomis ou que tu perds connaissance quelque part dans cette baraque, je serais pas là pour te ramasser.

Il blêmit, écarquille rapidement les yeux, avant de reprendre une contenance. J'ai peut-être été un peu loin.

Son nez se fronce, il ferme les yeux, et délaisse l'autre garçon pour revenir auprès de moi, les mains à plat sur mes épaules. Elles sont moites, son visage brille de sueur.

Ça craint bordel.

— T'es sûr que ça va ? je murmure contre son oreille.

— Pourquoi ça irait pas ?

— Je sais pas, à toi de me le dire.

Il relève vers moi des yeux bien plus présents que ce à quoi je m'attendais après la quantité d'alcool qu'il vient de s'enfiler, verre après verre.

Instinctivement, mes mains trouvent leur place sur ses hanches, tandis que les siennes se nouent derrière ma nuque.

Il me sourit, j'ai envie de laisser passer son grand écart de la soirée, de ne plus l'embêter avec ça. Il est si beau, je pourrais tout lui passer. Sauf que ce serait trop facile.

Le type avec qui il dansait jusqu'à maintenant nous regarde un bref instant avant de quitter la piste, les épaules voûtées.

— Tu l'as refroidi, chuchote mon petit ami contre mon cou.

— Tu es à moi.

— Je sais. Mais toujours te laisser diriger, ce serait moins amusant.

Il tourne sous mon bras, je resserre ma prise, sens son corps contre le mien, ses muscles fermes et son corps gainé. Ressent-il autant de chose lorsqu'il me serre contre lui ?

Sûrement.

Ses mains caressent ma nuque, tandis que les miennes glissent le long de ses flancs, effleurent la courbe de ses reins.

Un sourire provocateur se dessine sur ses lèvres et sans avoir bu, je me sens pourtant prêt à défaillir.

— Je dois aller pisser, tu m'accompagnes ?

Toujours pas de nouvelles de Jay. J'ai songé à partir à sa recherche mais, l'engourdissement de mon corps rend la tâche inconcevable. Je suis bien ici au final, au côté de H, qui loin d'avoir l'alcool joyeux, se noie dans une complainte assez floue de ce qu'il a raté depuis deux mois, ce qu'il aurait dû éviter de faire, ses erreurs et ses doutes. Et, je l'écoute bien sûr, mais je ne comprends pas tout.

Hugo s'esclaffe tristement, a du mal à attraper son verre, finit par prendre le mien, en boit une gorgée, grimace.

— C'est quoi ça... ?

— Du rhum brun.

— On dirait de la javel.

Je souris, me demande s'il sait vraiment quel goût à la javel, avant que subitement, il n'attrape ma main, la presse dans la sienne.

— Je voulais te dire mec, je suis content que ma sœur t'ai rencontré. Et, si vous décidez de quitter Soledo, j'espère que je pourrais venir vous voir.

Il hoquette, rote, éclate de rire. Malgré moi, je le suis dans ce fou rire, car quoi que je puisse en dire, son rire est communicatif. Il essuie une larme au coin de son œil, retrouve un visage sérieux.

— Ça craint Raf, mon père sort dans moins d'un mois.

— Je sais mec.

— Il va vouloir reprendre le gang et... je vais faire quoi moi ? Après l'histoire avec Donni, il va me radier.

Je plante mon regard dans le sien, hausse un sourcil.

— T'es pas obligé de... rester. T'es encore jeune Hugo, tu peux rebondir.

— Je sais rien faire d'autre.

— Moi je suis sûr que c'est faux.

— Tu serais un bon psy, note t-il en me pointant d'un doigt équivoque.

— Crois-moi, ce serait franchement pas une bonne idée.

Il rit à nouveau. Du coin de l’œil, je repère Jay, les cheveux en bataille, les joues rouges. Il ne fait que traverser la salle, sa main fermement tenue au creux de celle de la sœur de Lu.

Je bois une autre gorgée de rhum, écoute H me parler de sa situation amoureuse désastreuse, de sa vie qui se barre en couille. Dommage que Damian soit parti avec tous ses anti-dépresseurs, je connais un autre Cortez qui en aurait eu besoin.

— Je crois que j'aime bien ta compagnie.

— J'aimerais bien te dire que c'est réciproque, mais j'en suis pas certain.

— Oooh, Raf ! Dis pas ça ! Avoue, tu m'aimes bien dans le fond ?

Je hausse les épaules, et secoue la tête, avant que de sa poche, il ne sorte un paquet de cigarette.

— Clope, tu m'accompagnes ?

   Je suis Damian du mieux que je peux jusqu'à la salle de bain de l'étage, mon petit ami accroché à moi avec une force assez étonnante compte tenu de sa taille. Ses mains refusent de me lâcher, tandis que je trébuche dans les marches, qu'il rit, hilare.

Il pousse la porte de la salle de bain, que je referme après mon passage, qu'il verrouille ensuite avec un regard équivoque.

— Dam...

Ses lèvres me font taire tandis qu'il me plaque contre la porte de la salle de bain, les mains à plat de chaque côté de mon visage.

Il y a de l'urgence dans son baiser, une impatience ressemblant à celle d'un enfant frustré de ne pas avoir obtenu gain de cause. Il ondule contre moi, je me sens défaillir.

Non, non, non, hurle mon cerveau.

Oui, oui, oui, rétorque mon corps alors que je me tends comme un arc sous son toucher.

Ses mains quittent le mur pour rejoindre mon visage, alors je saisis l'opportunité d'échanger nos places : en une impulsion, il se retrouve dos au mur, le souffle court.

— C'est pas une bonne idée, je murmure contre ses lèvres.

— J'ai des capotes, répond t-il simplement.

Je frémis. Fier de son effet, mon petit ami sourit un peu plus, tout en faisant passer mon tee-shirt par-dessus ma tête.

J'entends toujours la musique en bas, ressens la vibration des basses, arrive presque à entendre les battements du cœur de Damian, pulsant sur le même rythme.

Mon corps est en auto-pilote, mon cerveau s'est absenté du cockpit principal pour raisons personnelles. Mes mains jouent sur sa peau, le font frémir, j'ai un contrôle total sur comment me mouvoir, et pourquoi.

Mes lèvres embrassent son cou, il gémit contre mon oreille, mes pieds quittent le sol, j'explose.

L'air est plus que frais dehors. Je ressers mon blouson autour de moi, me frotte les mains pour les réchauffer. Il y a du monde devant le bar, quelques personnes interpellent H, le saluent, lui demandent comment vont ma petite amie et ses frères. Avec des doigts tremblants de froid, j'allume ma cigarette, et me penche pour allumer celle de Hugo.

D'une longue inspiration, il avale de la fumée, la recrache, fixe les volutes s'évaporer dans la nuit noire.

Mes yeux balayent la rue, les lumières aux fenêtres des maisons, les phares de voiture, les têtes crépitantes des cigarettes.

Demain, à cette heure-ci, je serai loin.

Notre chef a décidé de nous faire partir en voiture, afin d'avoir une meilleure mobilité.

Mes lèvres se pressent l'une contre l'autre alors que H pose une main sur mon épaule, me sourit à travers le mur de fumée.

— Je vais peut-être aller rejoindre Ari pour noël.

— Sérieux ? T'as décidé ça quand ?

— Sur le chemin entre le comptoir du bar et ici, rit-il.

Je secoue la tête, roule des yeux, avant de planter mon regard dans le sien.

— C'est une bonne idée. Comme ça, tu regagneras peut-être des points auprès de Dam.

— Plus facile à dire qu'à faire, il m'a tout de même balancé ma canette à la figure l'autre jour.

— Je sais, j'étais là.

Une ombre piteuse traverse son visage, avant qu'il ne hausse les épaules.

— De toute façon, j'aurais beau lui expliquer, il voudra pas me croire.

— Comment ça ?

— Pour l'hosto.

Je m'apprête à répondre lorsqu'au coin de la rue, un crissement de pneus me cloue sur place. Le son est si fort qu'un instant, il couvre la musique à l'intérieur du bar.

Puis c'est l'accélération, la montée de trois à cent kilomètres en ligne droite, la fenêtre qui s'ouvre et...

… le sol se dérobe sous mes pieds.

   Je ne suis pas très habile, pas très adroit, lorsque je passe mes mains dans le dos, puis sur l'abdomen dévêtu de Damian. Lui, plus expérimenté, ne me donne aucune indication, me laisse nager en eaux troubles, joueur. Il examine, juge, se fait témoin de ma première plongée, ma première tête dans ces eaux tumultueuses de plaisir et de peau. De peau nue, de peau chaude, frémissante et humide, tandis que mes mains s'activent, que les siennes me rendent fou.

Le toucher est un plaisir incommensurable, mais aussi une torture sans nom : comment savoir si j'agis convenablement ?

Le temps que je comprenne ce qui se passe, une détonation retentit, et comme un signe avant-coureur de la fin, une gerbe chaude me gicle au visage.

Un instant, je reste figé, les bras ballants, les mains tremblantes, le regard perdu sur la route, là où se trouvait il y a dix secondes encore, une voiture noire et blanche.

Ma bouche refuse de s'ouvrir et pourtant, il le faudrait.

Autour de moi, les gens hurlent, s'agitent et s'éparpillent.

Difficilement, je ravale ma salive, et réagis enfin, lorsque le corps de Hugo chute vers l'arrière.

Maladroites, mes mains se referment autour de son torse, amortissent sa chute, je n'arrive plus à respirer.

— Éclairez-nous ! je hurle, la panique saturant ma voix.

Des flashs de téléphone illuminent la nuit, délivrent enfin cette scène insoutenable à mon regard hébété. Hugo blessé, Hugo tremblant, Hugo pantelant, Hugo agonisant...

… Hugo mourant.

Mes mains tentent de contenir l’hémorragie au niveau de sa gorge, là où la balle a perforé sa peau mais je ne fais qu'aggraver l'afflux de sang.

— Appelez les urgences !

Du mieux que je le peux, je retire ma veste, la roule en boule et la presse contre sa blessure, la sens se détremper de seconde en seconde.

Toucher sa peau brûlante, trempée, est une torture.

   La peau de Damian est trempée contre la mienne, à mesure que le mouvement de mes reins se font plus précis, plus rapides. Ses jambes nouées autour de ma taille glissent légèrement, le plaisir rendant sa concentration limitée. Une chance qu'il ne soit pas lourd, ainsi enroulé autour de moi tel un serpent autour de sa proie. Son visage enfouie dans mon cou, je sens sa respiration haletante, ses soupirs de plaisir, bien moins prononcés que les miens.

— Ça va comme ça... ? Je murmure en tentant de tenir ma prise contre le mur.

— Tais-toi.

Mon coup de hanche plus brutal que les autres, le fait geindre contre moi.

Ses ongles s'enfoncent dans mon dos, me griffent, laissent une trace de leur passage.

  Les ongles de Hugo s'enfoncent durement dans la peau de mes avants-bras, tandis qu'il se raccroche à moi avec l'énergie du désespoir. Quelqu'un dans la foule a appelé les urgences, elles ne devraient plus tarder.

— Hugo, ça va aller, je murmure en le tenant contre moi.

Il ne me répond pas, tremble, se tend, s'agite, en essayant de trouver de l'air.

Ses voies respiratoires sont engorgées de sang, il n'arrive plus à respirer.

   Damian a du mal à respirer. Il cherche de l'air, écarte son visage du mien, mais je ne le laisse pas faire, reprends ses lèvres entre les miennes, vois son regard se voiler d'un plaisir si grand qu'il ne contrôle plus rien, de ses frissons jusqu'à ses gémissements qui de seconde en seconde, se font plus forts.

Mes lèvres se courbent en un sourire satisfait contre les siennes, alors qu'il geint mon prénom.

Mes lèvres se nouent à celles de H, j'essaye de lui insuffler de l'air. Dans ma tête, je compte, je chronomètre, j'essaye de faire au mieux.

Autour de moi, les passants s'accumulent, les voix se font fortes et lointaines, agitées et répugnées à la vue de ce corps qui, de seconde en seconde, se vide du peu de vie qui lui reste.

— Hugo, reste avec moi.

Son regard se voile d'une ombre désespérée. Sa main s'agite, il me repousse doucement.

— Non, non, non, je murmure en sentant mes yeux me brûler.

Du sang déborde de la commissure de ses lèvres, sombre et épais.

Mon cœur, mon estomac se retournent.

Ses lèvres bougent, il tente de prononcer mon nom, n'y parvient pas.

J'ai le cœur au bord des lèvres, les larmes au bord des cils.

Son corps s'agite encore, brutalement.

   Notre ballet de peau et de chair touche à sa fin. Mes jambes me soutiennent à peine, mes bras n'arrive presque plus à soutenir mon petit ami contre moi.

— Plus vite Sam je... allez, gémit-il.

Je l'écoute, me ploie à sa demande, accélère et...

— Sam !

… c'est le dernier soubresaut, celui qui nous unit dans un même mouvement, fait de nos corps une seule entité, un seul tout.

J'entends les sirènes de l'ambulance au loin mais, l'ultime soubresaut, le dernier avant la mort, m'agite presque autant que Hugo. Je sens ses muscles se contracter, se tendre, puis se relâcher dans un ultime soupir.

— Hugo !

Mon cœur explose, mes larmes débordent, et comme un fou, je me mets à agiter son corps inerte avec l'énergie du désespoir.

Lorsque l'ambulance arrive enfin, je suis recroquevillé au sol, le corps de Hugo contre le mien, formant un tout, une seule entité confondue dans la douleur.

Déclaré mort cliniquement à onze heure et treize minutes.