44 - Damian
.
Damian
.
Mon dos se cambre, lorsque contre la peau fine de l’intérieur de ma cuisse, je sens la langue de Samuel remonter lentement le long d’une de mes nombreuses cicatrices. Mes pieds se crispent, mes jambes s’agitent, mon petit ami en attrape une avec un regard équivoque.
— Bouge pas, murmure-t-il en montant pour prendre mes lèvres entre les siennes.
Je ne rétorque rien, le laisse embrasser mon cou, mon épaule, avant de planter son regard dans le mien, le souffle court.
Et dire qu’il a osé dire à Rafaël qu’il avait besoin de me voir pour ‘’réviser’’. Quelle bonne excuse.
Mon corps s’agite, lorsque ses hanches débutent un lent va-et-vient. Mes bras passés autour de sa nuque le rapprochent de moi, le forcent à rester le plus près possible, à se fondre dans ma chaleur. Je laisse son étreinte m’envelopper, sa présence combler le vide et, je ferme les yeux.
Depuis notre première fois, à la soirée de Aby en Arizona, je le sens tendu, toujours prêt à saisir l’occasion lorsqu’elle se présente. Mais, autant dire que les circonstances étant ce qu’elles sont, notre activité à ce niveau-la n’a pas été très productive la semaine dernière. Je ne pouvais juste pas me résoudre à avoir du plaisir alors que mon esprit était ailleurs, loin très loin, auprès de H, de Ariana qui est en train de péter une durite, et auprès de Rafaël qui, malgré ce qu’il en dit, n’est pas ressorti indemne de la mort de mon frère.
Les dents de Samuel s’enfoncent dans la chair de mon épaule, je gémis contre sa peau.
— Ça va ? murmure t-il.
— Va plus vite.
Mes ongles s’enfoncent dans la peau de son dos, y laissent des traces, tandis que je me cambre, me tords en tout sens sous la douceur de ses caresses et la fermeté de ses coups de hanche.
J’entends les jumeaux jouer dehors, au foot sûrement, sous le regard protecteur de Ariana. Jamais loin, elle guette le danger, prévient la prochaine agression, est parée à l’attaque.
— Dami... ?
— Hum ?
— Tu veux être au-dessus ?
Je sourcille à peine, et enroule mes jambes autour de ses hanches pour échanger nos places.
Nous avons convenu avec Samuel, une règle très précise quant au sexe : en aucun cas, je ne veux coucher sans voir son visage. Je pouvais avant, mais... ce n’est plus possible. Alors, libre à lui d’inventer les positions qui lui chante, tant que je peux garder le contact visuel avec lui, savoir que c’est lui. Ses grands yeux bleus me balayent, me couvrent d’un regard passionné qui me fait tourner la tête, tandis que ses mains agrippent mes hanches pour accompagner mon mouvement.
Coucher avec lui, c’est différent de tout ce que j’ai vécu auparavant. Bien plus doux qu’avec Isak, ça c’est une certitude, mais surtout... il y a autre chose, ce petit truc qui me vrille l’estomac et me fait prendre un pied de malade alors qu’il ne fait que débuter dans ce domaine.
Ma sœur dirait, que c’est l’amour qui me fait ressentir ça. Sans doute, je n’ai pas de moyen de comparaison de toute façon alors, je vais devoir la croire.
— Ariana !
La voix de Danny dehors, ne m’interpelle pas plus que ça. Les mains à plat sur les épaules de Sam, je me soutiens, et lui fais tourner la tête.
— Ariana !
Cette fois-ci, je ralentis, et tends l’oreille, pour tenter de comprendre ce qui se passe là, dehors.
La main de Samuel ramène mon visage près du sien, mais je lui fais signe de se taire, d’écouter.
— Ariana !!
Pourquoi ne répond t-elle pas ?
Frustré au possible, je me défais de Samuel, et marche jusqu’à ma fenêtre pour jeter un coup d’œil dans le jardin. Les jumeaux sont sous le porche, et fixent notre père, debout face à eux, les mains levées en signe d’accalmie. Il tient un sac en plastique visiblement bien rempli et adresse à mes petits frères un sourire tout sauf vrai.
— Génial, je gronde sourdement avant de revenir sur le lit. Je vais la laisser gérer cette affaire. Ça commence franchement à me gonfler.
Samuel secoue la tête, et sursaute lorsque je me rassois sur lui sans plus de préambule.Un hoquet de surprise s'échappe de ses lèvres, tandis qu'à nouveau en moi, il recommence à bouger ses hanches.
Pourquoi faut-il qu’il revienne après notre altercation de la semaine dernière ? Ça ne lui a pas suffit ? Il en veut encore ? Peut-être pense t-il pouvoir nous amadouer en passant par Mikky et Danny : qu’il aille se faire foutre.
— Dami...
Les doigts de Samuel se crispent dans ma chair, je n’y prête presque pas attention. La colère qui grimpe en moi de seconde en seconde me pousse à accélérer le mouvement, bien que mon petit ami, déjà en nage, ne puisse pas suivre le mouvement.
Son souffle s’accélère, se perd dans un mélange de gémissement et de hoquets avant que soudainement, il ne se tende, et ne se relâche.Ses yeux s'écarquillent en même temps qu'un cri étouffé franchit ses lèvres.
De mieux en mieux.
Un râle de frustration passe mes lèvres, et le temps que je me redresse pour enfiler un caleçon, Samuel n’est toujours pas redescendu de son nuage, sur lequel il a été le seul à aller.
— Je reviens, je gronde après avoir refermé ma veste de sport.
Il me répond d’un drôle de son, et je claque la porte.
Mon père est rentré, j’entends sa voix dans le salon. Celles des jumeaux également, mais aucun signe de Ariana.
Et pourtant, elle est bien là. Assise dans le canapé, le regard électrique, elle fronce les sourcils à ma vue, se mord la lèvre.
L’ambiance est malsaine, entre mon père qui vient, oh mon dieu, d’offrir des cadeaux de Noël aux jumeaux, ces deniers qui ne savent pas comment réagir et ma sœur prête à arracher la tête de notre père avec les dents, c’est le flou artistique.
—Qu’est-ce que tu fais là ? Je lance méchamment à la direction de mon père.
J’ai pris une grande décision. J’en ai marre de m’écraser face à lui, de ramper pour me faire oublier, alors maintenant, il composera avec les cartes qu’il tire, celles qu’il perd, et celles que nous lui accordons. Autant dire qu’aujourd’hui, il a un très mauvais jeu.
— C’est également un plaisir de te voir chico.
Il marmonne, ne m’accorde même pas un regard. Sentant la réponse venir, Ariana me fait signe de me taire, et de venir près d’elle.
Elle est tendue comme un arc, mais tente tout de même de me rassurer d’un sourire en coin.
— Je remonte, Sam est toujours en haut, je grince en tournant les talons.
— Non, reste là, grogne mon père. J’ai à vous parler à toi et ta sœur.
— Bah moi j’ai aucune envie de te parler, alors...
Il me coupe, abruptement, en se redressant et en plantant sur moi un regard incisif.
— Je sais où se cache Donovan.
J’ai un temps de latence, un moment à vide où dans ma tête, ça ne connecte pas. Donovan ?
Puis, d’un coup, je comprends, et je blêmis. Mes jambes tremblent, mon dos se voûte, je sens une nausée me prendre.
Ariana s’est redressée dans son canapé. Visiblement, elle n’était pas non plus au courant de cette annonce, à en croire sa réaction. De mordante, elle est passé à affreusement intéressée, les épaules inclinées vers notre père.
— ... quoi ? je murmure en baissant les yeux.
D’un coup, toute ma belle assurance et mes résolutions se sont envolées. Je suis juste... vide.
— Figure-toi mi hijo que pendant que vous faisiez Noël en famille, sans moi bien sûr, papa n’a pas chaumé. Papa s’est bougé le cul, et a retrouvé le traître.
Sa façon étrange de se nommer à la troisième personne du singulier m’étonne, et semble avoir le même effet sur les jumeaux. Les sourcils froncés, Danny semble plus à même de suivre la conversation que son frère qui bien trop obnubilé par son jouet, ne porte presque aucune attention à notre père.
— Que Dieu te garde, tu es vraiment un saint, grince ma sœur en se relevant. Où il est ce fils de pute ?
Il y a une fureur, une haine glaciale dans sa voix. Quelque chose qui, lorsque ça explosera, ne laissera rien sur son passage. Je ne sais pas si je dois croire en elle, ou bien la craindre : l’état dans lequel elle se trouve depuis la mort de Hugo me terrifie. La corde s’est rompue, pour de bon.
— Je ne sais pas mi hija, ton chéri le flic ne te l’as pas déjà dit ? Après tout, il est si performant, si au-dessus du commun des mortels, il devrait déjà être au courant.
— Accouche papa.
— Il se planque dans un motel miteux du nord de la ville. Pour ce qui est de la chambre exacte, je ne sais pas, mais...
— Tu as le nom du motel ?
— Le Calvin’s hotel.
Ariana secoue la tête, et sort son portable de sa poche, avant de se mettre à fouiller dans son répertoire. Mon père, visiblement aussi perdu que moi, l’interroge du regard, sans piper mot.
— Figure-toi papa, que le Calvin’s hotel, tout comme le Rivera, ou le Prado, faisaient parti des motels que je fréquentais du temps où j’étais escort-girl. Plutôt pratique dans le sens où, ma patronne madame Iko, a un regard sur chaque personne qui y pose ses valises, étant donné que ces motels lui appartiennent. Je vais donc l’appeler de ce pas, et savoir en quelle chambre se cache ce fumier.
Je hoche la tête, impressionné, et suis presque surpris d’entendre les marches grincer derrière moi. Mon petit ami, visiblement remis de notre ébat, s’est rhabillé et a même pris le temps de remettre de l’ordre dans ses cheveux. Enfin, ordre... tout est relatif, on parle tout de même de Samuel.
— Je ne vous dérange pas, s’empresse t-il de lancer à mon père. Je ne fais que passer, je...
— Attend gamin.
La voix de mon père claque, mais à la façon d’une douce demande. C’est assez contradictoire, et c’est ce qui me gène.
Mon père a la chance, dans son malheur, d’avoir un charisme et un vocabulaire qui le font passer aux yeux du restant du monde, pour un homme parfait en tout point. Bon parlé, bon phrasé, il s’habille convenablement, a une coupe de cheveux entretenue. Il pourrait facilement se fondre dans la masse d’un New York rugissant ou d’un Washington très chicos. Et c’est je crois, ce qui déstabilise Samuel.
— Samuel c’est ça ?
— Oui monsieur.
— J’ai appris que tu avais pas mal ramassé au nom de mon gang depuis ton arrivée à Soledo, et j’en suis sincèrement navré.
Mon petit ami se tortille sur place, mal à l’aise.
— Non, non je...
— Non vraiment, je tenais à m’excuser auprès de toi de la part de mes hommes. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas aux normes chez moi mais, une chose est certaine : je ne supporte pas que l’on s’en prenne aux innocents au nom d’une vengeance personnelle. Tu as été une victime collatérale, et j’en suis vraiment désolé.
Non mais je rêve, à quoi il joue là ? Au bon samaritain qui se reprend de ses fautes ?
Samuel hoche doucement la tête, et commence à peine à s’éloigner avant que la voix grave de mon père ne tonne à nouveau.
— Néanmoins, il me faut admettre que si tu ne trainais pas autant près de mon fils, il ne te serait jamais arrivé le quart de ce que tu as subi. Mon garçon, je vais être clair avec toi : sous mon toit, on respecte la Bible et ses valeurs. Aussi, je te demanderai de bien vouloir cesser d’ainsi tourner autour de mon fils, et ce dans les plus brefs délais. Est-ce qu’on est clair ?
Je jette un regard désespéré à Ariana, qui me fait signe de laisser couler, que je ne dois pas l’écouter. Alors, je me contente de baisser la tête et de serrer les poings.
De toute façon, dans peu de temps, nous serons loin de cette ville maudite, et loin de lui. Mais pour le moment, et je comprends Ariana, il nous faut le garder de notre côté, ne serait-ce que pour pouvoir bénéficier de son aide lorsqu’enfin, nous lancerons une offensive sur Donni et les King.
Samuel me coule un regard blessé, mais je ne relève pas.
— Très bien monsieur, répond t-il finalement après m’avoir adressé une grimace douloureuse.
Et sans rien ajouter, il quitte la maison.
Moi, je reste là, planté devant l’escalier, à écouter Arian discuter avec son ancienne chef au téléphone. Mon père quant à lui, ravi de son petit effet ‘’caresse dans le bon sens, puis dans le mauvais’’, me sourit avec un petit rictus que je déteste, qui me hérisse.
Là, tout de suite, il pense avoir gagné.
— Chambre 431, annonce Ariana après avoir raccroché.
…
Papa a réquisitionné l’ancienne maison de notre frère pour rétablir sa base d’opérations. Autant dire, que c’est ici, entre les murs de Hugo, qu’il rassemble ses hommes, prépare sa prochaine attaque.
Ariana et moi, conviés à cette ‘’réunion’’ officieuse restons à l’écart, dans le plus reculé des recoins du salon, et observons les hommes et femmes de mon père, se monter la tête et se préparer à ‘’casser du King’’.
Depuis sa visite impromptue hier après-midi, mon père n’a pas cessé de nous vanter les mérites de son réseau, et du fait que malgré notre aversion pour ses actions, sans lui, je serais sûrement toujours au Chill’s hotel. Façon assez délicate de rappeler à Ariana que dans cette histoire, sans Sergio, tout ne se serait pas soldé aussi facilement. Façon également de me rappeler que je lui dois la vie.
Rageusement, je ronge l’ongle de mon pouce, l’arrache avec un grognement sourd : avec l’ongle vient de partir un morceau de peau, qui laisse une écorchure douloureuse sur mon doigt. Ariana me regarde faire, et soupire.
Nous avons rapidement reparlé de l’épisode ‘Samuel’’ hier soir, et elle m’a clairement demandé de ne pas lui renvoyer de message, de le laisser loin de moi le temps que l’histoire avec les King soit définitivement réglée. Et, selon mon père, elle sera réglée dans les plus brefs délais.
— Ariana ?
L’interpellation de mon père la tire de sa torpeur. Elle s’étire, et hausse un sourcil.
— Viens voir mi hija.
J’agite la tête, et la laisse rejoindre notre paternel tout en dirigeant moi-même une attention toute autre au centre de la pièce.
— Mes hommes m’ont appris qu’il y a deux semaines, tu avais sû prendre les devants et imposer une accalmie. Je t’en félicite. Et, je dois bien avouer que maintenant que mon fils... que Hugo, nous a quittés, il me faut trouver un nouveau repreneur. Tes deux aînés ayant succombé avant toi Ariana, ce privilège te revient de droit.
Mes yeux s’écarquillent. Encore une fois, il manœuvre, il camoufle pour mieux contrôler.
Je sais ce qu’il essaye de faire : il va donner les rênes à Ariana pour l’intervention au Calvin’s hotel, et va la laisser conduire ses hommes. Ce sera donc elle, la responsable directe de l’assaut contre les King. De ce fait, elle se retrouvera impliquée dans le conflit, qu’elle le veuille ou non, alors que pour le moment, elle n’est portée que par son désir farouche de tuer Donni.
Il ne faut pas qu’elle accepte, il faut...
— J’aimerais avoir votre avis car ici, loin d’être une autocratie basée sur la violence et l’intimidation, nous sommes avant tout una familia, des frères et des sœurs de cœur. Alors, mi hermanos, que pensez-vous du fait que ma fille Ariana dirige l’opération de demain ?
Demain... ? je songe brutalement en sentant mon souffle se glacer entre mes lèvres.
Les mains se lèvent, une à une, approuvent l’idée de papa, confortent Ariana dans le fait qu’elle a le soutien du gang, me terrifie dans le fait qu’elle pourrait ne pas voir le mur arriver.
J’essaye de lui faire un petit signe de la main, de capter son regard, d’anticiper sa réaction, sa réponse. Mais rien n’y fait. Elle reste juste plantée là au milieu de cette assemblée qui l’acclame, a balayer la foule du regard, à attendre la suite du discours magnifiquement interprété de notre père intellectuel à ses heures perdues.
J’ai envie d’envoyer un message à Samuel, de me barrer de cette maison qui transpire le souvenir encore trop bouillant de Hugo, de rentrer chez moi ou mieux, de prendre l’avion et de me barrer en Arizona.
Sauf que je ne peux pas, ordre de Ariana. Et, si je suis désormais contre l’idée de suivre aveuglément les directives de mi padre, il est hors de question que je me mette Ariana à dos. Elle est avec Samuel, tout ce qu’il me reste.
Je la vois se racler la gorge, relever la tête vers l’assemblée, et afficher un sourire que je lui connais bien.
C’est fini.
— Ce sera avec un grand plaisir que je mènerai l’offensive contre Donni, avec cependant une demande explicite et non-négociable : au cas où l’un de vous le trouverait avant moi, vous avez ordre de me le laisser en vie.
Annotations