47 - Ariana
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Ariana
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À l’instant même où je vois le visage de mon frère tomber en avant, à la renverse, je sens mon cœur se contracter en un battement décisif. Le coup de crosse que lui a administré Donni l’a complètement sonné.
Je respire vite, ne sais pas quoi faire de mon corps et de toute cette colère qui bouillonne et menace d’exploser sans aucun contrôle.
J’étais à deux doigts de le tuer. De lui exploser la cervelle et d’enfin pouvoir tirer un trait sur cette erreur grossière que mon père a laissé entrer dans nos vies.
S’il n’avait pas pris en pitié ce pauvre gamin stupide que Hugo avait trouvé judicieux de marteler de coups après avoir lâchement assassiné son père, nous n’en serions pas là.
« Séquelles graves suite à son traumatisme crânien. Oubli total des quatre jours qui ont précédé le meurtre de son père. C’est le bon plan pour nous, imaginez la tête des King lorsqu’un petit black ira leur tirer dessus avec le besoin vital de venger son papounet », pauvre connard.
Mes doigts tremblent, se relâchent quelque peu sur mon arme. Je pourrais la lâcher, là tout de suite, et demander à Donni de faire preuve de maturité et de grandeur d’âme, tout comme Damian l’a fait envers lui avant de durement se faire ramener à la réalité.
Sauf qu’il s’agit de Donni et qu’il ne s’arrêtera pas là. Je ne sais pas ce qu’il veut de plus. Il a tué Lina, est sûrement l’assassin de Hugo, et a largement fait plus de mal à Damian que s’il s’était simplement contenté de lui tirer une balle alors...
... qu’est-ce qu’il veut ?
— Dors mon petit, dors, chantonne t-il en tirant sur les cheveux de mon frère pour nous découvrir son visage partiellement ensanglanté par une coupure au niveau de la tempe.
Je tourne le tête, jette un regard désespéré du côté de Rafaël et Elena. L’un est en train de ceinturer son frère, l’autre en grande discussion téléphonique.
Aucune aide de ce côté-là. De l’autre côté, à la fenêtre du motel, Julio me fait signe qu’il a Donni en ligne de mire mais qu’avec Damian aussi près de sa cible, il ne peut tout simplement pas tirer.
La pluie redouble, colle mes cheveux à mon visage. Je tousse, fais ruisseler de l’eau qui s’accumulait sur le rebord de mes lèvres.
— Qu’est-ce que tu veux à la fin ? je murmure en relevant les yeux vers Donni.
— Que dis-tu mi princesa ? Je sais que tu es capable de parler plus fort alors vas-y.
— Qu’est-ce que tu veux ?!
Je répète plus fort, plus durement, m’attire son regard noir déformé par une démence que je ne lui connaissais pas.
— Le truc Ari tu vois c’est que, quand on ne désire rien à la base, on finit par tout désirer à la fin. Marrant n’est-ce pas ? Selon mes normes humoristiques bien sûr, mais... quelles sont les tiennes ?
Il glousse, je reste pétrifiée sur place. S’ajoute au fait qu’il soit en position de force, le fait que désormais, il n’agit plus sous la demande d’un tiers, mais sous la propre demande de son cerveau malade.
S’il a réussi à nous cacher son côté malsain depuis toutes ces années, c’est vraiment un bon acteur.
— Tu trouves pas que tu nous a assez fait payer ?
— Oh tu trouves ? Attends, on va demander à Damian...
Il reprend ses cheveux au creux de ses doigts, et le fait s’agiter comme s’il tenait entre ses mains, une vulgaire marionnette.
— « Moi je trouve que tu as encore été trop gentil avec mon gentil papa et mon adorable sœur, vraiment Donni, tu es trop gentil ! Au fait, merci pour le voyage gratuit au Mexique, c'était génial !»..., ricane t-il avec une voix plus aiguë. Tu trouves ? Ça peut s’arranger t’en fais pas.
— T'es complètement taré, je souffle.
Le bras qu’il avait passé autour du cou de Damian se relâche, et mon frère toujours inerte, chute vers l’avant avant de heurter le sol dans une bruyante éclaboussure.
Un coup de feu dans la jambe, qui le tire instantanément de son inconscience.
La détonation nous pétrifie, tous autant que nous sommes. Le cri de Damian hante mes oreilles au même titre que le rire provocateur de Donni.
La pluie de balle autour de nous s'accentue, manque toucher Donni, me frôle la jiue, y laisse un sillon sanglant.
Je blêmis, resserre ma prise sur mon arme pour enfin l’achever mais mes mains tremblent trop, n’arrivent pas à ajuster leur cible et déjà un autre tir touche mon père. Je crie, n’arrive pas à viser, ma vue brouillée par la pluie et mes larmes de colère, mon arme me glisse presque des mains. Alors, je crie de frustration et ferme les yeux, recule d'un pas en me cachant le visage du bras, attends la douleur de l’impact...
— Non !
... qui ne vient pas. Il y a pourtant un coup de feu, mais un coup tiré de loin, assez loin pour que je réalise au ralenti qu’il vient du côté de la police.
Je rouvre péniblement les yeux, un par un, et constate le corps de Donni étendu près de celui de mon frère. Ses yeux sont encore ouverts, il suffoque. Une blessure dans le cou béante, mêle le sang à la pluie, tandis que peu à peu, la vie disparaît de ses grands yeux rivés sur moi. Je le vois bouger les lèvres, tenter de parler en vain : c’est fini.
Damian, recroquevillé, tente de me rejoindre en rampant, les dents serrées à s’en faire mal.
— Dami, je...
Je ne sais pas quoi dire. Ni quoi faire car, debout face à nous, l’arme bien ancrée au creux de ses paumes, c’est Samuel qui vient de tirer la balle fatale, celle qui a réussi en une fraction de seconde, à faire changer la donne. Celle qui, en un battement de cil, a mis un terme au conflit, en faisant passer Donni de vie à trépas. Mais c’est surtout la balle qui, en une fraction de seconde, vient de le condamner.
Rafaël est par terre, sur les fesses, visiblement ahuri par ce qui vient de se produire. À la vue de ce simple état de fait, je comprends que Sam a dû se défaire de l’emprise de Rafaël, le repousser, puis tirer dans la foulée.
Je n’ai cependant pas le temps de plus m’interroger que des tirs s’élèvent tout autour de nous.
Les King100 sont en action. Donni n'étant désormais plus un obstacle pour nous canarder, une rafale de balles commencent à exploser autour de nous. Les Cortez, cachés un peu partout, nous couvrent, tentent de toucher nos agresseurs. Rapidement, le plus vite possible, j’attrape Damian, le tiens fort contre moi, et cours sur les quelques mètres qui me séparent de la police pour aller m’abriter derrière la taule. Le temps que j’y parvienne, on me touche au mollet et au bras mais, rien ne peut arrêter ma course.
Plus rien.
Plus jamais.
Mon souffle est erratique lorsque je me laisse tomber derrière la voiture où Elena me rattrape pour éviter la chute.
Mon père est resté là-bas, sous la pluie de balle. Je ne sais pas où celle de Donni l’a touchée exactement mais, en toute honnêteté, il ne méritait pas que je me mette en danger pour le ramener jusqu’ici. S’il s’en sort, tant mieux pour lui, dans le cas contraire, tant pis.
J’espère au moins que, s’il meurt là, sous la pluie sur ce parking miteux à côté de son assassin, il se rendra compte que son égoïsme et sa fierté de l’époque, l’auront conduit à sa perte de la façon la moins glorieuse qui soit.
Samuel lâche son arme, et est plaqué au sol par un Rafaël remis de ses émotions. Étalé par-dessus son frère, il lui intime d’avancer en rampant, tout en restant sous la protection de son corps, juste au cas où.
Ils nous rejoignent en quelques secondes, et presque aussitôt Samuel se jette sur mon frère qui largement choqué par ses émotions, laisse ses larmes se diluer avec la pluie. Du sang macule son jean, il tient sa blessures à pleines mains.
Rafaël en revanche, lorsqu’il me rejoint, est tout sauf serein et surtout, tout sauf calme lorsqu’il s’adresse à moi entre ses dents serrées :
— Alors là, bravo.
Je me sens défaillir de l’intérieur, mon cœur virevolter avant de s’écraser contre mes côtes.
Son regard en dit long sur ce que je viens de briser en venant jusqu’ici.
Mes lèvres se pincent, je jette un regard à mon petit frère, protégé au creux des bras de Samuel. Il s’y agrippe avec force, tandis que son petit ami fixe le vide, le visage aussi blanc que la peinture des voitures de police derrière nous.
Mon pouls s’accélère, encore. On me glisse à l’oreille qu’on va nous faire évacuer dans une voiture de police, et qu’elle nous conduira directement à l’hôpital pour s’occuper de nos blessures.
J’en ai rien à foutre de mes blessures.
Les coups de feu se poursuivent, mais moi je n’entends plus rien. Je me recroqueville, remonte mes genoux sous mon menton, me couvre les oreilles des mains.
Rafaël me regarde sans vraiment me voir, les yeux perdus dans le vide.
La pluie continue de dégouliner le long de mon visage, à la façon de larmes que je n’ai même pas la force de verser.
Tout est enfin fini, Donni est mort.
Et moi aussi.
…
Cela fait trois jours que tout ça a eu lieu. Trois jours que Donni et mon père ont trouvé la mort dans le même bain de sang, sous la pluie qui assourdissante, a rendu leur mort silencieuse.
Nus avons quitté le parking du Calvin’s hotel au sein d’une voiture de police qui transportait plusieurs criminels, dont deux qui, encore aujourd’hui, me font voir trouble.
Comme convenu, nous avons été déposés à l’hôpital, escortés par deux policiers. Rafaël n’a pas souhaité nous accompagner, et a retenu Samuel, malgré les vives protestations de ce dernier. Pour eux, c’était direction le poste : après tout, Samuel venait tout de même d’abattre un homme d’une balle dans le cou.
Le regard perdu dans l’immensité de la rue déserte et silencieuse, je tire une nouvelle bouffée sur ma cigarette, et ferme les yeux. La fumée s’engouffre dans mes poumons, me fait du bien.
Six mois de centre pénitencier pour mineurs, voilà la peine dont a écopé Samuel après sa comparution immédiate. Il aurait dû prendre plus, beaucoup plus, mais au vu de son ‘’état psychologique inquiétant’’, il n’aura que six mois à tenir enfermé, avant de pouvoir retrouver une liberté précaire sous couvert de rendez-vous chez le psychologue et d’une thérapie.
Pour ma part, huit mois de prison pour femmes, pour coups et blessures aggravées.
Mes mains se plaquent sur mon visage tandis que j’inspire à fond, tente de retrouver un minimum de contenance. Il pleut toujours, je crois bien que la pluie n’a pas cessé depuis la mort de papa.
Les jumeaux n’ont même pas été affectés. De toute façon, ils ne me parlent plus, tout comme Damian qui depuis trois jours, s’est muré dans un mutisme glacial qui me transperce de part en part à chaque fois que ses yeux se posent sur moi.
« C’est de ta faute », me crient-ils à chaque fois que je les croise. Et il a raison.
Cet après-midi, nous quittons tous Soledo. Ou presque.
Rafaël grâce à ses contacts, a réussi à nous avoir ce minuscule délai pour faire le point et nous préparer car, cet après-midi, Samuel quitte la ville pour le centre de détention pour mineurs de l’état. Damian et les jumeaux quant à eux partent rejoindre un foyer à plus de deux heures de route d’ici, sous une protection judiciaire accrue.
Moi, je pars pour la prison de l’état, sans protection, et c’est tant mieux.
Rafaël quant à lui...
Je fixe sa porte d’entrée, mon cœur tambourine contre ma poitrine.
Je respire fort, tandis que je repense à cet instant où Damian en larmes, m’a supplié de ne pas y aller. Où, entêtée que j’étais, j’ai dit non, et suis allée à l’encontre de sa demande. Où, sans l’écouter, je l’ai condamné avec ses frères. Depuis trois jours, la scène se rejoue dans ma tête comme une boucle infernale qui n’a de cesse de me tourmenter. J’ai été stupide, complétement conne et égocentrique : il avait raison et moi, je ne l’ai pas écouté.
La porte s’ouvre dans mon dos. Danny en émerge, un ciré sur le dos, et me jette à peine un regard avant de traverser la route pour aller toquer à la porte de mon voisin.
Raf lui ouvre presque immédiatement, l’étreint, et entame une conversation assez brève avec mon petit frère.
Je n’arrive pas à entendre ce qu’ils se disent.
Lentement, je me redresse et rentre à l’intérieur, où se font entendre des bruits de roulette de valise, des éclats de voix à l’étage.
Appels téléphoniques médiatisés, c’est tout ce à quoi j’aurais droit pour contacter mes petits frères durant mes huit mois d’incarcération. Et encore, je ne suis pas sûre que l’un d’eux veuille bien me prendre au téléphone après tout ça.
En haut des marches, Damian apparaît, me dévisage, et relève le menton. Ses yeux sont d’une dureté incommensurable. Mikky le rejoint, me regarde furtivement, avant que Damian ne l’entoure de son bras et ne le conduise dans sa chambre.
Différence d’âge oblige, les foyers ne seront pas les même. Une famille d’accueil aurait pu les prendre tous les trois mais madame Kaya ne m’à pas laissé miroiter de faux espoirs là-dessus : « Vu la situation, aucune famille d’accueil n’acceptera leur dossier ».
Il faut dire aussi que la ‘’tuerie du Calvin’s » a fait les gros titre un peu partout dans l’État. Ils en ont même parlé aux infos régionals, un vrai scandale. ‘Les règlement de compte qui tourne au drame, impliquant de très jeunes adolescents a fait grand bruit cette semaine à Soledo, en banlieue de L’os Angeles...’’, je me rappelle très bien des images volées par les journalistes. Celles où, en se concentrant bien, on pouvait discerner les formes de mon père et Donni, au milieu du parking, tandis que les hommes et femmes restant se canardaient en tout sens.
Bilan : quatorze morts en tout, presque autant de chaque côté.
Danny passe la porte, grimpe à l’étage après avoir jeté ses chaussures et je manque m’étouffer lors qu’à sa suite, Rafaël fait à son tour son entrée dans le salon.
L’air tendu, le visage crispé, il darde sur moi un regard représentatif de toute la rancoeur qu’il a envers moi.
— Je tenais simplement à te prévenir que j’ai vu avec madame Kaya pour lancer une procédure exceptionnelle afin de devenir personne accueillante. Si tout se passe bien, je pourrais récupérer Damian et les jumeaux dans un mois et demie. Sous couvert bien sûr que le juge me l’accorde étant donné que je suis l’actuel tuteur d’un jeune qui part en prison cet après-midi pour homicide.
Je hoche timidement la tête, serre mes lèvres l’une contre l’autre, ravale la douleur de l’entendre parler de ça avec tant de distance.
— À quelle heure madame Kaya vient chercher les garçons ?
— Quinze heures trente.
— Bien. J’imagine que tu vois pas d’objections à ce que Sam vienne dire au revoir à Damian ?
Nouveau hochement de tête : je n’arrive pas à soutenir son regard. À la façon de ceux de Damian, il m’a toujours été très difficile de soutenir le regard perçant de Rafaël, ce mélange incisif de bleu et de gris très clair.
Il m’adresse un dernier regard, commence à tourner les talons, avant de brusquement se retourner vers moi.
— Si j’avais su trouver les mots avant, ça aurait pu se passer autrement ?
— Je crois pas, non, je murmure en sentant mes yeux me piquer.
— C’est bon à savoir. Pour une fois, c’est pas moi le méchant.
Et il se retourne, pour quitter la maison.
Mon cœur vient de s’asphyxier.
Je renifle, sens ma gorge se nouer, je n’arrive plus à me retenir.
De ma main, je me couvre la bouche, et laisse mes épaules s’agiter dans le silence ignoble qui règne entre mes murs.
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