Étreinte

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Bérengère soulève une paupière alourdie de sommeil. C'est bien le bruit de la porte qu'elle vient d'entendre. Et puis le tintement des clefs sur la table de verre du salon. Une lampe qui s'éteint. L'autre paupière s'entrouvre. L'ombre est là, familière, mais on n'y voit guère. Le tic tac hypnotisant de l'horloge de la cuisine se fait entendre entre ses propres battements de cœur.

Un souffle approche de son oreille. Il la hume. Il se se saoule de son odeur, tandis qu'elle tremble de plaisir en silence. Elle sent qu'une main furtive se glisse sous le drap tiède. Elle se cabre pour mieux s'offrir. Bientôt, tout le galbe du sein se perd sous la paume chercheuse. La voilà encore soumise pour son plus grand bonheur.

Il y a quelques secondes d'hésitation tandis que Bérengère qui voudrait parler, voire hurler son désir brûlant, essaie de déboutonner la chemise de son amant. Elle peut sentir l'haleine alcoolisée, le cheveu enfumé, mais rien ne transpire de cette peau qui la frôle. Elle ne peut que se perdre dans le tourbillon de ses attentes. Quelques boutons ont sauté et elle cherche celui du pantalon, tâtonnant la braguette du bout des doigts, mais il recule alors que sa main a abandonné le sein pour courir sur le ventre. Il l'ausculte en dessinant des mots obscènes du bout de sa langue sur la peau saupoudrée de perles de sueur. Et puis, presque sauvagement, le voilà qui pointe et entrouvre d'un doigt le rideau humide mûr pour la suite.

Tandis que cette main savante se permet des circonvolutions acrobatiques dans la chair affamée, l'autre s'emploie à défaire la boucle de ceinture et bientôt la fermeture éclair. Le pantalon choit sur le sol avec ce son mat qu'on lui connaît quand le silence enfin s'épanouit entre les souffles, espérant les bouches et les sexes réunis. Bérengère n'en peut plus et il ne faudra qu'une seconde pour que son mâle ne recouvre tout le corps et l'entièreté de l'âme de l'affamée. Elle voudrait crier tout cet amour, mais quand enfin se glisse en elle toute l'envie de s'échanger des coups de grâce dans l'attente d'une mort extatique temporaire, mais ô combien sublime, elle se cramponne au dos de l'ombre et se laisse prendre comme la proie devant les mâchoires géantes du requin blanc. Le rythme fou des corps fait tanguer la pièce. Les humeurs s'évaporent, renaissent, pleuvent, mêlées de larmes de plaisir. Elle se mord les lèvres, enfonce ses griffes dans la chair brûlante de l'amant. Puis le téléphone sonne.

Une première fois.

Bérengère soupire, délaissant momentanément l'extase qui la précipitait sur les murs de sa libido.

Une deuxième fois.

Elle se dit que le répondeur s'occupera de tout et supplie son homme de reprendre sa cadence, de la transpercer encore mille fois. Mais il y a comme une autre ombre dans toute cette noirceur, une forme qui se dessine dans sa tête de femme, qui lui donne un frisson autre que celui de la passion.

Une troisième fois. Un déclic se fait entendre et le message de Bérengère prend le relais.

« Bonjour à vous. Je suis désolée de ne pouvoir prendre votre appel, mais dites seulement quelques paroles et je vous les retournerai dès possible. À bientôt. »

Le signal sonore qui suit est plus long et plus strident qu'à son habitude. Bérengère, presque d'instinct, veut se dégager pour prendre le combiné, pour entendre cette voix qui l'appelle au milieu de la nuit. Elle ne sait vraiment pas ce qui peut l'y pousser, mais quand elle retient sa respiration et que la voix qui s'enregistre fait écho entre les ombres, elle sait pourquoi toute la chambre est envahie de la lumière de sa raison :

«Allô, Bérengère. C'est moi, Yves. Écoute, je ne pourrai pas rentrer ce soir. Il y a eu du verglas, c'est trop dangereux, je vais rester dormir chez mon frère. Et puis, tu ne me croiras pas, j'ai oublié mon porte-monnaie et mes clés au resto, ce midi. C'est tout moi, ça. On se reparle demain. Je t'aime, ma chérie... »

Bérengère veut se lever, fuir l'étreinte qui la tient encore clouée sur le matelas mouillé. Elle veut crier, hurler toute la terreur qui la maintient prisonnière de son propre désir alors que les mouvements reprennent. Elle se cabre, se tord dans la douleur, mais rien ne peut changer. Tout est scellé maintenant.


Note: Ce texte a été originalement publié dans la revue littéraire "Biscuit chinois : littérature pop", n° 6, 2008, p. 58-61 et est reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'auteur, Patrice Landry.

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