Chapitre 7 – Une conclusion douloureuse
Brigitte était partagée. Elle s’était forgée une conviction qui ne ferait sûrement pas plaisir à Marie-Sarah, mais d’un autre côté, ne valait-il pas mieux une douleur passagère plutôt qu’un doute permanent ?
Une fois de plus, elle alla à la rencontre de la jeune femme. Elle la retrouva en pleine conversation avec un garçon aux cheveux longs, l’air rebelle. Elle reconnut celui qui voulait faire le tour du monde. Malgré le relatif éloignement, l’avocate détecta l’odeur du cannabis. Comme l’individu lui tournait le dos, elle fit un signe de la main à sa nièce, lui suggérant de la rejoindre un peu plus loin. Elle n’eut pas longtemps à attendre.
« Tu tombes à pic, dit Marie-Sarah, je ne sais pas comment m’en débarrasser. Depuis hier soir, il ne cesse de me relancer pour que je l’accompagne dans son délire. Tout ça parce que nous sommes sortis ensemble, à la fin de l’année scolaire.
— Il ne te plait pas ? Il est plutôt beau gosse, non ?
— C’est pas ça. On a couché ensemble deux ou trois fois au début de l’été, mais je ne veux pas rentrer dans ses délires. Un jour il est anarchiste, un autre complotiste, son dernier truc, il se dit libertarien. Je ne sais même pas ce que ça veut dire.
— Ça veut dire qu’il voudrait que les gens qui ont de l’argent aient le droit d’en faire ce qu’ils veulent sans que personne ne leur fixe de limite ou ne leur demande de payer des impôts.
— Bon, en tout cas, ce n’est pas mon truc, mais je ne sais pas comment lui faire comprendre.
— Dans quelques jours, c’est la rentrée, tu auras de nouveaux amis et il n’en fera plus partie. Il se trouvera une autre fille qui rentrera dans son jeu.
— J’espère que tu as raison !
— Sinon, tu peux lui dire que tu as changé et que tu préfères les filles, répondit Brigitte avec un sourire malicieux.
— Tu es sérieuse ? demanda sa nièce surprise.
— Tu ne serais pas la première dans la famille, si j’ai bien compris. Je plaisante, quoique parfois, il est bien agréable de profiter des deux facettes.
— Tu veux dire que…
— Allez, ce n’est pas pour te parler de ça que je te cherchais. Tu te souviens de ce que tu m’as demandé hier soir ? Tu as toujours envie de savoir ?
— Oui, bien sûr, répondit la jeune femme.
— Attention, je n’ai que des suppositions, des présomptions. Dans un procès, ça ne vaudrait pas grand-chose.
— Tu penses que mon père a été… tué ?
— Non, en tout cas de façon aussi directe. Tu étais encore jeune à cette époque et tu ne te rendais probablement pas compte de ce qui avait changé à la maison.
— Si un peu, Papa rentrait plus tard du travail, on ne le voyait presque plus, il retournait à son bureau le samedi et même parfois le dimanche. Maman sortait parfois sans lui.
— Oui, je suis convaincu qu’il avait une maîtresse.
— Une autre femme ? Ce n’est pas possible.
— Non, pas une autre femme. La Bourse, la Finance, appelle-ça comme tu veux. Il était comme un drogué, totalement dépendant de son travail, si on peut encore appeler ça comme ça à ce stade.
— Il en parlait, c’est vrai, mais je n’aurais pas imaginé que c’était à ce point.
— Une véritable addiction, oui. Et tu te souviens qu’en 2008, il y a eu une grave crise financière.
— Oui, bien sûr, les subprimes je crois, on en a parlé en cours d’éco. Je n’ai pas tout compris d’ailleurs.
— Moi non plus, je te rassure, précisa Brigitte, mais ce n’est pas grave. C’est la conséquence de cette crise qui est importante. Les subprimes, c’était un phénomène américain, lié à leur façon de financer l’immobilier, mais il y a eu un effet de dominos, ou de contagion, sur tous les marchés financiers. Les bourses ont énormément chuté, un peu comme en 1929, et ton père a perdu beaucoup d’argent.
— On ne s’en est pas rendu compte !
— Oh, il avait pris la peine de vous mettre à l’abri, il n’était pas égoïste. Le vrai problème c’est qu’il a aussi fait perdre gros à ceux qui lui avaient fait confiance et lui avaient confié leurs placements. Sa réputation était ternie, même s’il était loin d’être le seul à n’avoir rien vu venir.
— Je vois où tu veux en venir, mais mon père est mort d’un infarctus, non ?
— Oui, c’est la cause officielle du décès et personne n’a cherché plus loin. Ta mère a touché une assurance-vie substantielle et vous avez bénéficié de rentes d’éducation pour financer vos études sans soucis d’argent. Le point qui m’a interpellé c’est que ton père se savait cardiaque. Il consultait un cardiologue régulièrement et suivait un traitement sévère.
— Il prenait trois ou quatre cachets à chaque repas, en effet.
— Normalement, il n’aurait pas dû faire cette crise fatale. Sauf s’il ne suivait plus son traitement !
— Il n’y a pas d’autre explication ?
— J’en ai bien une autre, mais outre qu’elle ne serait pas très crédible, je crois qu’elle te plairait vraiment pas.
— Dis-moi quand même !
— Imaginons que la personne qui lui fournissait ses drogues…
— Non, ce n’est pas possible ! C’est Bertrand qui était son pharmacien attitré.
— C’est pour ça que ce n’est pas vraiment plausible. La seule explication valable, c’est que François, ton père, avait arrêté de se soigner, sachant quelle en serait la conséquence. Il vous a fait un dernier cadeau, à sa façon, en se retirant discrètement d’un jeu dans lequel il n’avait plus sa place.
— C’est terrible, bafouilla Marie-Sarah dans un sanglot. Tu crois que Maman est au courant ?
— Ça, je n’en sais rien et ne compte pas sur moi pour aller le lui demander.
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