Vérité.

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 Après avoir quitté la guilde sous une soirée sans lune, les deux comparses se rendirent au devant de la porte d'entrée du château-académie. Un garçon assoupi au visage familier montait la garde dans le local.

  • Soma ? s'exclama Neryss, surpris. C'est toi qui es de garde ?

Le jeune garçon frotta son œil tel le petit enfant et bâilla avant de dire d'une voix monotone :

  • Sean ? Tu n'es pas mort ? Trop bien... Attend, je t'ouvre, faut trop que les autres l'apprennent, ils vont être surpris.
  • Att- quoi ? Non !

 Avant même que Neryss ne puisse protester, Soma tendit sa paume en direction de l'entrée. Elle s'illumina du bleu myodique et s'ouvrit lourdement. Hélas pour Neryss et Yuu, derrière se trouvait un petit groupe d'élèves en train de rejoindre leur dortoir après des leçons supplémentaires. Ils les reconnurent et leur sautèrent dessus pour les envahir de questions.

  • Sean ? Mais comment as-tu fait pour t'en sortir ?
  • Dame Elyrim ! Dame Elyrim ! Vous avez utilisé quel sort pour vous enfuir ?

 Plus le temps passait et plus de nouveaux curieux arrivaient. Il ne fallut que peu de temps avant que les deux complices se retrouvent dans la situation qu'ils souhaitaient éviter à tout prix : entourés de plusieurs dizaines de curieux.

  • Soma ! Je te retiens ! hurla Neryss.

 L'intéressé se contenta de bâiller tout en saluant vaguement de sa main avant de s’effondrer de nouveau sur le comptoir du local.

  • Dame Elyrim, racontez-nous !

 Yuu fut la principale victime de la foule. Elle tenta tant bien que mal de les ignorer, de foncer droit en direction de la maison de soin, mais les dizaines d'élèves la bloquaient. L'enfant, dans ses bras, se fit ballotter dans tous les sens et manqua de chuter plusieurs fois.

  • Jeune ma- Sean, prenez-la, s'il vous plaît. Je ne vais pas pouvoir la porter avec tout ce monde.
  • Ou-oui, bien sûr, d-dame Elyrim.

 Neryss récupéra la fillette. Mais alors qu'il venait de la placer sur son dos, une voix féminine l'interpella.

  • Sean ? Sean, c'est toi ? C'est vraiment toi ?

 Juste entre deux élèves qui l'écrasaient, une fille transpirante et en tenue sportive l'interpella, c'était Herrade. Ses yeux pleins d'étoiles le fixaient et ses mains cachaient sa bouche. Elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle voyait.

  • Herrade ?
  • Sean !

 Elle lui sauta à la gorge sans faire attention à sa propre force, à tel point qu'il en tomba presque sur ses fesses. In extremis, il parvint à garder son équilibre grâce à un habile jeu de jambes.

  • Doucement Herrade, j'ai quelqu'un sur mon dos.
  • Sean ! Sean ! Sean !

 Elle n'écoutait même plus, tout ce qui l'importait maintenant c'était de revoir son ami qu'elle pensait perdu. Cela fit chaud au cœur de Neryss. Il garda une main sur les cuisses de l'enfant sur ses épaules, et posa l'autre sur les cheveux d'Herrade.

  • Ouais, on est de retour, Herrade.

 De l'autre côté de la foule, une nouvelle personne intervint.

  • Allez, dispersez-vous ! Rejoignez vos chambres, le couvre-feu va bientôt sonner ! Et dépêchez-vous si vous ne voulez pas prendre des leçons supplémentaires du professeur Red.
  • Ah ! Voilà la seconde des protecorces !

 Quelques visages blêmirent et, en peu de temps, l'attroupement se dispersa sous la supervision de Yin'Fia. Les mains sur ses hanches, elle fusilla Neryss du regard.

  • La prochaine fois, passez par la petite porte.
  • Ça veut dire « content que vous soyez rentré », commenta Herrade avant de doucement rire.

 La saelfine soupira et fit un geste de la tête.

  • Venez, je vais vous faire passer en priorité à la maison des soins. Après une épreuve comme ça, vous en avez sûrement bien besoin...

 Ils entrèrent dans une aile du château cristallin. Comme promis, Yin'Fia s'arrangea avec les soigneurs pour dégoter une chambre privée. Yuu déposa la fillette sur le lit au centre et tira les rideaux vert pastel. La lumière des torches blanches permettait d'y voir très bien, malgré une nuit persistante. - Merci, Yin'Fia. Je ne sais pas ce qu'on aurait fait sans toi.

  • C'est rien…

 La jeune fille à l'oreille encore bandée avait les yeux perplexes et fixait le rideau.

  • Comment c'est arrivé et qui est-elle ?

 Comme a son habitude, elle ne prenait pas de pincette. Neryss croisa le regard de Yuu, il ne pouvait décemment pas dire la vérité. Il devait inventer une nouvelle histoire, et cela commençait à lui peser. Sa servante prit la parole à sa place, consciente qu'il avait du mal.

  • Après notre descente de la caravane, j'ai tout de suite attiré l'attention du sanglier. Après, j'ai utilisé toute ma magie pour que nous puissions nous enfuir.
  • Échapper à l'attaque d'une bête divine est un miracle ! Intervint Herrade, agrippée au bras de Neryss. On dit qu'en restant proche d'elle trop longtemps, nos corps mutent et nous devenons des monstres hideux.

 Yuu hocha la tête et continua :

  • Effectivement, jeune fille. Nous sommes redevables envers la forêt et la cime des arbres pour nous avoir caché de la vision acérée du monstre. Il s'est vite désintéressé de nous et nous a laissé tranquilles.

 Yin'Fia ne changea pas d'expression. Au contraire, son regard perplexe se renforça. Neryss se demanda si c'était le mensonge de trop.

  • Et cette fille, alors ?
  • Nous l'avons croisée par chance, alors que nous nous réfugions de la pluie dans une grotte alentours, tenta d'expliquer ce dernier. Elle se trouvait aux côtés du cadavre du loup blanc, Skeol.
  • Sk... Skeol ? répondit la saelfine. Le Skeol ? Vous avez croisé non pas une mais deux bêtes ? Les complices hochèrent la tête à l'unisson.
  • Il... Il faut que je prévienne ma sœur e-et la Reine. Restez-là, je vais les chercher tout de suite.

 Yin'Fia se précipita hors de la chambre et claqua la porte derrière elle.

  • Le loup blanc... il est... il est mort ? L'une des onze bêtes divines est... morte ? répéta Herrade comme s'il s'agissait là d'une catastrophe.

 Neryss ne comprenait pas leur réaction. Leur mort n'était-il pas quelque chose de bénéfique ? Yuu soupira, non contente de pouvoir enfin se taire. Après un peu de temps d'attente, un soigneur entra dans la chambre, petit et fin. Il ne portait pas de vêtement de travail ni de blouse. À l'inverse, même, il s'habillait d'un pourpoint jaune vif et brodé aux épaules.

  • Bonjour, je suis Mira Garmed, soigneur en charge de cette section.

 Herrade et Neryss tentèrent de l’accueillir mais l'homme les ignora et ouvrit brutalement le rideau. Il prit maladroitement le pouls de la fille au nom encore inconnu, inspecta ses lèvres sans réellement les regarder et toucha ici et là, à des endroits inappropriés, avec ses doigts crochus. Son sourire au coin des lèvres n'échappa pas à la servante.

  • Excusez-moi, soigneur, intervint-elle. Il ne me semble pas nécessaire d'inspecter ces endroits-ci.
  • Vous êtes l’enseignante arrivée récemment, n'est-il pas ? Avec tout mon respect, veuillez me laisser opérer comme je l'entends, ma dame. Je ne m'occupe pas de comment vous instruisez à vos élèves, moi.
  • Sean, qu'est-ce qu'il se passe entre eux ? murmura Herrade à l'oreille de son ami.
  • Je... Je ne sais pas.

 La servante claqua sa langue avant de répondre.

  • Je vous ferai savoir, monsieur le soigneur, que votre diagnostic est maladroit au mieux et malhonnête dans le pire des cas : Cette enfant se trouve en stase d'hypothermie myodique, il suffit de regarder ses pupilles pour s'en rendre compte ! Je vous serais gré de ne plus vous approcher d'elle pour l'attoucher sous prétexte de soins inexistants ! Et veuillez appeler un vrai soigneur plus compétent, je vous prie !

 L'homme rougit de honte avant de hausser la voix.

  • Dame Elyrim, je suis Mira de la famille Garmed ! L'un des plus prestigieux soigneurs de tout Alnire ! Ce n'est pas une vulgaire étrangère venue de je ne sais où qui va me faire la leçon sur comment soigner mes clients !
  • Vous voulez dire « mes patients » ? coupa Neryss, un peu énervé que l'homme traite sa servante ainsi.

 Honteux, le prétendu soigneur râla et frappa le sol de son pied tel un enfant gâté. Il sortit de la chambre et claqua la porte derrière lui. Cela sembla suspect à Neryss : Qu'un noble soit pistonné n'était pas nouveau dans Meruel. Par contre, que cela se passe sur un poste aussi important que celui de soigneur dans l'académie directement dirigé par la Reine Ti Anjou, foncièrement hostile à la noblesse, cela soulevait déjà plus de questions. Était-ce là la preuve d'espionnage dans l'académie ? Mais les responsables, probablement ceux dont avait parlé la Reine à leur rencontre - les nobles souhaitant un coup d'état - n'avait-il vraiment pas mieux comme soigneur ? Où bien était-ce du sabotage pur et simple ? Peu après, quelqu'un d'autre frappa vigoureusement à la porte d'entrée.

  • Entrez ? répondit Herrade.

 C'était justement Sa Majesté, Kahen Ti Anjou, qui ouvrit et qui entra. Elle était accompagnée d'une autre personne. Cette dernière lévitait assise dans un fauteuil luxueux en bois peint de rouge et d'or. De nombreux cercles magiques brillaient ça et là sur le dossier et sur les accoudoirs. L'un semblait particulièrement complexe au niveau de la main de son occupante, probablement celui qui permettait de contrôler l'appareil. Neryss n'y fit pas trop attention au début, trop occupé à réfléchir à la famille Garmed et à leurs implications dans les jeux politiques en place dans le royaume. Il ne reconnaissait pas ce nom.

  • Sean ! Dame Elyrim ! s'exprima la Reine. Content de voir que vous allez bien ! Mes gardes m'ont fait part de votre retour. Et puis, Yin'Fia est arrivée peu après, aussi.

 À cet instant, la saelfine en question apparut et posa une main sur l'une des poignets arrière du fauteuil lévitant.

  • Dame Ti Anjou. J'ai raccompagné Garmed comme vous me l'aviez demandé. Il n'avait pas l'air très heureux de son traitement...
  • Cela n'est pas très important, Yin, intervint la jeune fille assise. Il n'est même pas réellement vicomte. Seul son père l'est, lui n'est que le troisième fils. Nous nous occuperons de lui plus tard. Et puis, je suis plus intéressée par ce que je remarque maintenant.

 Cette troisième voix fit sursauter Neryss. Il la connaissait que trop bien, même si elle était un peu plus mature que dans ses souvenirs. En levant les yeux dans sa direction, il reconnut aussitôt le masque blanc qu'il avait offert à sa protégée à l'époque. Un masque permettant de cacher ses orbites vides et de ressentir le myod du monde qui l'entoure.

  • Sohalia, murmura-t-il sans s'en rendre compte.

 La fille masquée sursauta sur son fauteuil, surprise.

  • Pardon ? Vous m'avez dit quelque chose ?
  • Oh, euh... e-excusez-moi, j'étais perdu dans mes réflexions. Ravi de vous rencontrer, je m'appelle Sean.
  • T-Tess Elyrim, se présenta Yuu, en bafouillant
  • Enchantée. Je me nomme Sohalia de la famille Fia. Même si nous ne partageons pas le même sang, j'ai le plaisir d'être l’aînée de Yin.

 Neryss n'en croyait pas ses oreilles. Enfin ! Enfin il la retrouvait ! Sa chère Sohalia, sa protégée ! Il baissa son regard et constata l'état de ses jambes, paralysé.

  • Pardon d'être si indiscret, mais... que vous est-il arrivé ?
  • Oh, ça ?

 Sohalia marqua une pause dans sa réponse, puis elle expliqua d'une voix basse et triste :

  • Des bandits nous ont attaqués il y a quelques cycles. Nous nous sommes cachés, Yin et moi, impuissantes. Malheureusement, ils ont fini par nous trouver et... voici le résultat.

 Sohalia caressa l'une de ses cuisses, cela lui donna un frisson, mais à part ça, rien : Ses jambes refusaient le moindre mouvement. Sa sœur lui mit une main sur l'épaule pour lui témoigner son soutien. Elle qui venait tout juste de perdre son oreille comprenait l'handicap d'avoir des membres qui ne fonctionnaient guère.

  • Le seigneur Red est arrivé à notre rescousse juste avant que nous nous fassions tuer, confirma Yin'Fia. Il nous a ensuite ramené ici où nous avons pu être soignées. Malheureusement, la magie de soin n'était pas assez puissante pour récupérer le bassin de ma sœur.

 La saelfine déglutit avant de continuer.

  • Je trouverai les responsables et...

 Avant qu'elle ne termine, Sohalia recouvrit sa main avec la sienne. Elle secoua la tête, elle ne souhaitait pas que Yin'Fia finisse sa phrase. Neryss bouillonnait, il ne les regardait plus. Il ne pouvait pas, sinon il n'arriverait pas à se contenir. Il ferma les yeux et une larme coula sur ses joues. En fait, c'était même déjà trop tard. Un flot aqueux se déversa sur ses joues.

  • Sean ? Tout va bien ? questionna Herrade, inquiète.
  • Je... Je suis désolé, répondit-il en se frottant les yeux. Je...

 Aussi rapidement que la foudre claque durant un orage, une immense sensation de culpabilité l'assaillit. S'il avait été là, s'il les avait protégés, tout aurait été différent. Mina et Tae ne seraient pas morts et Sohalia pourrait encore bouger ses jambes. Neryss s'effondra à genoux. Yuu repoussa Herrade et sauta dans ses bras.

  • Jeune maître !
  • Sohalia, Yin... Pardon... Pardon... J'aurais dû être là, j'aurais dû vous protéger.

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