Broken
La plupart des gens pensent que les évènements tragiques et brutaux sont ce qu’il y a de plus destructeur dans une vie, et je ne faisais pas exception à la règle, jusqu’à ce jour. Mais je me suis rendu compte, un peu tard cela est vrai, qu’une maladie ou une situation malsaine qui s’installe et contre laquelle il faut lutter au quotidien peut la ruiner de manière égale dans bien des aspects.
J’ai réalisé que la douleur n’a pas toujours de date, qu’elle n’est pas toujours visible. La douleur n’est pas seulement une cicatrice, une ecchymose ou une pierre tombale, elle ne surgit pas à chaque fois de manière inattendue et parfois même, sans s’en rendre compte, on la cherche. La douleur peut grandir dans l’ombre, se nourrissant de nos sentiments les plus profonds et les plus sincères comme la haine, la colère et l’amour, pour s’élever comme une ronce au fur et à mesure des années. Elle peut être là, se faire sentir sans même qu’on sache que c’est elle, sans se faire remarquer. Chimère rongeant les os et la chaire. Oppressante mais discrète, comme un sanglot qui n’arrive pas à sortir.
Mais la douleur, elle est fourbe puisqu’elle laisse des marques.
Il y a les marques sur le corps, ces souvenirs impérissables de la violence d’une époque, de celle d’une histoire chaotique ; il y a les marques sur le calendrier signes d’un équilibre rompu, perdu pour le temps qu’il reste ; et il y a les contours flous d’une peine, errant dans les sillons d’un cœur blessé.
Ce qui habite en soi, ce qui s’accroche et s’agrippe aux parois en sang d’une existence, cela fait autant de ravage que ce qui la bouleverse subitement.
Je trouve que c’est un peu étrange comme sensation, c’était comme si, pendant quelques secondes, la douleur se manifestait, que j’arrivais à la sentir s’agiter, me blesser, au plus profond de mon être. Cette sensation est légère, presque imperceptible, mais bel et bien présente.
Un crépitement, des étincelles.
Une flamme se consumant, lentement.
Un picotement suivis d’une pluie d’aiguilles.
C’est un juste mal de tête.
Des yeux fatigués, humides.
Mes mains qui se referment sur mon visage.
Mes pommettes perdant leurs si jolies couleurs.
Pendant un instant, ça m’a fait l’effet d’une goutte d’acide.
Mais je me rassure en me disant que, cet infime ressenti, ne doit même pas correspondre à un millième de toute la douleur qui fait rage en mon être.
Je regardais, depuis plus d’une demie-heure maintenant, le reflet que me renvoyait mon miroir, je n’étais plus que l’ombre de moi-même, une pâle de copie sans couleurs, sans reliefs. Une pâle copie dont personne ne voulait. Mon regard était vitreux, sans vie, ils avaient réussi à éteindre la flamme qui les animait. Ils avaient gagné. Je m’étais promis que jamais ils n’y arriveraient, j’avais crié à qui voulait l’entendre que leurs paroles ne m’atteignaient pas, mais il fallait se rendre à l’évidence : j’étais une bien piètre menteuse.
Je revois encore ces images qui tournent en boucle dans ma tête, même des années après, comme coincées dans un labyrinthe. Je revois parfaitement leurs sourires mesquins, leurs regards sournois, ainsi que leurs lèvres qui s’agitent pour me balancer des mots horribles, et je sais qu’ils savaient que je ne tiendrais pas le coup, mais ça les amusaient. Ils riaient de mon malheur, de me voir si faible pour se sentir fort, d’avoir le pouvoir de me faire taire, de m’empêcher de dormir, par leurs simples paroles qui prenaient le sens de menaces bien cachées. Briser ma confiance pour regagner la leur, détruire ma vie pour se donner de l’importance, c’était ce qu’ils aimaient faire par-dessus tout, leur passe-temps favoris. J’aimerais oublier, ne plus jamais revoir, ces images gravées dans mon cerveau, dans ma peau.
Celles qui composent mon passé.
Celles qui font que je n’ai pas de présent.
Celles qui me hanterons jusque dans mon futur.
J’arrivais encore, jusqu’il n’y a pas si longtemps de cela, à me réfugier dans mes bons souvenirs lorsque tout allait mal, que plus rien ne trouvait d’intérêt à mes yeux. C’étaient eux qui me sortaient la plupart du temps de mon état de loque, ces souvenirs, ceux auxquels il suffisait de penser, ne serait-ce qu’une seconde, pour qu’ils illuminent notre visage du plus sincère des sourires. Mais depuis quelques temps, les choses étaient différentes, comme si ces souvenirs ne suffisaient plus à me sortir de mes mauvaises passes, ou même pire, comme si les ténèbres qui m’habitaient avaient réussis à engloutir les dernières lueurs d’espoir en moi, à les corrompre. Ce n’était plus que des trous dans ma mémoire, aussi noirs que le reste, ou des flous colorés dans le meilleur des cas. J’avais l’impression qu’ils étaient entrés dans mon esprit pour me voler ces souvenirs, les détruire, pour qu’il ne reste plus aucune trace de joie dans mon existence. Qu’avais-je fait de mal pour ne plus y avoir droit ? Est-ce seulement parce que je suis différente ? Je ne me souvenais plus du goût du bonheur, ou encore du bruit d’un éclat de rire, ni même de la lumière d’un sourire. Ils avaient détruit la dernière chose me retenant dans ce monde.
J’essaye souvent de me souvenir de mon enfance, de cette période où la plus grande de mes préoccupations était de savoir si je voulais être une fée, une sirène ou bien une princesse. L’enfance, n’est-ce pas la période où l’on est censé avoir le plus de souvenirs heureux ? Lorsqu’on est enfant, nos parents nous protègent du monde extérieur, on vit dans une bulle d’innocence et de sourires. Mais pour moi, cela n’aura servi qu’à rendre la chute plus brutale, lorsque je me suis retrouvée, au collège, confrontée à la dure réalité qu’était le monde. C’est ce qui a fait voler en éclats le monde que je m’étais construit jusque-là, comme une aiguille explosant un ballon de baudruche. Ces souvenirs-là, je ne m’en souviens plus, je crois qu’ils sont restés dans ma bulle, qu’ils ont explosés avec elle sans que je n’aie le temps de les emportés avec moi, et ça fait mal, de ne plus avoir de souvenirs heureux à ressortir dans les mauvais moments.
Dehors, une tempête comparable à celle qui se déchaînait en moi faisait trembler les murs de mon petit appartement. Les gouttes de pluie qui venaient s’écraser contre le toit me rappelaient celles que j’avais versées. Ces petites gouttes d’eau, si insignifiantes aux yeux du monde, mais qui transportaient toute ma haine, ma colère, et ma peine loin de moi. Celles qui volaient en millier de petites gouttelettes au moment même où elles touchaient le parquet, comme mon cœur qui avait volé en éclats quand on lui avait porté le coup de trop.
Cette tempête, c’est la mort qui rigole, qui se déchaîne. Elle me rit au nez, comme toutes les autres personnes que j’ai croisé avant elle. Elle me nargue, mais qu’elle ne se fasse pas de soucis puisque cela se réglera entre elle et moi. Avant, j’avais peur de l’affronter, mais maintenant, j’ai grandis et je sais qu’elle cache un monde meilleur. Ça se réglera entre elle et moi, un face-à-face dans les cieux, entre deux nuages.
La mort, elle surgit des ténèbres, elle se nourrit de la part de sombre qui nous habite, celle où se cache les émotions négatives, celle qui a tendance à nous entraîner vers le bas sans que l’on s’en rende compte. La mort, elle nous domine tout au long de notre vie, sans que nous ne puissions rien y faire. On la craint, on la fuit, mais parfois, on l’affronte. Nous passons notre vie à jouer au chat et à la souris avec la mort, on a l’impression de la vaincre, de la dominer, mais la vérité est tout autre, puisque la mort finit toujours par gagner. Alors, pourquoi continuer à la fuir pour vivre dans la souffrance alors qu’affronter la mort, se laisser prendre par le chat, pourrait nous mener vers un monde meilleur, un monde où l’on se trouverait enfin bien dans sa peau, loin de toutes ces critiques et jugements incessants qui nous pourrissent la vie, redevenir enfin soi-même.
Je sens les larmes qui coulent le long de mes joues, elles empruntent le même chemin depuis des années, tellement de fois qu’elles ont laissé, le long de mes joues, des traces indélébiles. Impossible d’oublier la froideur des gouttelettes, d’oublier la douleur que chacune d’entre elles a transporté, ou encore d’oublier la sensation qu’est de les sentir glisser le long de mes joues pour aller s’écraser au sol. Bientôt, mes larmes se mélangeront avec la terre que j’ai foulée pendant de longues années, terre que j’ai surplombée, dominée, mais bientôt, je ne ferais plus qu’une avec elle, me retrouvant dans ses profondeurs. Bientôt, mes larmes deviendront des nuages, ceux que j’ai regardés, admirés, ceux que j’ai espérer un jour atteindre, sans succès, durant ma vie entière, ceux avec lesquels je ne ferais plus qu’une quand je me serais envolée vers d’autres cieux. Prends-les pour hommage, comme dernier témoignage de mon passage sur cette planète, comme dernier remerciement pour m’avoir accueillie sur ton sol. Prends-les, mes larmes. Personne ne se souviendra de mon prénom ou de mon visage, mais toi, je sais que tu te souviendras de mes larmes, de mon passage.
Ma vie n’a pas laissé de trace dans l’esprit des gens, mais je sais que ma mort marquera bien plus les esprits que ce que je ne l’aurais pensé, je ne trouvais pas cela spécialement triste, c’était juste la réalité, ma réalité. Celle dans laquelle je vivais depuis des années, depuis que ma bulle avait éclatée, ou plutôt, qu’ils l’avaient éclatée avec leurs remarques, leurs jugements et critiques dégradantes. Aujourd’hui, je tire ma révérence, je m’incline et les laisse gagner le combat pour ne pas finir en ruines, brisée encore plus que je ne le suis déjà.
Au revoir, ou plutôt adieu.
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