Le petit dej’ de la discorde

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Le lendemain matin, Jada est réveillée par une odeur alléchante s’échappant de la cuisine. Intriguée, elle se lève et se dirige vers la source de cette fragrance. En entrant dans la cuisine, elle découvre une véritable profusion de plats : des œufs brouillés, des crêpes dorées, des fruits frais joliment disposés, du bacon croustillant, des viennoiseries encore tièdes, et même du café fumant accompagné de jus d’orange fraîchement pressé. Au centre de cette abondance culinaire, Jake, vêtu d’un simple t-shirt et d’un tablier trop petit pour lui, s’affaire encore derrière les fourneaux.

Il se retourne, un sourire timide aux lèvres.

— Bonjour, Jada. J’ai pensé que tu apprécierais un bon petit-déjeuner.

Jada balaie la table du regard, puis ouvre instinctivement son réfrigérateur. Comme elle le redoutait, il est presque vide. Une vague de colère monte en elle.

— Jake, tu as vidé la moitié de mon frigo pour ça ? Tu te rends compte ?

Jake, pris au dépourvu, pose la spatule qu’il tenait.

— Je voulais juste te faire plaisir, me faire pardonner pour hier… pour tout.

Jada croise les bras, son regard perçant fixé sur lui.

— Te faire pardonner en utilisant toutes mes provisions sans me demander ? Tu crois que c’est comme ça que ça marche ?

Jake baisse les yeux, visiblement déconcerté.

— Je… Je suis désolé. Je n’ai pas réfléchi. Je voulais bien faire, mais j’ai encore tout gâché.

Un silence pesant s’installe. Jada soupire, tentant de maîtriser sa frustration.

— Écoute, je comprends ton intention, mais tu ne peux pas débarquer après dix ans et agir comme si de rien n’était. Il va falloir plus qu’un petit-déjeuner pour réparer les choses.

Jake hoche lentement la tête.

— Je comprends. Je vais aller racheter ce que j’ai utilisé. Encore désolé, Jada.

Elle l’observe un instant, puis, adoucissant légèrement son ton :

— Assieds-toi. Autant ne pas gâcher tout ça.

Ils s’installent en silence, partageant le repas dans une atmosphère teintée de tension et de souvenirs mêlés.

Le cliquetis des couverts sur les assiettes est le seul son qui résonne dans la cuisine. Le festin est bon, trop bon pour que Jada le boude vraiment. Mais malgré la saveur du repas, l’ambiance reste tendue, suspendue dans un mélange d’émotions à peine digérées. Jake mange en silence, les yeux baissés sur son assiette, concentré sur chaque bouchée comme si elle dictait la suite de ses excuses. Jada, elle, le surveille du coin de l’œil. Une partie d’elle veut lui parler, l’autre le renvoyer dehors avec son café tiède et son sourire maladroit. Elle coupe un morceau de pancake, le trempe dans le sirop d’érable, puis, comme si de rien n’était, lâche d’un ton neutre :

— Tu comptes aller le voir ?

Jake relève lentement la tête.

— Qui ?

Elle le fixe droit dans les yeux.

— Jacket.

Un silence. Il repose sa fourchette.

— J’y ai pensé, oui.

— T’y as pensé ? répète-t-elle, plus sèchement. Dix ans sans nouvelles, et tu “penses” à aller voir ton meilleur ami ?

Jake serre la mâchoire.

— Je sais ce que tu veux dire. Mais je sais pas s’il voudra me voir.

— Tu crois que j’ai voulu te voir, moi ? Et pourtant, regarde où t’es.

Il baisse les yeux.

— Il m’en a voulu, Jada.

— Non, Jake. Il t’en a voulu parce qu’il t’aimait. Parce que t’étais comme un frère. Tu l’as laissé tomber comme tu m’as laissée tomber.

Jake pousse son assiette doucement, sans un mot.

— Il vit toujours dans le quartier, continue-t-elle. Il bosse au centre d’entraînement du coin. Il entraîne les mômes maintenant. Les mômes qui n’ont plus de dojo, ni de sensei. Parce que l’ancien a été détruit. Et parce que toi, t’étais pas là.

Jake ferme les yeux un instant. Un poids ancien remonte, s’installe dans sa poitrine.

— Je vais y aller, dit-il finalement. Aujourd’hui.

Jada hoche lentement la tête.

— C’est pas moi qu’il faut convaincre. C’est lui.

Jake reste immobile, les yeux fuyants, incapable de trouver ne serait-ce qu’un mot pour combler ce silence pesant. Le regard de Jada se durcit à nouveau, et sans attendre qu’il puisse se défendre, elle se met à le blâmer, sa voix résonnant avec amertume dans la petite cuisine.

— Tu sais quoi, Jake ? répète-t-elle avec une colère contenue qui explose en même temps. Tu ne sais même pas quoi dire, comme si tout ce que tu avais vécu ces dix dernières années n’avait servi qu’à te paralyser !

Elle marque une pause, ses yeux brillant d’une intensité douloureuse. Ce n’est pas seulement de la colère, c’est un sentiment de trahison mêlé à une profonde déception.

— Tu m’as laissée dans le vide, tu m’as abandonnée sans un mot, et maintenant, te voilà, comme si tout pouvait s’effacer d’un simple regard. Tu crois que ce petit-déjeuner, cette parade pour te faire pardonner, va effacer des années d’absence et de silence ?

Jake baisse les yeux, incapable de soutenir son regard. Il sait que chaque mot de Jada le blesse, chaque reproche réveille des souvenirs de son propre abandon et de ses échecs.

— J’ai… je suis désolé, murmure-t-il, la voix rauque. Mais je ne sais pas comment réparer… comment combler ce vide…

Jada ricane, un son amer qui se mêle à ses sanglots silencieux.

— Désolé ? Tu crois vraiment que ce mot peut tout expliquer ? Tu crois que le pardon se négocie avec des gestes éphémères ? Tu m’as laissée seule, Jake, et maintenant, tu restes là, paralysé par ta propre culpabilité !

Le silence retombe sur la pièce, lourd et implacable. Jake tente une fois de plus de rassembler ses pensées, mais aucune réponse ne vient. Les mots semblent s’être évaporés, emportés par le poids des regrets. Jada fixe la table, ses mains serrées en poings, comme pour contenir l’explosion de ses émotions. Malgré sa colère, un éclat de douleur et de tristesse transparaît dans son regard, trahissant l’amour qu’elle porte encore en elle, malgré tout.

— Tu as tout gâché, Jake… répète-t-elle, plus doucement cette fois, mais avec une amertume qui perce encore. Tu ne sais pas ce que ça veut dire d’être là pour quelqu’un, de ne jamais abandonner, même quand la vie te brise.

Jake reste silencieux, le cœur lourd, incapable de répondre à la tempête d’émotions qui se déchaîne autour de lui. Leurs regards se croisent brièvement, et dans cet échange muet, la douleur du passé et la fragilité du présent se mêlent en un instant suspendu. Le petit-déjeuner, le festin préparé avec tant de maladresse pour combler un vide, se transforme en un décor de reproches et d’amertume, où chaque bouchée lui rappelle ses erreurs et à Jada son attente interminable. Dans ce silence lourd de non-dits, il est clair que les blessures du passé ne se refermeront pas facilement, et que le chemin vers le pardon, s’il existe encore, sera semé de doutes et de larmes.

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