Passion Brûlante

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Le soleil se couchait sur les cimes enneigées, embrasant la neige pour la seconde fois de la journée. Plus bas, le feu ravageait encore la forêt, dévorait les arbres encore debout, faisant disparaître la vie, flammes après flammes.

L’incendie avait failli se calmer, s’était réfugié sous la terre. Il avait découvert une nouvelle source pour reprendre des forces : les racines, asséchées par la chaleur de surface, succombaient à leur tour et propageaient le virus rougeoyant.

Les animaux, affolés par l’enfer, bloqués de toutes parts, se précipitaient dans le vide pour tenter de survivre. Leurs cris d’agonie ne couvraient pas la furie du brasier qui s’en donnait à cœur joie.

La nuit elle-même ne parvenait pas à prendre possession de sa plage horaire. La fumée condamnait la lumière des étoiles, et la nouvelle lune brillait par son absence.

Mais, au milieu de cette fournaise, une oasis offrait un semblant de répit imprévu : un îlot protégé par deux ruisseaux, exempt de nourriture suffisante pour le barbecue géant. Le vent ne soufflait pas dans cette partie de la vallée, et les braises volantes ne parvenaient pas aux quelques arbustes résistants sur les rives.

Au centre de ce refuge naturel, un chalet de pierres s’érigeait en forteresse. Une cheminée penchait dangereusement, en équilibre instable sur le bord du toit. Des fenêtres aux carreaux cassés fixaient le désastre alentours.

Assise sur les marches menant à la porte, une silhouette pleurait, la tête entre les bras. Derrière elle, l’ouverture sombre béait, invitation à entrer ou à sortir. Un murmure de souffrance l’appela depuis l’intérieur.

L’ombre se redressa, essuya ses larmes et rentra dans le chalet. La pénombre l’accueillit avec une fraîcheur bienvenue. Elle évita une pile de livres renversés. Des feutres éparpillés sur le sol manquèrent la faire basculer. Sur une table basse, pêle-mêle, des cartes, des jeux de sociétés, des puzzles s’entremêlaient, défiant quiconque de remettre les pièces dans les bonnes boîtes.

  • Mon Chéri ? Tu vas bien ?
  • Mon Cœur ? C’est toi ? On est vivants ?
  • Oui. Je t’ai traîné comme j’ai pu. Tu dois avoir des éraflures et des brûlures partout.
  • Tu aurais dû m’abandonner. On est où ?
  • Jamais, ma Respiration. Je ne sais pas trop. Dans l’œil du cyclone, probablement.
  • Pourquoi je suis trempé ?
  • On a traversé un ruisseau. Tu m’as échappé, tu as failli te noyer. Au milieu d’un incendie. Quelle ironie !
  • Viens là, mes Bras !

La femme rejoignit l’homme reposant sur le canapé, s’agenouilla pour se mettre à sa hauteur. Il lui tendit la main, caressa son visage noirci par la fumée environnante, où les larmes avaient laissé des sillons irréguliers.

  • Ça va aller. On est saufs. Il y a de l’eau, on a un toit au-dessus de la tête. Un vrai petit nid d’amour !
  • Grand fou ! sourit tristement la femme. On n’a pas de quoi manger. En cas de retour de flammes, on peut se faire intoxiquer par les vapeurs brûlantes avant de finir grillés.
  • Moi, ça me rappelle nos premières vacances tous les deux, avoua l’homme, avec une pointe de nostalgie dans la voix. Tu te souviens ?

Dehors, le crépitement des flammes baissa d’intensité, ramenant son chant à un simple feu de cheminée.

– C’était à la mer, pas à la montagne.

  • Ce n’est pas le lieu exact l’important, c’était la cahute sur la plage, l’impression d’être seuls au monde. Le bruit des vagues… Les fragrances iodées et boisées délayées dans le moindre courant d’air…
  • Il n’y a que toi à pouvoir faire un rapprochement entre un instant de détente et un moment de terreur. J’ai failli te perdre…
  • Mais tu nous as sauvés !
  • Quelle idée on a eu de partir en randonnée, sans nos téléphones !
  • Des vacances que pour nous deux. Pas de réseaux. Pas d’intrusion du monde extérieur. C’était le but. Le feu… C’était pas prévu. Sauf pour nous rappeler la passion de nos premiers rendez-vous. Rapproche-toi…

Les amants s’enlacèrent, s’embrassèrent langoureusement.

Une éternité plus tard, les bouches se séparèrent, mais les yeux restèrent accrochés l’un à l’autre.

À l’extérieur, le flamboiement continuait de plus bel, craquait les branches les unes après les autres, tentait en vain de se rapprocher de leur asile. Il crut réussir un instant, en faisant s’effondrer le tronc d’un pin en travers du ruisseau. Mais le cœur de l’arbre était trop endommagé, il se divisa en deux parties avant de sombrer dans les flots rougeoyants. Les brandons ne réussirent pas à embraser la rive.

  • On va rester là un moment… Il y a autre chose qu’un canapé dans cette bicoque ? Il fait chaud ici… sur tous les plans…
  • Comment tu peux penser à ça dans un moment pareil ? On n’a rien à manger, pas de moyen d’appeler à l’aide ! Si le vent rabat les fumées vers nous, on sera asphyxiés avant d’avoir pu dire ouf !
  • Tu es le seul air dont j’ai besoin, ma Déesse.

Le craquement des arbres à l’agonie empêcha la femme de répondre, mais un sourire coquin avait illuminé le visage de la jeune femme.

Elle se releva et parcourut l’unique pièce du regard. Un coin cuisine, une cheminée en pierre légèrement surélevée, un placard entrouvert où gisait quelques boîtes de jeux de société en bas d’une penderie, une veste de bûcheron suspendue, des oreillers sur l’étagère supérieure. Près de l’âtre, un empilement de bûches patientait, deux commodes complétaient le mur. Une bibliothèque en partie vidée, isolée entre les deux fenêtres, contemplait désespérément son contenu sur le sol.

  • Est-ce que tu peux te redresser ? Je n’arrive pas à voir si ce canapé est convertible. Il y a peut-être des couvertures ou des couettes en dessous.

Avec un effort, l’homme se redressa sur son coude avant de s’asseoir. Sa cheville gonflée le lançait, et les écorchures non désinfectées commençaient à le démanger.

  • Je crois qu’avant de chercher à conclure, il va me falloir me soigner tout ça. Le passage dans l’eau m’a fait du bien, pour mon pied.

La jeune femme explora l’intérieur des placards, et découvrit une trousse de premiers secours sous l’évier.

  • Allez, déshabille-toi, je vais désinfecter tes bras. Enlève ton tee-Shirt.
  • Je ne peux pas lever le bras. Tu peux m’aider ?

L’homme montra son membre bloqué devant son visage, ses yeux implorants, son haut révélant un torse balafré sur le travers.

  • Je vais te faire souffrir un peu, mon chéri…
  • Tant que c’est par tes doigts…

La Déesse ôta le vêtement rapidement, occultant la souffrance immédiate de son complice, et le jeta sur le sol. Elle imbiba un coton d’alcool et le passa le plus délicatement possible sur les plaies imprégnées de sang séché, de terre et de cendres. Les images des heures précédentes s’imposèrent à ses yeux.

L’absence de pluie avait déshydraté la forêt. Un abruti avait-il voulu allumer un feu de camp, ou le soleil s’était-il reflété dans un tesson de bouteille abandonné sur un lit de feuilles sèches ? Le feu les avait traqués de plus en plus haut, pourchassés de rocher en rocher. Ils avaient sacrifié leurs dernières gouttes d’eau pour se confectionner des masques pour respirer avec des tee-shirts de rechange. Une racine en partie déterrée avait fait un croc-en-jambe, précipitant l’homme vers la gueule brûlante du brasier. L’adrénaline avait littéralement donné des ailes à la jeune femme, arrachant son compagnon de justesse à la langue de feu.

Les grimaces et les petites plaintes les firent sourire. Le jean avait mieux protégé la peau des jambes, seules les chevilles avaient été griffées.

  • Dommage… sourit-elle.
  • À mon tour, laisse-moi inspecter tes blessures.

La jeune femme lui abandonna alcool, coton et gazes, attacha ses longs cheveux bruns en un chignon improvisé et se débarrassa de ses frusques déchirées. Les branchettes agonisantes avaient laissé aussi sur sa peau des sillons légers, noircis par les tisons et le sang coagulé. Son chevalier servant imbiba la gaze d’alcool et la passa délicatement le long des plaies. Sa douce tressaillit un instant au premier contact glacé, puis se détendit sous les caresses légères. Une entaille un peu plus profonde occasionna un gémissement discret.

  • Viens dans mes bras, ma chère et tendre infirmière. Reposons-nous quelques instants.

Elle posa les objets médicaux sous la table basse et s’allongea à ses côtés. Dehors, l’atmosphère lançait ses couleurs orangées, véritable sons et lumières naturel. Elle écarta une mèche de cheveux teintés par la fumée.

  • Tu sais quoi ? J’ai l’impression d’être dans un monde à l’envers… On est dans l’âtre, et le feu nous regarde nous consumer.
  • J’adore ta vision poétique, ma Déesse. Dans les pires moments, tu arrives à trouver des images amusantes.
  • On pourrait descendre par la rivière demain ? Si l’incendie est toujours là ?
  • Il y a une cascade à cent mètres d’ici, avec un aplomb des deux rives. Et après les chutes, il y a trop de remous, on se ferait fracasser par les rochers.
  • Ce qui ne nous laisse que le choix d’attendre la fin de ce désastre…
  • Je n’arrive même pas à savoir l’heure qu’il est… Le soleil s’est couché depuis longtemps. On devrait peut-être dormir un peu ?
  • Mmmm… non… Mais tu as sans nul doute raison. Il faut qu’on digère les derniers événements. On est obligés de le faire… complétement chastement ?
  • Bien sûr que non !

Avec difficultés, l’homme se releva du canapé. Elle bascula celui-ci en mode lit, trouva dans le coffre inférieur des draps et des couvertures, installa le tout rapidement. Ils s’installèrent avec tendresse, après avoir ôté leurs derniers habits, l’un contre l’autre.

Dehors, l’horreur poursuivait son travail en crépitant et en enflammant tout ce qu’elle trouvait sur son passage. Mais ses couleurs s’assombrirent, perdirent de leur soleil. Une atmosphère plus nocturne prit possession du paysage et le feu se consacra à la calcination de ses proies sylvestres, en appréciant à sa juste valeur la résistance et la vaillance du petit chalet coincé entre les deux bras aqueux.

Un choc violent réveilla les amoureux endormis, au moment le ciel déversait sur le toit une surcharge argentée, accompagnée d’une écharpe vaporeuse. Le vrombissement du canadair qui s’éloignait remplit un instant l’espace de la vallée, avant de disparaître derrière les montagnes.

  • Ma déesse ? Ma Déesse ! On est sauvés ! Écoute !
  • Que… quoi ? On est vivants ?
  • Il faut croire… Il fait encore chaud et la fumée obscurcit encore l’extérieur mais on devrait s’en sortir !
  • Ooooh… C’est… C’est merveilleux, mais…
  • Oui. Je sais. On a de la chance. On va pouvoir…
  • On va pouvoir retourner chez nous. Dans nos familles respectives…continua-t-elle dans un souffle.
  • Oui, je sais. Il faudra leur dire un jour ou l’autre. À nos époux.

Le couple illégitime raffermit son étreinte, soulagé et triste en même temps.

  • Mais peut-être… Pouvons-nous rester cachés encore un peu ? soufflèrent-ils d’une seule voix.

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