3 - Peu probable

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“Who’s gonna walk you through the dark side of the morning?

Who’s gonna rock you when the sun won’t let you sleep?

Who’s waking up to drag you home when you’ve drunken all alone?

Who’s gonna walk you through the dark side of the morning?

It ain’t me…”

    Léa était en train de chanter sous la douche dans une chambre dont la porte n’avait pas été fermée. Noll regardait la télévision, allongé à côté de la télécommande sur lit défait. La fenêtre, dont un des rideaux était fermé, donnait sur un paysage lunaire.

Noll : Qui a eu l’idée de cette émission ?

    Il regardait depuis une trentaine de seconde une chaîne sans nom dont la seule image était celle d’une roulette, tournée par une main gantée dès que la bille s’arrêtait de bouger. Noll changea de chaîne. Désormais s’affichait sur l’écran un dessin-animé aux personnages aux allures géométriques. Après quelques dialogues, Noll comprit que l’intrigue de cet épisode concernait le personnage circulaire qui menait une enquête afin de trouver qui lui avait volé une tarte.

Noll : Ils ont dû repomper ça d’Alice aux Pays des Merveilles…

    Puis, par fénéantise, il décida de regarder cette série en se promettant de ne pas être trop critique.

    Pendant ce temps, Léa s’était assise dans la douche, juste sous le jet d’eau, et, les bras entourant les jambes, semblait songeuse. Cela faisait à présent treize jours qu’elle errait dans cet hôtel. Onze en compagnie de Noll. Sept depuis sa rencontre avec le général Ordin dans le fumoir. Cinq depuis l’incident dans la véranda. Quatre depuis son intrusion dans la chambre d’Enn. Et l’avant-veille encore, elle avait échappé de peu aux bosos. Treize jours coincée dans des couloirs sans fin dont quasiment toutes les portes étaient fermées.

    Son estomac commença à gargouiller. Léa se releva alors, fini de se rincer des dernières traces de savon, puis coupa l’eau. Elle s’enroula dans une serviette agréablement tiédie par le chauffeserviettes, puis se tourna vers le miroir et se fixa un long moment. Elle avait les mêmes cernes qu’avant son arrivée dans l’hôtel. Les joues peut-être un peu plus creusées. Ses longs cheveux châtains et ondulés étaient à peine plus longs. Elle passa sa main droite entre ses mèches, remarquant au passage qu’elle n’avait pas taillé ses ongles depuis presque deux semaines. Ses doigts portaient encore des traces de coupures qui disparaitraient surement bientôt, une fois la peau renouvelée.

    Elle se tourna un peu vers la droite, regarda son profil, puis changea de posture, encore et encore. Bien qu’elle trouvât régulièrement des chambres ouvertes et inoccupées desquelles elle utilisait surtout la salle de bain, elle n’avait pas pris le temps de se regarder dans le miroir depuis longtemps. C’était comme une reprise de conscience de son corps. Cela lui rappela soudain sa vie d’avant. Pour ne plus y penser, elle ouvrit un des deux tiroirs du lavabo. Une brosse à dent jetable, un tube échantillon de dentifrice, un échantillon de parfum « Omega, pour homme », des échantillons de crème pour la peau, un rasoir jetable, un échantillon d’après-rasage. Elle avait déjà utilisé le petit savon emballé dans du papier et le sachet de champoing pendant sa douche. Il semblait en tout cas que cette chambre était destinée à un client masculin.

    Léa regarda un peu plus les échantillons du tiroir. Ils ne portaient pas de nom de marque, ce qui lui sembla paradoxal. Elle en tourna un, puis constata un petit logo représentant un dé. Elle en retourna un autre, puis tous. Dans le dos de chacun, le même symbole. Elle se baissa pour récupérer l’emballage du savon dans la poubelle, et remarqua le même logo sur l’étiquette qui tenait le papier. La brosse à dent et le rasoir n’était pas en reste.

    Après avoir attaché fermement sa serviette, elle retourna dans la chambre, la brosse à dent dans la main. Noll était devant un nouvel épisode de son dessin-animé, « Les Shapesy ».

Noll : Mais elle vous a fait un clin d’œil ! Bien sûr que c’est une ruse pour vous faire gagner du temps !

Léa : Alors ? Qu’offre-t-on à la jeunesse, de nos jours ?

Noll : Cette série est l’absence absolue de subtilité. Je veux bien qu’on prenne les enfants pour des andouilles, mais à ce point, c’est presque insultant.

Léa : Pourquoi tu regardes, alors ?

Noll, après réflexion : J’aime bien la musique du générique.

Léa : A ce propos, est-ce que ce symbole te dit quelque chose ?

    Elle tendit alors la brosse à dents, plaçant le petit dé devant les yeux de Noll.

Noll : C’est le logo de l’hôtel.

Léa : C’est aussi ce que je pense. Tous les produits qu’ils offrent dans la salle de bain le portent, mais aucun nom de marque Est-ce que ça veut dire qu’ils les produisent eux-mêmes ?

Noll : Peu probable… Il leur faudrait une usine à rasoir, une distillerie à parfum… Et pour ce qui est dans le frigo ?

Léa : Je vais voir.

    Elle ouvrit le réfrigérateur et prit une bouteille d’eau gazeuse.

Léa : Le dé y est. Et sur tout ce qu’il y a là-dedans. Pourtant, on a trouvé du « Dr Pepper » dans la chambre d’Enn… Comment on explique ça ?

Noll : Est-ce que tu en a gardé une canette, qu’on l’examine ?

Léa : Non… Tout ce que j’ai dans mon sac vient des deux dernières chambres. D’ailleurs, depuis qu’on a croisé Enn, je ne me nourris plus qu’avec le contenu des frigos…

Noll : Maintenant que j’y pense, d’où venait ce que tu avais quand on s’est rencontré ? Vu que tu as tenu une semaine avec, je doute que tu l’avais incidemment dans ton sac.

    Léa s’assit sur le lit et éteignit la télévision.

Léa : Quand je suis… arrivée dans le couloir rouge, j’ai un peu paniqué. Pour me calmer, j’ai fait mon état des lieux : pas de blessures, pas de douleurs, mes vêtements n’avaient rien. J’avais encore ma montre, mon sac avec mon skate-board et toutes mes autres affaires dedans. Notamment mon portefeuille. Il devait être quatre heures, je crois. Je me suis tout de suite dit qu’il fallait que je trouve la réception pour sortir. Puis, j’ai vu une des portes, et le numéro à onze chiffres… J’ai cru que c’était une blague, un truc pour rendre l’hôtel original. Puis j’ai vu le couloir qui s’étendait à perte de vue. Et là, j’ai eu vraiment peur. Je me suis rassuré en pensant que je trouverais vite un ascenseur, ou un escalier de secours, ou même quelqu’un.

Après genre dix minutes, je me suis rendu compte que ce ne serait sans doute pas le cas. Je me suis demandé si je devais toquer à une porte au hasard, ou même essayer de les ouvrir. D’abords, je me suis retenue. Puis, j’ai essayé toutes les portes. Et finalement, j’en ai plus essayé aucune ; toutes fermées. Je me suis assise par terre et j’ai commencé à pleurer. Je ne sais pas exactement pendant combien de temps, mais au bout d’un moment, j’ai eu faim.

J’avais un pique-nique dans mon sac. J’ai eu du mal à manger ce que j’avais, tellement j’avais la gorge serrée. Mais je me suis forcée à me nourrir. Après, je n’avais plus la foi de continuer. Je me suis allongée sur la moquette, et malgré état d’inquiétude, je me suis endormie en espérant me réveiller chez moi.

Mon vœu n’a pas été exaucé. Le lendemain, j’étais toujours au même endroit. Je me suis réveillée assez tard, au moment où mon estomac a commencé à gargouiller. Je me suis mise à marcher dans le couloir, un peu en mode je suis dans un cauchemar. A un moment, j’ai même essayé d’utiliser mon skate, mais ça marche pas sur la moquette. Du coup j’ai continué à pieds. Et puis finalement, j’ai vu une porte ouverte. C’était ma première. Je ne sais plus trop ce qui m’est passé par la tête à ce momentlà. Un peu de tout, tu vois. L’espoir de trouver quelqu’un. Je me suis dit qu’il y aurait surement quelque chose pour m’aider. Et que s’il n’y avait personne, j’attendrais juste que quelqu’un arrive.

J’ai couru comme une folle, et j’ai toqué à la porte avant de l’ouvrir entièrement…

Noll : Et il n’y avait personne.

Léa : Personne… Mais sur le lit, il y avait un panier de bienvenue rempli de sandwichs et de compotes. Sur le moment, ça ne m’a pas frappé, mais un peu après, je me suis demandé pourquoi des sandwichs et des compotes. D’habitude, on met plutôt des fruits, ou des chocolats, ou ce genre de trucs…

Noll : Tu penses qu’il était là pour toi ?

Léa : J’y ai pensé. Je n’en sais toujours rien.

Noll : J’ajoute ce mystère à la liste déjà conséquente des questions irrésolues.

Léa : Bref, je me suis fait un repas, puis j’ai attendu que le ou les occupants de la chambre revienne. Je me serais excusé pour avoir pris dans le panier, et on me dirait comment sortir, et je retournerais chez moi… Pendant toute la journée, je me suis dit que la personne qui dormait là était sortie le matin, et qu’elle rentrerait forcement le soir. Que la porte avait été laissée ouverte par les femmes de ménage, ou quelque chose du genre. Et comme personne ne venait, je me suis finalement couchée dans le lit.

Comme le lendemain, rien n’avait changé, je me suis décidée à remplir mon sac avec le contenu du panier, laisser un mot et repartir dans le couloir. Une fois le panier vidé, je me suis rendu compte qu’il y avait une enveloppe au fond.

Noll : Une enveloppe ? Celle où tu as trouvé ta clé ?

Léa : Exactement.

Noll : C’était donc ça… Tu ne m’avais pas parlé du panier.

Léa : Je… je ne pensais pas que c’était important à préciser.

Noll : Et après ?

Léa : Après, je t’ai vu derrière le pot de fleur, et tu connais la suite.

Noll, après quelques instants : C’est quand même étrange, tout ça…

Léa : C’est aussi ce que je me suis dit.

    Les deux restèrent sur le lit de longues minutes, plongés dans leurs pensées respectives. Puis, Léa fini par se lever.

Léa : Bon, je vais m’habiller.

Noll : Pas de soucis.

    A mi-chemin vers la salle de bain, Léa entendit une voix nasillarde indiquant que Noll venait de rallumer la télévision. Elle s’enferma à nouveau dans la salle de bain et se mit à penser à ce qu’elle venait de dire. Elle avait menti à Noll, et ce grossièrement. Il avait sûrement senti que plusieurs choses ne collaient pas dans son récit. Elle avait essayé d’être la plus convaincante possible, mais certains détails lui semblaient beaucoup trop gros, à présent. La clé dans l’enveloppe, le panier à repas… Elle avait tant de choses à cacher qu’elle n’arriverait sans doute pas à le faire proprement. Pas sur toute la ligne…

    Elle enfila ses vêtements, les mêmes depuis treize jours. Pour changer un peu, elle décida de mettre sa casquette. Puis, elle prit le parfum « Omega » et s’en pulvérisa deux giclées. L’odeur était agréable. Elle retourna dans la chambre.

Léa : Des nouvelles incohérences dans ta série ?

Noll : Je crois qu’ils sont tous débiles. Ou amnésiques. Ou les deux.

Léa : J’aime bien le style de dessin.

Noll : Mouarf…

    Léa, plus curieuse que d’habitude, s’approcha de la table de nuit. Dans le tiroir de celle-ci, elle trouva une carte des cocktails du bar de l’hôtel hasard ainsi qu’un pass pour consommation illimité. Elle hésita quelques secondes, puis la rangea dans son portefeuille. Elle prit ensuite la carte et la tandis vers Noll.

Léa : Regarde, on nous incite à boire !

    Noll tourna la tête, regarda brièvement le papier, puis retourna vers son écran. Léa haussa les épaules avec un petit sourire.

    Elle se dirigea ensuite vers la penderie dont la porte était un grand miroir. Elle fit glisser celleci sur le côté. A l’intérieur se trouvait une chemise rouge à carreaux, une couverture supplémentaire et un sachet de lavande. Elle mit la lavande dans son sac, hésita à prendre la couverture avec elle et décida que non par manque de place, puis considéra la chemise. Elle eut alors une idée. Elle retourna sa casquette, puis enfila la chemise par-dessus son T-shirt sans la fermer. Elle se tourna alors vers Noll.

Léa : Yoh ! Dang, man !

    Noll leva les yeux au ciel tandis que Léa riait. Enfin, celle-ci vida le réfrigérateur dans son sac.

Léa : C’est bon, j’ai fini de piller la chambre aux trésors, on peut y aller.

Noll : Attend la fin de l’épisode.

Léa : Junky !

    Léa ouvrit un paquet de chips de carottes et rejoignit Noll sur le lit. Ensembles, ils regardèrent ainsi la suite de l’intrigue, racontant les disputes des Shapesy autour d’un arbre ayant poussé comme par magie au milieu du village et dont les fruits lumineux rendaient heureux, retirant toute envie de travailler.

Léa : En fait, c’est de la drogue, quoi.

Noll : Pour votre santé, mangez cinq fruits et légumes qui brillent dans le noir...

    Une fois le village dans un sale état, la fille en forme de triangle, personnage récurremment triste, eut enfin la bonne idée de couper l’arbre pour libérer ses camardes des effets de ses fruits. A la fin, le village organisa une fête pour célébrer l’amitié.

Léa : Ils ont écrit un scénario, ou comment ça se passe ? C’est tellement cliché que c’est honteux !

Noll : Tiens ? Il y encore un épisode après les publicités.

Léa : J’ai envie de voir jusqu’où ce dessin-animé va dans la médiocrité.

Noll : Pareil.

Léa : De toute façon, on n’a pas grand-chose d’autre à faire…

    Ils passèrent ainsi leur matinée à regarder épisode après épisode jusqu’à ce que le programme change.

Noll : Je me sens plus bête qu’avant.

Léa : Ça expliquerait pourquoi on a choisi de rester devant ce… truc.

Noll : Je propose qu’on quitte cette chambre et qu’on oublie cette série du démon.

Léa : Approuvé !

    Elle enfila alors son sac, déposa Noll sur ses épaules, puis reparti dans le couloir.

Léa : Tu veux rire ?

Noll : Vas-y. Je suis tout ouïe.

Léa : Alors c’est l’histoire d’une mathématicienne qui attend un bébé. Elle va à l’hôpital et y accouche. Et là, quelqu’un lui demande « Avez-vous eu un garçon ou une fille ? ». Alors, la mathématicienne répond « Oui. ».

    Silence.

Léa : Elle était drôle !

Noll : Les blagues sur la logique ne sont pas mes préférées…

Léa : Je suis sûre que l’as même pas comprise…

Noll : Pardon !?

Léa : D’ailleurs, si tu as l’humour si raffiné, je t’attends.

Noll : Quoi ?

Léa : Raconte une blague !

Noll, après réflexion : Il n’y a rien qui me vient à l’esprit.

Léa : A-ha ! Comme d’habitude, des belles paroles, mais dès qu’il s’agit de faire une démonstration, pouf ! Plus personne !

Noll : Attends voir… Tu aimes les maths ? Que fais f prime sur un bateau ?

???: Il dériver.

    Noll et Léa se tournèrent ensemble la tête vers la source de la réponse. Une silhouette tentait tant bien que mal de se cacher derrière une colonne sur laquelle était posé un buste en marbre.

???: Cela sembler être le plus logique…

Léa : Euh… vous pouvez vous montrer. On ne va pas vous faire de mal…

???: Cela être en effet peu probable…

Noll, à Léa : Est-ce que ça veut dire qu’on a l’air faible ?

    Un vieillard mesurant à peine un mètre sortit de sa cachette. Il avait de longs cheveux gris qui lui tombaient jusqu’au derrière, une barbe de la même couleur descendant jusqu’aux coudes et des lorgnons ayant connu des meilleurs jours. Il était vêtu d’une tenue usée de jardinier et portait dans la poche de son tablier divers outils pour s’occuper de plantes.

???: Il y avoir beaucoup chances, vous ici de trouver.

Léa : Une rencontre fortuite ! Vous êtes ?

???: Je être Gôce. Je être jardinier dans hôtel ici.

Léa : Génial ! Est-ce que vous savez comment on sort d’ici ?

Gôce : Cela être impossible.

Léa : Qu’est-ce que vous entendez par impossible ? Que c’est très dur ou qu’on ne peut physiquement pas ?

Gôce : Impossible être impossible. Très dur être possible.

Noll : D’accord…

Gôce : Impossible être probabilité zéro. Très dur être probabilité petite petite, mais zéro non.

Léa : Et pourquoi ne peut-on pas sortir ?

Gôce : Sortir pas prévu dans fonctions hôtel. Ici fait pour rester.

Léa : Bien… Est-ce que l’on pourrait voir quelqu’un qui pourrait nous aider ?

Gôce : Vous vouloir rencontrer directeur ?

Noll : Ce serait un bon début.

Gôce : Je ne pouvoir pas vous aider pour cela.

Léa : Pourquoi ?

Gôce : Bureau directeur être quelque part dans hôtel ici, mais je ne savoir pas où. Vous pouvoir trouver bureau que par chance seulement.

Léa : Trouver le directeur de l’hôtel hasard par chance… Comme c’est ironique…

Noll : Est-ce que vous savez autre chose qui pourrait nous aider ?

Gôce : Je avoir peut-être quelque chose pour vous. Suivre moi si vous vouloir plus d’informations.

    Gôce tourna alors le dos aux deux compagnons et commença à avancer à pas lents dans le couloir. Léa et Noll se fixèrent avec un regard interrogateur. Léa haussa les épaules. Noll fit une tête signifiant qu’il n’en savait pas plus que ça.

Léa : Bon.

    Et les deux partirent alors à la suite de Gôce qui se trouvait une demi-douzaine de mètres devant eux.

Léa : Où allons-nous ?

Gôce : Pas loin loin. Y être vite. Pas de besoin avoir inquiétude.

Noll : Bien sûr…

    Gôce s’arrêta alors devant une porte sur laquelle était fixée une plaque dorée. Celle-ci portait l’inscription « cour intérieure ». Le jardinier ouvrit la porte, laissant entrer une lumière extérieure dans le couloir. Un petit courant d’air se fit sentir.

Gôce : Venir dans cour. Plus agréable, et instructif plus encore !

    Léa passa la porte pour atteindre une petite cour formée de quatre murs de briques hauts d’environ cinq mètres. Au-delà, on pouvait apercevoir une forêt de grands pins traversés par le vent. Sur le mur en face de la porte se trouvait une petite fontaine à tête de poisson dont le bruissement s’accordait parfaitement à celui des feuilles. Enfin, au centre de la petite cour pavée, un grand arbre étendait ses branches vers le ciel.

    Léa s’approcha de l’arbre et l’observa plus en détail. Le tronc se divisait en deux branches, et seule l’une d’entre elles portait du feuillage bien que son extrémité semblât en perdre régulièrement.

    Gôce indiqua un banc contre le mur, puis sorti un escabeau de derrière la porte. Léa et Noll allèrent donc s’assoir tandis que le jardinier grimpait pour examiner la base de la branche feuillue. Il réajusta ses lunettes.

Gôce : Oui oui ! Je vois de mes yeux. Léa, oui oui…

Léa : Vous connaissez mon nom ?

Gôce : Si vous être ici, vous être Léa.

Léa : Qu’est-ce que ça veut dire ?

Gôce : Au début, je ne savoir pas si vous être Antoine ou Léa. Mais quand vous arriver dans hôtel ici, je voir que vous être Léa.

    Léa eut un mouvement de recul.

Noll, à Léa : Tu connais un Antoine ?

    Léa déglutît difficilement.

Léa : J’ai un camarade de classe qui s’appelle comme ça, mais je ne vois pas le rapport.

Gôce, descendant de l’escabeau : Rapport plus. Vous être là. Vous être Léa. Plus Antoine. Maintenant, vous rester hôtel ici.

Léa : Je ne suis pas sûre de comprendre… De quel Antoine vous parlez ? Et pourquoi est-ce que je dois rester dans cet hôtel ?

Gôce : Vous pas Antoine. Stop parler Antoine. Et vous rester hôtel ici car vous ne pouvoir pas sortir.

Léa : Certes. Et est-ce que vous savez pourquoi je suis là ?

Gôce : Je ne savoir pas. Feuilles sur branches et pas racines.

Noll : Qu’est-ce qu’il raconte ?

Léa : Je crois que c’est une métaphore…

Gôce : Métaphore, non non ! Vous voir vous-même ! Branches, pas racines !

Noll, bas : Je crois surtout qu’il est vieux.

Léa : Il en sait toujours plus que nous. Et il parle plus que d’autres avant lui.

Noll : Pour ce que ça nous apporte…

Léa : On lui montre la clé ?

Noll : Tu n’as pas peur de refaire la scène des bosos ?

Léa : Au pire, on change encore d’étage comme par magie, et c’est tout.

Noll : A ta place, je ne compterais pas trop sur ce genre de phénomènes.

Léa : Bref, je lui montre les clés.

Noll : Et s’il est méchant ?

Léa : On lui donne un coup d’escabeau.

    Gôce venait justement de le ranger là où il l’avait pris. Il se tourna vers les deux égarés au moment où Léa fouillait dans sa poche.

Léa : J’aurais une autre question… Si c’est possible…

Gôce : Beaucoup questions ! Vous être curieuse. Cela être bien.

Léa, à Noll : Tu vois, il aime qu’on lui pose des questions.

Noll : Mouais.

Léa : Est-ce que vous savez quelque chose sur… ça ?

    Elle montra la clé sans pour autant trop l’approcher du jardinier.

Gôce : Cela être clé.

Noll : Certes. Nous l’avions deviné.

Léa : Cette clé n’ouvre pas les chambres. Savez-vous ce qu’elle ouvre ?

Gôce : Comment vous savoir que clé ici n’ouvrir pas chambres ?

Léa : Nous l’avons essayée plusieurs fois… Et cela a été confirmé par… des gens.

Gôce : Si gens dire, vous pas être sûre. Vous savoir, mais vous ne pouvoir pas prouver. Et si vous ne pouvoir pas prouver, comment vous espérer comprendre ?

Léa : Je ne comprends pas tout, en effet…

Gôce : Si je vous dire « dans ciel être deux soleils », vous ne croire pas moi. Mais est-ce que vous pouvoir prouver pas deux soleils ? Non, car vous n’avoir jamais prouvé pas deux soleils. Vous savoir car gens dire que un seul soleil dans ciel. Si vous prouver que un seul soleil, alors vous pouvoir faire astronomie ou bêtises pareilles. Si vous ne prouver pas, vous ne pouvoir rien faire. Pareil avec clé. Vous devoir prouver clé pas ouvrir aucune porte si vous vouloir comprendre à quoi servir clé.

Léa : Mais on peut faire une théorie et se baser dessus.

Gôce : Théorie être bêtise de physique. Théorie pas preuve.

Noll, bas : Je crois qu’il n’aime pas trop la physique.

Léa : Penses-tu…

Gôce : Je savoir quoi vous penser. Vous ne pouvoir pas essayer clé sur portes toutes.

Léa : Vous devez être télépathe.

Gôce : Cela être que très probable, vous beaucoup questions avoir. Alors bien écouter. Vous tester une fois, puis prouver que si clé ici ne fonctionner pas sur unique porte, alors clé ne fonctionner pas sur portes toutes.

Noll : Ce n’est pas très clair.

Léa : Non, mais je crois qu’il veut qu’on fasse un raisonnement pas récurrence.

Noll : Tu es sûre ?

Léa : Plutôt. On teste une fois, puis on prouve que si ça ne marche pas une fois, ça ne marchera jamais.

Gôce : Oui oui ! Bien ! Vous comprendre !

Léa : Mais comment on prouve la deuxième partie ?

Gôce : Vous devoir voir clés.

Léa : Mais… je la vois déjà…

Gôce : Non. Pas clé ici. Vous devoir voir clé autres portes.

Léa : Ah… D’accord… Est-ce que vous avez une clé ?

Gôce : Moi être jardinier, pas client.

Noll : Vous devez pourtant bien habiter quelque part ?

Gôce : Je juste dire vous : je être jardinier, pas client. Je n’habiter pas. Ni dans hôtel ici, ni dans endroit ailleurs.

Léa : Bien. Mais j’aimerais revenir sur cet Antoine que vous avez évoqué.

Gôce : Vous pas Antoine. Stop parler choses qui n’être pas.

Léa, à Noll : Il est plutôt borné. Est-ce qu’on lui parle des bosos ? Ou d’Enn ?

Noll : Je ne suis pas trop sûr. Tu as vu ce qui s’est passé la dernière fois…

Léa : Laisse-moi faire, tu vas voir. Est-ce que vous avez déjà entendu parler d’un certain Enn ?

    Noll se mordit la lèvre. La subtilité faite femme.

Gôce, avec un grand sourire : Ah ! Petit Enn ! Lui gentil garçon. Naïf petit peu, mais vous ne répéter pas. Chut ! Ha ha !

Léa : Donc vous le connaissez ?

Gôce : Oui ! Il être bien brave. Vous avoir rencontré frères et sœurs ?

Léa : Il a des frères et sœurs ?

Gôce : Oui ! Y avoir Are, Kyu et Zed !

Noll : Are ?

Gôce : Vous connaître Are ?

Léa, à Noll : Je crois qu’on peut lui faire confiance…

Noll : Bon. Si ça se passe mal, tu cours. Compris ?

    Léa hocha la tête.

Léa : Nous avons entendu son nom de la bouche d’autres clients de l’hôtel. Peut-être que vous les connaissez…

Gôce : Dire noms, et je dire si je connaître.

Léa, après une hésitation : Les bosos…

    Gôce fit une grimace.

Gôce : Je connaître. Oui. Hélas.

Léa : Pourquoi hélas ?

Gôce : Bosos être recommandables comme crapauds. Ils être égoïstes. S’en ficher bon fonctionnement hôtel ici. Vouloir plier monde comme ils vouloir. Comment avoir vous croisé bosos cuistres ?

Léa : Ils étaient dans la salle de billard. Nous les avons trouvés par hasard.

Gôce : Hasard que niet ! Ils être toujours à jouer billard et boire bière. Hasard rien à voir.

Noll : Nous ne savions pas qu’ils étaient là. Nous ne savions même pas qu’il y avait une salle de billard avant de l’avoir vue.

Gôce : Ils avoir prononcé nom Are ? Ils avoir profond irrespect ! Est-ce qu’ils avoir dit choses autres ?

Léa : Non… Rien.

Gôce : Je conseille vous plus voir bosos jamais !

Léa : On vous croit sur parole…

Gôce : Mais vous avoir croisé Enn. Cela être bien. J’espérer vous croiser frères et sœurs.

Noll : M’oui, sans doute…

Léa : Est-ce qu’ils se ressemblent ?

Gôce : Non un peu... Je donne exemple : vous avoir vu cheveux Enn. Kyu avoir cheveux rouges. Are cheveux bleus et Zed noir nuit. Enn être moyen grand. Kyu moyenne petite. Are grande, mais Zed être grande grande ! Elle être géante !

    Léa, qui écoutait attentivement, eu un mouvement de recul.

Léa : Grande et cheveux noirs…

Noll : A quoi tu penses ?

Léa : J’espère que je me trompe… Est-ce qu’elle aurait les yeux bleus ?

Gôce : Oui oui ! Bleu plus bleu que ciel et mer ensembles ! Vous avoir vu Zed ?

    Léa mis sa main devant sa bouche pour contenir l’expression de stupeur qui venait d’envahir son visage. Noll écarquilla les yeux.

Noll : Non…

Gôce : Est-ce que quelque chose n’aller pas bon ?

    Léa se leva d’un bond et enfila son sac à dos.

Léa : Nous devons partir. Merci pour vos réponses.

Gôce, se grattant la tête : Déjà ? Bien, bien… Vous pouvoir revenir quand vous vouloir. Mais où vouloir vous aller, maintenant ?

    Léa jeta un dernier regard vers l’arbre, puis s’engouffra dans le couloir.

Léa : On sort.

    Gôce observa les deux s’en aller, puis se tourna à son tour vers l’arbre. Il le parcouru du regard, puis haussa soudain le sourcil. Il se rapprocha un peu plus, et enfin se mis à gratter sa barbe.

Gôce : Cela peu probable…

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