2 - Dans un cauchemar
Mon front me piquait méchamment mais je n'eus pas un cri, pas un mouvement de recul. Je me sentais étrangement vide, mon cœur battait seul comme une cloche dans le néant de sa tour.
– Désolée, votre majesté.
J'entrevoyais vaguement ce qui devait être une servante. Elle venait de m'appliquer sur le front et les bras un baume âcre et pâteux malodorant. Je supposais qu'il s'agissait d'une sorte d'antiseptique, sans m'y attarder davantage. La jeune fille se retira avec déférence.
Je la regardai sans la voir, l'envisageant à peine. Ma douleur n'était pas physique mais j'aurai préféré avoir le bras tranché que de sentir ma famille si loin. Ma petite fille, mon homme, mes parents, ma fratrie, mes amis. Même mon chat me manquait. Quand pourrais-je les revoir ? Comment ?
Je n'avais pas eu besoin de poser des questions ni de mener une enquête. Mon instinct de mère et de femme me le hurlait. Je n'étais plus sur Terre. Cela n'était pas bien difficile à confirmer : il suffisait de voir ces murs de granit, ces tenues de mode médiévale, ces torches qui éclairaient les murs des couloirs, ces vitraux qui laissaient translucides qui laissaient passer une triste lumière.
Un brouhaha s'éleva derrière la porte de chêne massif. Dans le couloir, les gens commentaient la situation avec les dernières informations que devaient leur avoir fourni la servante. Autre indice : tout le monde m'appelait Majesté.
Je me jetais sur le lit en me demandant ce qu'il s'était passé. Mon esprit antireligieux refusait d'y voir un acte divin. Mon cartésianisme recherchait activement des hypothèses plausibles, espérant y trouver un espoir de sortie. L'espoir de retrouver au plus vite ma famille. Ma famille…
Les larmes me montèrent aux yeux. Un sanglot s'échappa de mes lèvres. Le sanglot se transforma en cri. Un hurlement s'éleva. Je hurlais, hurlais jusqu'à m'effondrer de fatigue. Dans ce sommeil, je ne pouvais m'empêcher de rêver de ma fille.
La douleur me plongea dans une folie de désespoir. Au bout de trois jours de larmes, mes yeux refusèrent de pleurer davantage. Je restais alors allongée sur cette couche moelleuse à regarder ce plafond innocent que je détestais pourtant de toute mon âme.
– Votre majesté. Je vous ai apporté à manger. S'il vous plait, avalez quelque chose.
C'était dire combien j'étais ébranlée : moi qui ne supportais pas de sauter un repas, je n'avais rien mangé depuis mon réveil dans cet univers maudit. J'avais envie d'envoyer paître cette servante si prévenante. Mais je songeais que je ne gagnerai à rien à rester à pleurer. Trois jours et trois nuits étaient un délai suffisamment long pour me prouver qu'il ne servait à rien d'attendre que le Grand Windows Céleste fasse ses mises à jour, redémarre et me remette dans mon chez-moi avec ma famille. Il fallait tenter autre chose.
J'étais trop vide pour trouver l'air pour soupirer d'agacement. Je me déplaçai sur le lit puis me releva. La servante attendait à côté d'une table ronde posée dans l'angle, entre une fenêtre et une cheminée. Je fis un premier pas et sentit un léger vertige. La jeune fille avait raison. Manger me ferait du bien. Je commençais à traverser la pièce.
Soudain un mouvement à la périphérie de ma vision attira mon attention. Je tournai machinalement la tête. J'y découvris une forme qui mimait mes mouvements. C'était mon reflet. C'était moi ?!
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