Chapitre 14

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Elle était seule, démunie. Seule au milieu des autres.

L'univers de la petite fille, même s'il s'élargissait, demeurait toujours aussi étroit.

Les dents serrées, elle faisait face à sa solitude avec résignation, dans un silence pesant, usant.

Les autres s'avéraient trop souvent synonymes d'hostilité, de méchanceté. Ce monde s'épanouissait dans le mensonge, la moquerie, la tromperie, l'irrespect. Elle serrait les dents pour étouffer les cris qui emplissaient sa gorge, à la limite de la nausée et de la suffocation.

Le courage qu'on lui reprochait de ne pas avoir existait bel et bien. Celui dans lequel elle puisait tous les matins avant de partir à l'école. Celui qui la soutenait pour affronter tous les regards et les remarques blessantes. Celui dont elle usait pour acquérir les notions, surmonter ses faiblesses. Celui qui lui donnait malgré tout la force, l'élan pour tendre la main à une personne en difficulté. Celui qui lui permettait de ravaler sa peine devant le refus de sa main tendue. Néanmoins, toutes ces vexations ne parvenaient pas à lui ôter l'envie de donner, à moins qu'il ne s'agisse d'un besoin.

Que croyaient-ils tous ces fous, qu'ils allaient la réduire à néant si facilement ?

Non, la braise continuait à couver en elle, discrètement, cachée, refoulée. Mais présente.

Les beautés de la vie apparaissaient à ses yeux. Elle savait les voir, toujours. Un coucher de soleil dont les couleurs la surprenaient et l'émerveillaient. Des chatons qui jouaient près de leur mère avec un chien ami, dix fois plus gros qu'eux. Et cette multitude de fleurs qui chantaient dans les jardins, qui dressaient leurs pétales blancs, roses, jaunes, oranges, rouges, parsemant les lieux de gaieté.

Mais, au fond d'elle, elle savait bien que rien ne changerait, rien ne s'améliorerait.

Les seules choses qui s'estompaient puis disparaissaient, c'étaient son enfance et, avec elle, l'insouciance et surtout l'espoir d'un monde meilleur.

Elle s'étonnait parfois de parvenir à avancer. À quoi bon tout ça ?

Et pourtant, une flamme persistait en elle, l'attirant plus loin, lui assurant le désir de vie, une flamme qui l'entraînait presque malgré elle vers un futur. Son futur.


L'espace qu'elle s'était créé vivait principalement de lectures et d'observation.

Dans sa chambre, elle se blottissait bien au chaud ou, lorsque le temps le permettait, elle s'asseyait dans un coin du jardin et se plongeait dans une histoire jusqu'à l'oubli.

Les livres destinés aux enfants ne l'avaient nullement enthousiasmée ; assez tôt, elle s'était tournée vers des romans aux styles variés. Le tout premier fut "Le lion" de Joseph Kessel, merveilleuse histoire d'amour entre un lion et une fillette. Ensuite, elle avait exploré des auteurs divers. Henri Troyat proposait des récits très différents, des voyages en Sibérie, des semailles et des moissons, celui d'une famille moyenne des années soixante-dix, les Eygletière. Certains de ses écrits la heurtèrent par leur rudesse. De Robert Sabatier, elle se régala du parcours d'Olivier qui cueillait des noisettes sauvages et croquait des sucettes à la menthe. Georges Duhamel narrait, entre autres, la vie d'une famille au début du vingtième siècle. D'autres écrivains vinrent compléter une liste qui ne cessa de s'allonger.

Les classiques restaient du domaine scolaire. Elle avait envie de prendre la poudre d'escampette et de se balader dans le temps et par le monde, à la découverte d'univers diversifiés.

Le cours de ses rêveries la ramenait souvent dans le jardin, dans cette nature bien aimée et à son plaisir d'explorer et de connaître les mille et une façons de vivre du monde animal ou végétal.

Là, tapie dans un fourré, silencieuse et attentive, elle guettait les jeux des papillons, les bonds des sauterelles, les allers et venues des fourmis besogneuses. Si les premiers semblaient faire preuve de gaieté et de folie tant leur vol s'éparpillait de façon désordonnée, les secondes s'élançaient sporadiquement au moindre mouvement, manifestant ainsi leur crainte ; les troisièmes se montraient volontaires, courageuses pour parvenir à leurs fins et construire une organisation sans faille. Quelle efficacité mais quelle triste discipline restrictive qui ne les autorisait à exister que pour la mission pour laquelle elles avaient été conditionnées !

La petite fille savait reconnaître les feuilles des noisetiers, celles des châtaigniers et des chênes. Les unes s'arrondissaient tendrement pour finir par une pointe surprenante, presque impertinente, tandis que les autres s'étiraient et montraient leurs longues nervures divisant leur surface en délicats rubans effilés. Les dernières dessinaient des circonvolutions amusantes, compliquées, aux formes alambiquées et douces.


Lorsque le soleil descendait, elle levait parfois la tête pour contempler les nuages dont la blancheur virait au rose.

Alors, il arrivait qu'une ritournelle prenne possession de son esprit, s'y accroche sans vergogne, lancinante, agaçante. Rapidement, elle la détestait, lui reprochant ses assauts aliénants.

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