Chapitre 10 - 3
Dans le jardin, Joël, arrivé peu après nous, s'est installé à l'ombre de la tonnelle. Cécile lui relate mon accident puis part en cuisine chercher une boisson fraîche.
Même si je tente de faire ressurgir mes souvenirs, mes efforts ne m'apportent aucune information. S'agit-il d'un ami ou d'une simple relation ? Puis-je lui faire confiance ? Qu'est-il prêt à me raconter, à me révéler ? Je ne comprends toujours pas la fuite de mon amie devant mes questions.
Alors, je me lance sans hésiter et surtout sans attendre Cécile, occupée dans la pièce à côté.
— Quels étaient tes liens avec Patrick ?
Il émet un soupir.
— Je pensais qu'on était de vrais amis, qu'on se disait tout… Mais j'ai l'impression qu'il a gardé pour lui un certain nombre de choses.
— Que veux-tu dire ?
— Lorsque le policier m'a interrogé, je n'avais rien de concret à lui dire. Par contre, les doutes suggérés m'ont amené à réfléchir. J'ai repensé à des silences, à la gêne de Patrick par rapport à certains sujets, sa façon de les éviter.
— Tu en as parlé au commissaire ?
— Non, c'était trop confus dans ma tête.
Ses yeux s'égarent au loin puis il reprend :
— Patrick a du caractère, ses affirmations ne supportent pas de réplique. Les questions que je me posais parfois, me paraissaient, face à lui, indiscrètes, déplacées, voire saugrenues et stupides.
— Donc, tu as eu des doutes ?
— Je ne le dirais pas comme ça. Je me suis étonné, pas plus. Tu sais comment il est, il te présente les choses de telle façon que tu ne les remets pas en cause.
Le regard dans le vague, Joël réfléchit un instant puis reprend :
— J'ai toujours cru qu'on était amis avec Patrick mais il n'était pas toujours très cool et pas seulement avec toi. Je pense qu'il savait bien donner le change.
Cécile pose une carafe de jus d'orange, une assiette de biscuits et des verres sur la table.
— Alors, de quoi vous parlez tous les deux ?
Sans tenir compte de Cécile, je poursuis :
— Comment vous êtes-vous connus ?
— On travaille ensemble.
Elle cherche à intervenir mais je continue.
— Quel genre de travail ?
— Dans une imprimerie.
— ça fait longtemps ?
— Oh oui, on a été embauchés à peu près en même temps, il y a presque dix ans, peu avant qu'il te rencontre.
— Ah ! Que t'a-t-il dit de notre rencontre ?
— De cet événement, pas grand-chose, par contre, il m'a beaucoup parlé de toi au début.
— Seulement au début ?
— Il s'est refermé petit à petit et puis, par la suite, on se voyait de temps à autre.
— Tu dis qu'il n'était pas très cool ?
— Je… Je ne sais pas si je dois te parler de ça…
— Non, je ne crois pas, le coupe Cécile.
— Je veux savoir. Vous ne devez pas me laisser dans l'ignorance. De toute façon, je finirai bien par retrouver la mémoire.
Cécile soupire. Elle baisse les yeux puis jette un regard triste et inquiet vers Joël.
— Nous pensons que tu n'étais pas heureuse avec Patrick, lâche Joël.
— Je ne sais pas comment te dire, j'ai essayé de te conseiller de le quitter mais tu n'as pas voulu, continue Cécile.
Je reste étonnée quelques secondes.
— Le quitter ?
— Tu aurais pu être bien mieux avec un autre homme.
— Pourquoi tu dis ça ?
La jeune femme hésite, cherche ses mots.
— Vous avez été témoins de quelque chose ?
— Non. Rien en ma présence mais tu m'as fait part de certaines remarques qui n'étaient pas très… comment dire ? Pas très gentilles à ton égard.
— Tu peux préciser ?
— Des remarques blessantes, qui te faisaient souffrir.
— De quel genre ?
— Sur ta façon de t'habiller, de parler, ta façon d'être, prononce-t-elle, à regret.
— Et toi, Joël ?
— Jamais devant moi. Mais, nous nous connaissons depuis longtemps et je sentais que ça n'allait pas.
Le silence tombe.
— Et avec vous, il était comment ?
— Toujours poli, répond Cécile.
— Mais encore ?
— Oh et puis, tu as raison, il vaut mieux que je te dise… Il savait faire la conversation, tirer parti d'un sujet pour le ramener à son avantage et se mettre en avant. Il aimait bien plaisanter aussi mais ses blagues frôlaient un peu trop souvent l'irrespect.
Mes sourcils arqués participent à mon interrogation.
— C'était toujours finement amené, toujours présenté de façon détournée et dans un langage ambigu, il pouvait ainsi assurer qu'il n'y avait aucune mauvaise intention, que nous avions mal interprété ses paroles.
J'encaisse ce que j'entends.
— Joël ?
— Jamais de remarques directes mais des sous-entendus ; j'ai compris que, à ses yeux, je ne suis pas comme un homme doit être. Pour lui, un homme doit montrer ses muscles et sa supériorité. Moi, je m'en fous, c'est pas mon truc. Et puis, à la réflexion, je me demande s'il ne s'est pas servi de moi.
— Comment ça ?
— Quand il est arrivé à l'imprimerie, je me suis rapidement rendu compte qu'il ne connaissait pas grand-chose à ce boulot. Je lui ai appris, patiemment. Je l'ai couvert par rapport au patron.
Olivier rentre du travail et se joint à nous.
— Comment te sens-tu Julie ? Mieux qu'hier matin ?
— Les choses semblent rentrées dans l'ordre. Du moins, pour l'instant.
— Tu n'avais pas l'air en forme.
Mon amie et moi échangeons un regard.
— Cécile est allée chercher un test à la pharmacie. Je suis enceinte.
Leurs yeux se braquent sur moi.
— Que comptes-tu faire ? ose Olivier.
Mon sourire lui répond.
— Tu es sûre de vouloir assumer cela ?
— Oui, je suis sûre.
— ça ne va pas être facile, argue Joël.
— Je sais mais c'est ainsi et j'en suis heureuse.
Nous discutons encore un moment puis Cécile propose à Joël de rester dîner.
*
Enfin seule dans ma chambre, debout devant le miroir, je pose une main sur mon ventre encore plat et je regarde au-delà de ces yeux, cette bouche, fades et insignifiants. J'y détecte un éclat nouveau, inédit.
La seule pensée de ta présence au creux de moi m'emplit d'une joie au-delà de tout.
Même si tu ne mesures que quelques millimètres, tu es mon enfant, tu es LA Vie. Tu es tellement plus que le soleil chaud et lumineux, tu es plus aussi que la clarté renouvelée chaque jour.
Je ne suis plus seule puisque tu es là. Je me sens tellement forte pour toi. Je suis enfin vivante parce que je porte Ta vie.
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