Chapitre 21 - 2

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Et puis, nous avons pris le train pour rejoindre cette destination que je croyais ne jamais atteindre.

Sur les marches, sortant de la gare, je peine à y croire. Je peine à maîtriser mon émotion et les larmes montent à mes yeux. Les rues d'eau se dessinent devant nous, des gondoles se balancent lentement.

Venise.

Cette ville mythique à l'étrange équilibre.

La réalité me désarçonne.

On dit qu'à Venise, on marche sur une forêt inversée ; les bâtiments sont posés sur un plancher de bois sur pilotis enfoncés dans la vase. Cent dix-huit îlots reliés par des canaux composent la lagune. Les fondations doivent donc être suffisamment solides pour éviter que les bâtisses ne s'enfoncent.

Venise est un lieu de paradoxes, entre la fragilité de son soubassement et son passé vertigineux, le glissement des gondoles et la vitesse des vedettes, l'exubérance des italiens et le calme des ruelles, ses splendides monuments et ses eaux stagnantes.

L'air charrie des effluves qui n'indisposent nullement grâce à la légèreté apportée par la brise.

Deux marches plus bas, mon mari me tend la main d'un air attendri.

Avant la ville proprement dite, nous souhaitons visiter l'île de Murano. Nous n'aurons pas le temps de voir Burano, ses maisons colorées et ses dentelles.

Un entrelacs de ruelles étranglées aboutit à une place ocre jaune où seule la présence de l'eau permet de respirer tant le soleil chauffe les murs, le sol et la moindre parcelle d'air.

D'innombrables places plus ou moins vastes se succèdent, certaines sont rafraichies par des bosquets d'arbres, d'autres s'abandonnent à la chaleur écrasante.

Surplombant les canaux, d'innombrables balcons, en fer forgé ou en briques, offrent l'opportunité aux habitants de prendre l'air ou de s'intéresser à l'activité environnante.

Par moments, nous sommes surpris par une exclamation. À chaque intersection, les gondoliers lancent des appels sonores afin de signaler leur présence et éviter l'accident.

La foule se presse déjà pour embarquer en direction de Murano. Le soleil miroite sur l'eau au gré des remous provoqués par le passage des bateaux. Si les gondoles sont étonnantes de par leur forme et leur ondoiement, les vaporettos emportent les touristes à vitesse raisonnable dans le bruit bien présent de leur moteur, les vedettes de certains habitants aisés, plus rapides, laissent apercevoir des essences de bois aux couleurs magnifiques.

Environ trente minutes sont nécessaires pour rejoindre Murano. Habituellement, l'eau a tendance à m'effrayer et pourtant, à ce moment, ce sentiment est presque oublié, une spirale entêtante et euphorisante m'emporte.

La renommée de Murano repose sur ses productions de verrerie. Les ateliers accueillent un public curieux. Dans une chaleur suffocante, une dizaine de personnes s'active entre ces hauts murs. Les souffleurs de verre façonnent la matière avec patience et précision, mais également une grande rapidité.

Dans la salle d'exposition, des objets de toutes formes et toutes couleurs figurent dans des vitrines. Certains sont relativement classiques, d'autres relèvent d'un sens artistique extraordinaire et sont éblouissants de beauté.

Tu me regardes à la dérobée. Les yeux brillants, tu souris.

Reprenant le bateau, nous retournons vers la place Saint Marc, au Sud. L'affairement de la ville se traduit par une agitation incessante sur l'eau. Les embarcations se croisent à vive allure, parfois de façon inquiétante.

Juste avant d'arriver à notre destination, l'Arsenal montre ses bâtiments militaires sévères.

Retrouvant la terre ferme, nos pas s'accordent dans un même rythme.

Au loin, l'immense place Saint Marc est peuplée d'un nombre impressionnant de touristes mais aussi d'une multitude de pigeons.

La façade du Palais des Doges présente une incroyable quantité de fenêtres et sculptures ainsi que deux étages de colonnes. Côté lagune, les chapiteaux sont ornés de motifs végétaux et de personnages. Côté Piazzetta, sur la galerie supérieure, deux colonnes de marbre rouge - alors que toutes sont claires - marquent le lieu où étaient proclamées les sentences de peines de mort. À chaque angle du palais, figurent de magnifiques sculptures : le jugement de Salomon, Adam et ève et l’Ivresse de Noé.

Alliant l'art gothique et l'art byzantin, certains le qualifient de joyau et sa prestance, son élégance justifient ces termes.

Pour reposer nos yeux de l'abondance de détails extraordinaires, nous nous tournons quelques instants vers l'eau. Le passage des bateaux la fait claquer bruyamment sur les rives.

Nous progressons vers la place, souriant sans retenue, impatients.

Dominée par un campanile, elle est bordée d'arcades abritant des cafés, des boutiques, mais aussi des musées. La partie qui rejoint le Grand Canal arbore deux colonnes surmontées, l'une du lion ailé de Saint Marc en bronze et l'autre, de Saint Théodore, en marbre. Une superstition raconte qu'un Vénitien ne passe jamais entre ces colonnes, sans doute car, autrefois, c'était le lieu des exécutions capitales.

La basilique Saint Marc laisse ébahi. Comme à Milan, une danse lente et attentive commence.

Cinq coupoles de style byzantin la surmontent. La décoration abonde en colonnes antiques de marbre, porphyre, jaspe, serpentine ou albâtre, en mosaïques et sculptures. Ces dernières représentent les douze mois et les allégories des Vertus. La galerie de l'étage est ornée du quadrige antique de bronze doré des Chevaux de Saint Marc.

Ivres de notre observation, nous détournons nos regards et décidons de continuer la visite de la ville.

Des yeux surpris s'attardent parfois sur nos doigts enlacés.

Nous marchons depuis des heures et commençons à avoir faim. La ville ne manque pas de restaurants. À l'écart du flot des touristes, nous choisissons une terrasse couverte d'une pergola fleurie dans laquelle le soleil tente de s'infiltrer, se faufilant avec patience sous les branchages. Un risotto di Go vient ravir nos estomacs, la préparation propose un poisson abondant dans la lagune et cette succulente recette de riz moelleux et parfumé. Un verre de rosé accompagne le plat. Bien sûr, un tiramisu termine notre repas.

Nos regards fondus, mon aimé resserre sa main autour de la mienne. Je savoure mon bien-être complété par le soleil. Non loin de nous, l'eau, encore et partout, clapote sur les rives.

Cet après-midi, notre promenade nous entraînera vers le nord, en direction du pont du Rialto. Mais d'abord un détour par le pont des Soupirs.

Ce pont couvert qui reliait le palais des Doges aux cachots se trouve équipé de fenêtres grillagées qui cachaient les prisonniers de l'extérieur et les empêchaient de se jeter à l'eau. Un mur divise l'intérieur en deux, évitant toute communication entre les condamnés. Les soupirs évoqués se rapportent aux lamentations de ceux qui venaient d'être jugés et prenaient conscience qu'il leur faudrait du temps pour retrouver leur liberté.

À nouveau, un bateau nous permet de contourner la ville. De splendides et luxueux palais longent les canaux, tous plus aguicheurs les uns que les autres. Les appareils photo crépitent. Étourdie, je tourne la tête sans cesse.

À l'approche du Rialto, nous retrouvons la foule. Cet édifice, en bois à l'origine, a réellement belle allure, je m'attendais à y consulter un historique de la ville ou y admirer des bibelots anciens. Malgré la température élevée, les touristes partent à l'assaut des boutiques alignées qui regorgent de babioles en tout genre. Sur une carte postale, je découvre la signification des couleurs du drapeau italien : le vert pour les collines des Monts Apennins, le blanc pour la neige des Alpes et le rouge pour le sang des martyrs des trois guerres d'Indépendance du dix-neuvième siècle.

Quelques prospectus et un souvenir en main, nous regagnons la gare, fourbus d'une journée si intense.

Les doigts de mon mari effleurent ma peau dorée.

*

Ayant franchi la frontière depuis de longues heures, nous approchons de chez nous.

Le soleil descend peu à peu. Des camaïeux d'orange irradient le ciel tel le feu dans l'âtre. Les flammes de lumière lancent leurs rayons, refusant de céder leur place à la nuit. Elles diminuent pourtant, sans doute épuisées par leur lutte insensée.

Les tons s'adoucissent peu à peu, créent un rougeoiement lumineux qui se bat pour exister encore. Les nuages se colorent de teintes pastel. À l'horizon, en ombre chinoise, on aperçoit les collines, les arbres et une ferme isolée dans la campagne.

Quelques minutes plus tard, un rose profond s'installe pour résister encore à la venue du soir. Sa couleur se dilue indéfiniment pour s'éclaircir à l'extrême, jusqu'au moment où seule une lueur persiste à l'horizon.

Nos mains serrées s'impatientent d'atteindre enfin notre maison. Ce soir, nous dormons chez nous.

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