Chapitre 4-1
Etendue sur mon lit, les yeux ouverts, je tarde à me lever. La clarté filtre à travers les persiennes.
Depuis un peu plus de deux jours, je vis dans cette chambre anonyme qui, sans être réellement froide, n'a rien d'accueillant.
Mon cerveau trépigne à la recherche d'images perdues, en quête de réponses. Il s'active à une vitesse impressionnante et, dans le même temps, glisse, évite des éléments peut-être primordiaux.
J'éprouve un besoin impérieux de me retrouver chez moi, même si je ne parviens pas à visualiser cet endroit qui, sans doute, m'attend.
Un jeune homme dépose mon petit déjeuner. Je lui tends mon bloc :
— Quel jour sommes-nous ?
— Mardi 5 avril 1988. Hier, c'était le lundi de Pâques.
Après avoir avalé ma tartine et mon café, je m'enferme dans la salle d'eau.
Quel délice, cette fraîcheur sur mes joues !
Absorbée dans mes pensées, une évidence s'affirme : Je sais qui je suis puisque je sais que j'aime le bruit de l'eau qui coule en cascade, le vent qui ébouriffe mes cheveux, la chaleur du soleil sur ma peau et le parfum des fleurs.
Tout de même, j'ai hâte de connaître mon nom, de retrouver ma famille…
Alors je m'habille très vite, espérant une avancée.
Assise près de la vitre, j'observe les oiseaux affairés, leur ardeur, leur enthousiasme. Les paroles du médecin me reviennent. Cet homme a vraiment l'art de me rassurer. Pourtant, la situation n'est pas simple. Enfin, grâce à lui, la télévision a occupé une partie de ma soirée. L'émission qui présentait une magnifique région française a favorablement influencé mes rêves. Cette nuit s'est avérée tellement plus reposante que les deux précédentes.
Je m'apprête à reprendre la lecture de mon magazine lorsqu'on frappe à ma porte. Une infirmière entre, suivie d'une jeune femme :
— Bonjour, vous avez de la visite.
La nouvelle venue arbore des cheveux mi-longs d'un roux lumineux, de discrètes taches orangées parcourent son nez et ses joues, ses iris verts pailletés restent rivés sur moi.
Mes yeux se plissent pour l'observer. Elle hésite à s'approcher, son regard est inquiet :
— Bonjour Julie. J'ai eu tellement peur quand j'ai su que tu étais à l'hôpital. Qu'est-ce qui t'arrive ?
Elle tarde un peu à s'avancer puis fait un pas et me serre dans ses bras. Cet élan affectueux me fait frissonner. Je ne peux répondre à son geste, ne reconnaissant pas son visage.
Je m'appelle Julie…
Elle desserre son étreinte, s'éloigne un peu.
— Cécile, je m'appelle Cécile, prononce-t-elle avec douceur, une main posée sur sa poitrine.
Cécile…
Je répète son prénom pour le graver dans mon esprit.
Qui est Cécile ?...
Son attitude me prouve qu'elle a connaissance de mon amnésie. Elle poursuit :
— Ne t'inquiète pas, je suis rentrée, je vais m'occuper de toi.
— Je suis désolée mais, qui êtes-vous pour moi ?
— Nous sommes amies depuis une dizaine d'années, depuis que tu es venue dans le magasin où je travaillais. On s'entend vraiment bien toutes les deux, on se voit souvent.
Sur ces mots, le docteur Chopin pénètre dans ma chambre.
— Bonjour mademoiselle Cervier.
Je ne peux retenir un sourire. Je lève la main pour le saluer.
— Ah, vous avez retrouvé le sourire aujourd'hui ! Madame a un effet bénéfique sur vous.
S'il savait que c'est à lui que je souris.
Donc, je m'appelle Julie Cervier. Bien, j'avance aujourd'hui !
— Comment avez-vous dormi cette nuit ?
— Bien, grâce à… la télé !
— C'est une bonne chose.
Et, sur ces paroles, il se tourne vers Cécile.
— Bonjour Madame. Votre visite est bienvenue.
— Merci de prendre soin d'elle, Docteur. Je n'ai pas tout compris tout à l'heure au téléphone, pouvez-vous m'en dire plus sur ce qui s'est passé et sur son état de santé ?
Le praticien lui expose les événements qui ont précédé mon arrivée ainsi que ses premières constatations.
— Quand pourra-t-elle rentrer chez elle ?
— Je pense qu'il n'est pas souhaitable qu'elle retourne à son domicile dans l'immédiat. Elle a vraisemblablement subi un traumatisme qui la fragilise et quelques jours au moins lui seront nécessaires pour le surmonter.
Les sourcils froncés, j'écoute ces mots qui ne correspondent pas à mes attentes.
— J'ai envie de rentrer chez moi.
— Je comprends mais vous avez besoin d'assistance, et même de surveillance. Votre accident est trop récent pour que je vous laisse repartir seule dans l'immédiat.
— N'est-il pas possible que je m'occupe d'elle ? Elle pourrait venir chez moi, intervient Cécile.
Il pose ses yeux sur elle de façon plus appuyée. Après quelques secondes :
— Allons en discuter dans mon bureau, prononce-t-il d'un air soucieux. Mademoiselle Cervier, je vais examiner avec votre amie la possibilité qu'elle vous prenne en charge.
Il tourne les talons, entraînant Cécile dans son sillage.
Me voilà seule à nouveau.
Ses dernières paroles résonnent dans ma tête.
Si seulement je pouvais quitter cet hôpital…
À nouveau, le bourdonnement dans les pièces à côté parvient jusqu'à moi. À nouveau désœuvrée, je contourne mon lit et reprends distraitement mon magazine.
Cette chambre, emplie de vie il y a quelques minutes, a tout à coup retrouvé son ennui et sa solitude.
Alors, je m'assieds et feuillette sans les voir des pages recouvertes de photos et de textes. Le ballet des merles et des étourneaux tente de me distraire et je me laisse entraîner à la fascination de leur effervescence. Ma vision se brouille.
À travers le brouhaha ambiant, je guette le retour du médecin et de Cécile.
Pour occuper le temps, je fais quelques pas dans la chambre, entrouvre la porte puis la referme. Le front collé à la vitre, j'observe les abords du bâtiment. Les cimes des arbres balancent sous le vent. Le soleil s'est imposé.
Un passant traverse le parking lorsque le docteur Chopin écarte le battant.
— Mademoiselle Cervier, il me semble préférable de vous garder en observation au moins vingt quatre heures encore. Votre amie va rester avec vous ce matin, elle reviendra demain et nous ferons le point avant le déjeuner. Si votre état est satisfaisant, vous pourrez, si vous le souhaitez, vous installer chez elle.
Mes épaules retombent, mes mains laissent glisser mon carnet.
— Avant tout, il faut être sûr que tu ne prends pas de risque en sortant, tente de me rassurer Cécile.
Je dirige mon regard vers la fenêtre alors qu'elle poursuit :
— Nous allons discuter toutes les deux un moment. Et puis, je reviendrai demain et si tout va bien, je t'emmènerai avec moi. D'accord ?
Mes interrogations trouveront sans doute des réponses auprès de cette femme dont la bienveillance me semble faire écho à quelques souvenirs. Même si j'ai hâte de quitter cet endroit, je ne peux que me conformer aux préconisations du praticien.
C'est ainsi que quelques discussions, somme toute, banales et une journée plus tard, mon amie se présente, sourire aux lèvres.
Elle s'avance, me serre dans ses bras.
— Je vais bien m'occuper de toi, tu vas vite guérir.
— Je fais établir les documents de sortie. Au revoir Mademoiselle. Un rendez-vous sera fixé par mon secrétariat. Vous ne pensiez pas vous débarrasser de moi comme ça ! affirme-t-il, rieur.
— Merci beaucoup. Et le concert hier soir, c'était comment ?
— C'était très sympa ! Il a chanté sa nouvelle chanson "Il faudra leur dire" avec un groupe d'enfants autour de lui puis plusieurs, en espagnol et, évidemment, les anciennes.
— L'encre de tes yeux, les murs de poussière, les chemins de traverse…
— Elles sont très belles, leur texte est profond. Je vois qu'elles ont laissé une trace importante dans votre esprit.
— Certaines paroles marquent plus que d'autres…
— C'est vrai, dit-il simplement, me tendant la main. Reposez-vous, nous nous voyons dans quelques jours. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à m'appeler, le secrétariat notera mon numéro.
Sur ces mots, il se retourne et quitte la pièce.
— Veux-tu que je réunisse tes affaires ?
Ma main sur son bras lui indique que je préfère m'en charger.
Un petit tour dans la salle d'eau, je replie les vêtements posés dans le placard et me voilà prête.
— C'est bon ?
Après mon assentiment, Cécile se dirige vers la porte. Je la suis.
Le hall traversé, l'air chahuté par la brise nous accueille. D'étranges perceptions assaillent mon esprit. Des parfums fugitifs m'effleurent, des couleurs imprécises dans des tons roses se dessinent sur des murs et disparaissent à la hâte.
— Je suis garée sur le parking, juste en face. Ça va ?
Ma main droite touche ma tempe, je marque un temps avant de lui répondre. D'un signe, je la rassure.
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