15. Dragons
Le dénommé Léo hurla d’une voix grondante depuis la terre ferme :
— Descendez de là, les Faucons ! Grouillez-vous avant qu’on lâche tous les cognards !
— Bah vas-y, envoie ! répliqua Tessa à cent à l’heure. Je te renverrai les deux, un dans ta face de gland et l’autre dans tes bijoux de famille crasseux !
En contrebas, quelques rires étouffés se firent entendre dans le groupe, mais moururent lorsque leur meneur se tourna vers eux, furibond.
Tom était un peu dépassé par ce qui était en train de se produire, mais son épaule engourdie lui rappela qu’il ne souhaitait pas vraiment que plusieurs de ces boulets soient relâchés sur eux.
— Descendons, j’avais fini ma petite démo de toute façon.
— T’es sûr ? Il fera rien, maintenant que je suis en l’air. Ça fait un bail qu’il essaye de me recruter chez les Dragons. Il répond même pas à ma provoc.
— J’allais descendre par moi-même, t’inquiète.
— Si tu le dis, marmonna la petite survoltée.
Les deux voltigeurs regagnèrent la terre ferme, près du groupe de Léo, rejoint par Yonas. Tom eut alors l’occasion de constater à quel point le chef de la bande était imposant.
La teinte de peau du colosse était plus claire que la sienne, plus chocolat qu’ébène. Sa mince bouche, encadrée par une mâchoire carrée et une fine moustache, se tordait en un sourire arrogant. Il avait le nez plutôt rond, de petits yeux noirs, et un piercing blanc et or à l’arcade, qui faisait un peu oublier ses sourcils broussailleux. Il arborait fièrement de longues et très nombreuses dreadlocks soignées, sur lesquelles il avait enfilé de petits anneaux en or, dont certains prenaient la forme d’une couronne. Et puisqu’il n’avait pas assez d’or sur lui, apparemment, plusieurs grosses chaînes du même métal pendaient à son cou.
Sa stature était terriblement intimidante. Une véritable aura de puissance se dégageait de sa personne, dans ses moindres faits et gestes. Il était immense, probablement plus d’un mètre quatre-vingt dix. Les manches de sa robe étaient découpées à l’épaule pour exhiber entièrement ses bras volumineux et bien tracés, mais on devinait aussi sous ses vêtements des muscles tout autant travaillés.
Comment une fille aussi petite peut tenir tête à un bestiau pareil ? Il pourrait assommer un abraxan à mains nues… C’est vraiment un élève de notre âge ?
Il remarqua également que toute l’équipe était composée de grands gabarits. Tous portaient des protections avec leur robe blanche impeccable, affublée d’un grand dragon doré crachant le feu. L’ensemble leur donnait plus l’air d’un régiment de soldats que d’une équipe sportive.
— Qu’est-ce que vous foutez là ? enragea Yonas.
— Mais qu’est-ce que tu fous là, le squelette… ? Oh mais ça me revient ! Je te reconnais ! exagéra Léo avec un grand sourire moqueur. C’est bien toi ! Le gardien le plus éclaté que cette école ait jamais vu ! Comment j’ai bien pu oublier la raclée que je t’ai mise ? Quarante buts à moi tout seul, une défaite sur un score de 780 à 130, ça doit encore piquer aujourd'hui… Ce match est rentré dans l’histoire de l’école !
— La ferme, grogna Tessa, à bout de nerfs.
— Oh, ça va, je le taquine, c’est tout… Combien tu vas nous laisser marquer de points, cette année ? Hein ?
L’arrogant titan s’avança pour tapoter la joue de Yonas avec sa très grande et épaisse main, ce qui fit ricaner haut et fort son équipe. Malgré sa propre taille, il mesurait une tête de moins et ses bras filiformes n’impressionnaient personne. Sa seule réaction fut de baisser les yeux, les poings serrés. Il balbutia :
— Je… Je joue pas cette année…
Nouvelle explosion de rires.
— Tu fais bien, après une correction pareille ça se comprend ! Mais c’est bien dommage, moi qui comptais sur toi pour battre le record de l’école une fois de p…
Une voix aiguë et mal assurée l’interrompit :
— Ça suffit !
La seule fille de l’équipe, qui se cachait derrière ses énormes coéquipiers, fit irruption.
Et ce fut un vrai choc pour Tom.
Tout chez elle évoquait la délicatesse. Sa peau était très pâle. Son visage, angélique, dépourvu de la moindre imperfection. Ses très longs cheveux d’un blond platine étincelant étaient tout bonnement magnifiques. Ils chutaient dans son dos jusqu’à la taille, en cascade de lumière.
Elle s’avança encore, flottant avec légèreté dans sa robe de Quidditch blanc et or, éblouissante comme une apparition divine.
« On a pas de temps à perdre, Léo, dit-elle avec douceur en posant la main sur son épaule avant de se tourner vers les trois étrangers. Je suis infiniment désolée, mais nous avons besoin du terrain pour faire passer des tests de sélection. Nous devons remplacer un poursuiveur au plus vite, alors…
Elle se tut.
Son regard venait de tomber dans les yeux bleu-gris de Tom.
Le contact visuel ne pouvait être plus direct. Ils faisaient exactement la même taille, se regardaient face à face, les yeux dans les yeux, sans cligner, ainsi pendant de longues secondes.
Léo finit par donner un petit coup de coude discret à son équipière et brisa le lien.
« A… Alors… reprit-elle nerveusement. Alors si vous aviez prévu un… Un entraînement ici…
— Bon, on va pas y passer la journée, clama Tessa, les bras croisés. Puisque t’as l’air d’avoir du mal à aligner trois mots, je vais le faire à ta place : hors de question que les Faucons vous laissent ce terrain, on a entraînement ici dans quinze minutes, on a réservé, point barre.
Le chef des mastodontes brandit une feuille de papier, qu’il colla sous le nez de son opposante.
— Dérogation exceptionnelle du planning, autorisée par Mr Grondant, Maître Manus et Directeur Sportif de l’Académie.
— Conneries, cracha-t-elle après avoir rapidement lu. La vipère qui te sert de copine a dû imiter sa signature. Je me trompe, Blanche-Neige ?
La ravissante jeune fille parut vraiment outrée.
— Mon prénom, c’est Julia, au cas où t’aurais oublié. Et je ferais jamais un truc pareil ! Je comprends que ce soit dur à avaler, mais c’est la vérité… Peut-être, dit-elle en se tournant vers son capitaine, qu’on pourrait partager le terrain en deux ? On a pas forcément besoin de tout prendre, un but suff…
— Non, coupa-t-il. La dérogation est claire, le terrain nous revient à nous, les Dragons Solaires, pour ce soir exceptionnellement. Ces perdants n’ont qu’à aller squatter sur un des terrains annexes !
Tom avait pu voir les deux terrains d’entraînement, de chaque côté du parc, pendant sa visite. Malgré quelques mauvaises herbes envahissant la pelouse, ils étaient identiques en tous points au terrain principal. Mêmes dimensions, mêmes buts…
— Pourquoi, dit-il, est-ce que vous n’y allez pas vous-même, sur un de ces terrains ? Ils sont bien aussi.
— C’est une vraie question ? Tu sais pas du tout à qui tu t’adresses, on dirait, railla Léo. Ouvre un peu les yeux, petit. Nous, les Dragons Solaires ? la meilleure équipe de Beauxbâtons, invaincue depuis le début du championnat, qui compte deux futures stars mondiales du Quidditch, s’entraîner sans tribunes pour le public ? T’as craqué !
En levant la tête vers les tours qui encerclaient le stade, le nouvel élève aperçut un certain nombre d’élèves qui commençaient à s’installer sur les gradins aménagés sur leurs sommets.
« Un simple test de sélection chez les Dragons attire une bonne centaine de fans. C’est plus que tous ceux qui viendraient vous supporter en finale de la coupe. Ah non pardon, je dis des conneries ; impossible de vous qualifier pour la coupe, avec une équipe éclatée comme la vôtre.
Son groupe lâcha encore quelques quolibets.
— Je bougerai pas de là, déclara Tessa, à moins que Mr Grondant ne vienne lui-même prouver que ce papier est pas un faux.
— Ça tombe bien, se marra le colosse, il est juste là, dans les tribunes. On va le chercher ?
Il leva la main pour saluer un homme d’âge mur, quinze mètres plus haut dans les gradins. Il rendit sobrement le salut, imité par une trentaine d’élèves qui se levèrent en hurlant et en agitant les bras pour que la star de l’école les remarque.
— Va chier, trancha Tessa. Si tu crois qu’Arthur va laisser passer ça, tu te fous le doigt dans l’œil.
Sans plus de cérémonie, elle lui tourna le dos et quitta la pelouse à grandes enjambées rageuses.
— C’est ça, s’écria Léo, va tout raconter à ton capitaine, petite ! N’oublie pas de lui demander s’il compte encore laisser une passoire dans les buts, cette année !
Sur ce, Yonas la suivit, fâché lui aussi. Nouvelle hilarité du groupe, que Julia ne partageait pas. Elle était visiblement vexée qu’on l’insulte, avant qu’on lui coupe la parole, alors qu’elle cherchait juste à trouver un compromis. Elle ne semblait pas apprécier l’arrogance que le chef des Dragons affichait.
Il ne restait plus face à eux que Tom, silencieux, le Comète 300X de son ami toujours en main.
« Et toi, c’est quoi ton problème ?
— Je reste. Je veux participer à l’épreuve de sélection, affirma l’athlète avec assurance, au grand étonnement de l’équipe.
Lui qui n’avait pas encore vraiment attiré l’attention du géant jusque-là, ce dernier l’observa enfin plus en détail, de la tête aux pieds.
— Toi ? Je croyais que t’étais une recrue à deux balles de ces perdants de Faucons. Je t’ai mal jugé, enfin de compte. Peut-être que tu nous serais utile. Justin !
Un petit gars chétif avec une tête minuscule se faufila entre les joueurs. Il passait constamment sa main dans sa chevelure brune désordonnée pour rajuster une grande mèche. Il était le seul sans équipement de Quidditch et portait un dossier et un stylo.
— Oui capitaine ?
— Ajoute un participant au test. Toi, dit-il à Tom, donne-lui ton nom complet, ta taille, ton poids, ton âge, ton poste et le nom de tes anciennes équipes. Ah et si tu as le moindre problème de santé on te prend pas.
— Tom Asham, un mètre cinquante-quatre, quarante-trois kilos, treize ans. Aucun problème de santé. J’ai pas de poste ou d’ancienne équipe, j’ai jamais joué au Quidditch. Mais je faisais du handball, chez les moldus.
Son aveu décontracté, dénué de la moindre hésitation, fit encore rire la troupe des Dragons. Justin avait arrêté d’écrire de lui-même avant d’avoir tout noté. Leur capitaine se montrait à la fois confus et irrité.
— Mais d’où tu sors petit ? Tu oses prétendre pouvoir jouer dans la meilleure équipe jeune du pays sans la moindre expérience ? Ton jeu de moldu, qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Et puis si tu regardes bien, on accepte pas les petites tailles chez nous. Un mètre soixante-cinq, c’est le minimum pour passer le test. Allez, on a assez perdu de temps comme ça, va chercher les candidats, Justin.
Ne sachant pas trop quoi avancer pour sa défense, Tom se résolut à jouer une ultime carte, celle que lui-même détestait en temps normal : la provocation.
— Si je me croyais pas assez fort pour battre chacun de vous un par un, toi y compris, je serais pas là, lança-t-il avec toute l’insolence dont il était capable.
Sa bravade laissa l’assistance choquée pendant une seconde, avant qu’une clameur de réponses agressives ne s’élève.
Mais qu’est-ce que je raconte… ?
Julia déclara haut et fort :
— Laisse-le jouer, qu’on le remette à sa place !
De nombreuses approbations jaillirent de toutes parts. Personne ne remarqua le clin d’œil qu’elle adressa tout de suite à l’intention du nouveau.
Merci !
Léo, qui commençait à se lasser des discussions, soupira :
— Comme vous voulez, je m’en tape. Va, Justin, on a pris du retard avec tout ce blabla.
L’élève servile se précipita hors de la pelouse.
En vérité, Tom n’avait pas la moindre intention de rejoindre l’équipe. Pour commencer, il avait tout simplement hâte de découvrir le Quidditch et de jouer pour la première fois. Ensuite, il avait bien l’intention de défier Léo directement. Il haïssait la vantardise et le manque de respect entre sportifs. Une future star mondiale ? Peu importaient ses fans et sa réputation, Tom était bien décidé à lui donner tort. Et pour finir (bien qu’il ne l’avouerait pas), il souhaitait impressionner le public, mais surtout Julia.
Alors que tout chez elle brillait, ses iris étaient d’un noir impénétrable qui semblait absorber toute lumière, au point de se confondre avec ses pupilles. Un contraste aussi fascinant que troublant.
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