— Ah, il bouge ! S’écria une voix suraiguë. Il revient à lui !

Tom se redressa doucement sur son lit. Il avait l’impression que quelqu’un s’amusait à envoyer de grands coups de marteau contre son crâne, sans s’arrêter. Il reconnut le visage de Tessa, proche du sien, qui l’examinait.

« Enfin il a l’air un peu dans les vapes quand même, ajouta-t-elle.

— Laisse-le respirer, grogna Yonas.

Le blessé prit enfin conscience qu’il se trouvait à l’infirmerie. La petite batteuse était assise sur le bord du lit, tandis que Yonas, Julia et un autre garçon avaient ramené des chaises autour.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? marmonna-t-il.

— Un grand moment de Quidditch ! s’exclama Tessa. T’es passé à deux doigts de ridiculiser un des meilleurs batteurs de l’école ! Mais il a compris ton plan à la dernière seconde et contré ton cognard avec un coup de guillotine ! C’était génial !

On dirait presque qu’elle est contente que je me sois fait exploser la gueule en fait…

— Guillotine ?

L’inconnu coupa la réponse de la fille. Il parlait d’une voix froide, monotone.

— Un coup de batte vertical, à deux mains, à bout portant. Le plus puissant, le plus dangereux de tous. Avec ou sans casque, la commotion cérébrale est quasiment garantie. Quintus Oliveira est pourtant connu pour ses guillotines parfaites, c’était très risqué de foncer vers lui avec un cognard à ta poursuite.

Tom reconnut cet élève comme celui assis dans les tribunes aux côtés de Yonas, pendant les épreuves. Typé asiatique, son visage enfantin n’exprimait rien. Ni sa petite bouche trop fine, ni ses yeux bridés, sombres comme deux trous noirs. Seuls ses cheveux noirs mi-longs laissaient penser qu’il n’était pas un robot. Soigneusement coiffés en arrière à la cire, avec quelques fines mèches bien dessinées tombant sur son front, il devait avoir pris des heures pour se coiffer. Il portait lui aussi la robe de Quidditch des Faucons.

— Tom, déclara Yonas dont la voix se fit solennelle, voici le capitaine de l’Escadron Faucon, Arthur Libra, en quatrième année.

— Enchanté, glissa l’asiatique.

— Pff, ça va, pas la peine d’en faire des caisses ! Dit la batteuse. Tutur ferait pas de mal à une mouche, Tom, te laisse pas impressionner par cette demi-portion !

La demi-portion en question se contenta de sourire un bref instant. Il serait resté de marbre si ce n’était pour faire plaisir à sa coéquipière.

— Bien, dit Julia, hésitante. Puisque tout à l’air d’aller, je vais rejoindre Léo, il m’attend. À plus tard, Tom, prends soin de toi.

— Merci, toi aussi, répondit-il à l’ange avec un sourire niais.

Elle le lui rendit, puis salua les autres avant de quitter la pièce. Le blessé fixait encore la porte quand Tessa s’exclama :

— Bref, maintenant que l’autre nunuche est partie dis-lui Tutur !

— Arrête d’appeler Arthur comme ça, grinça Yonas.

— Tom Asham, troisième année, aucune expérience de vol ou de Quidditch, c’est ça ?

Le ton d’Arthur demeurait si égal qu’on distinguait difficilement la question de l’affirmation.

— … Oui, c’est bien ça.

— Intéressant. Du peu que j’ai pu observer, ton niveau en pilotage égale celui d’un vrai joueur. À première vue, je t’aurai donné deux ans d’expérience en autodidacte. Ta position sur le balai manque d’exactitude, ce qui fragilise ton équilibre. Ta gestion de la vitesse laisse à désirer. Malgré ces quelques défauts, tes manœuvres et tes trajectoires restent relativement précises. Je t’aurais volontiers classé comme un attrapeur, mais ton tir est juste… Exceptionnel. Difficile de croire que tu débutes.

— Ah ? Heu… Merci.

— Pour être plus précis, je refuse de croire que tu débutes. Une mécanique de tir pareille ne s’improvise pas. Des explications s’imposent. Je n’aime pas les mensonges.

C’est donc là qu’il voulait en venir…

— Il y a deux semaines, je ne savais même pas que j’étais un sorcier. Le Quidditch et les balais volants, chez les moldus, on connaît pas. On pratique des sports sans magie. J’ai fait du handball depuis tout petit, normal que je sache tirer.

— Des sports sans magie ? s’étonna la batteuse. Ça doit être bien chiant comme truc…

— Ça, comparé au Quidditch, c’est sûr que c’est moins drôle !

Le capitaine des Faucons marqua un silence, plongé en pleine réflexion.

— Admettons. Je vois pas bien ce que c’est comme jeu, mais je sais que les moldus aiment aussi les sports de balle. Pourquoi pas. Mais alors tu n’avais jamais monté un balai de toute ta vie avant ce soir, vraiment ?

Il me lâchera pas. C’est débile comme explication mais j’ai rien d’autre.

— Disons qu’il m’est arrivé assez souvent de voler, mais pas pour de vrai…

— Je le savais, lâcha platement Arthur. Pas la peine de t’inventer une vie, tu…

— Je m’invente pas de vie, laisse-moi finir ! le coupa Tom. J’ai déjà rêvé plein de fois que je volais, c’est tout, voilà ! Je volais en rêve !

Silence. Yonas et Tessa étaient suspendus aux lèvres de leur chef qui fronçait gravement les sourcils.

C’était sûr ! Ils me prennent vraiment pour un mytho maintenant…

« Je… Quand je suis monté sur le balai de Yonas, les souvenirs de mes rêves sont revenus d’un coup, tout m’a semblé naturel, comme si je l’avais vraiment déjà fait. Je sais que c’est con, mais…

— Non, je te crois. Couvrir un mensonge par un autre encore moins crédible serait stupide. Je n’ai pas besoin de plus d’explications. Désolé de t’avoir accusé à tort, dit-il sans la moindre émotion.

— Pas de mal, répondit un Tom troublé.

— Maintenant que cette question est résolue, je tiens à dire que ton profil m’intéresse beaucoup. Mes coéquipiers ici présents n’en pensent pas moins. J’attends un vrai investissement de ta part, que tu sois présent aux trois entraînements par semaine et à tous les matchs si besoin. Un poursuiveur buteur, voilà ce qu’il manquait à notre équipe. Si tu acceptes ces conditions, le poste est à toi. Qu’en dis-tu ?

Arthur tendit le poing vers lui, qu’il frappa immédiatement avec le sien.

— J’en dis que « buteur » est mon mot préféré.

*****

— Six ! … Sept ! … Et Huit ! Remontez !

C’est un Tom haletant qui se hissa une dernière fois à la force de ses bras endoloris sur son balai.

Un entraînement de Quidditch tel qu’il se l’imaginait ne devait pas être aussi éprouvant physiquement. Pourtant, Arthur dirigeait d’une main de fer l’équipe des Faucons à travers des séries de pompes et d’abdominaux au sol, puis de tractions sur leurs balais à chaque début de séance, comme un rituel sacré.

Au bout de cette deuxième semaine d’entraînement, Tom venait enfin d’achever la dernière série de tractions, sur laquelle il échouait à chaque fois. Si Arthur ne souriait pas, le novice était pourtant certain que ses progrès n’étaient pas passés inaperçus. Il avait bien vite compris que peu de choses échappaient aux yeux perçants de son capitaine sur un terrain de Quidditch.

Dès la première séance, il avait corrigé la posture de sa nouvelle recrue sur son balai en faisant reculer son assise de quelques centimètres à peine et en penchant très légèrement son dos. Sur le coup il n’avait pas perçu la différence, mais depuis, Tom se sentait beaucoup plus à l’aise pour manœuvrer et avait moins d’efforts à faire pour rester en équilibre.

Après les exercices de musculation venaient des exercices techniques, variant d’un jour à l’autre selon les thèmes de jeu et les postes des joueurs. Les poursuiveurs répétaient les mêmes mouvements de vol, de passe et de tir en boucle. Et à chaque fois, Arthur trouvait quelque chose à redire. Une fois c’était le bras qui n’était pas totalement tendu, la fois suivante le buste trop en avant et la fois d’après le geste qui était trop lent ou trop rapide. C’était plutôt frustrant d’encaisser autant de critiques, mais les rares fois où il saluait une action d’un hochement de tête approbateur sans rien dire, c’était qu’on tenait vraiment le bon bout.

Il intervenait également dans les échanges de cognards entre batteurs en leur demandant des frappes très spécifiques ou encore dans les interventions hasardeuses du gardien.

Peu importe le sujet, tant que ça touchait au Quidditch, Arthur était un expert. Malgré son manque d’expressivité, son sens du détail et ses anecdotes interminables laissaient deviner toute la passion qu’il éprouvait pour ce sport. En revanche, il avait du mal à concevoir que sa flamme ne soit pas partagée par tous au sein de l’équipe…

« C’est maintenant que tu arrives ? Gronda-t-il vers Pascal, plus bas.

Pascal était un des poursuiveurs de l’équipe, un des meilleurs de l’école, bien que sa beauté et son charisme l’ait rendu très populaire et donc un peu surévalué, selon Yonas. Depuis l’arrivée de Tom, il n’avait participé qu’à un entraînement sur les quatre. Sa désinvolture manifeste dénotait avec le perfectionnisme maladif de son capitaine. Même à ce moment, sa décontraction nuisait au semblant de sincérité de ses excuses ;

— Désolé, j’avais un devoir d’enchantements à terminer pour demain. Tu sais comment c’est, avec Mr Alchemille, toujours une galère…

— Et la fois d’avant ? Pourquoi t’étais pas venu ?

— La fois d’avant ? Heu… J’étais en heure de colle avec Mme Blanche.

— C’est pas ce que m’a dit Samira…

— Ah oui, c’est vrai… Je confonds, j’étais avec elle, avoua-t-il avec une pointe de tension dans la voix.

— Donc, si je comprends bien, débita froidement Arthur, tu préfères passer ta soirée avec une fille plutôt que de venir à l’entraînement ?

— Tu sais comment elles sont, si je lui accorde pas un peu de temps, elle va me faire la gueule et…

— J’en ai rien à faire, le coupa le capitaine. Les jours où on s’entraine pas suffisent. Et puis c’est pas la première fois que tu sèches l’entraînement pour elle, il va falloir faire un choix. Maintenant, soit tu la quittes, soit tu quittes l’équipe. À toi de voir.

L’ultimatum laissa toute l’équipe coi, surtout le principal intéressé. Bien qu’il ne fasse pas beaucoup d’efforts, il s’agissait d’un joueur talentueux, du peu que Tom en ait vu et entendu de ses coéquipiers. La surprise laissa place à l’incrédulité chez le poursuiveur, qui se fendit d’un petit sourire.

— T’es pas sérieux ? Tu me demandes de larguer ma copine pour les Faucons ? Vraiment ?

— Je suis toujours sérieux.

Incrédulité bien vite effacée par la colère.

— Tu te fous de moi ! Tu te prends pour qui, avec ton équipe de guignols là ?! Quatre matchs, pas une seule victoire ! Tu crois quoi ? Ton petit nouveau, il vaut pas un clou ! Sans moi vous êtes morts, il en faudrait trois comme lui pour me remplacer !

— On a qu’à utiliser un sort de dédoublement, alors.

Seule Tessa se mit à rire franchement. La remarque fut la goutte de trop.

— Parfait. On fait comme ça ! Si tu crois que j’en ai quelque chose à faire des Faucons… La moitié de l’école va se battre pour que je rejoigne leur équipe et tu le sais !

— Oui et je sais que l’autre moitié comprend quelque chose au Quidditch, répliqua l’asiatique sans broncher.

Cette fois ce fut Yonas qui laissa brièvement entendre son rire grinçant. Ce genre d’humour était trop subtil pour Tessa.

— Va te faire foutre ! Hurla Pascal avant de s’éloigner de la pelouse, furieux.

Le capitaine de l’Escadron Faucon attendit le départ de son ex-joueur star avant de réunir le groupe.

— Du coup pour le match amical, demain, qui va remplacer Pascal ? Lança Yonas.

La question méritait d’être posée, étant donné que l’équipe comptait cinq poursuiveurs sans compter l’expulsé, ce qui laissait trois joueurs sur le terrain et deux remplaçants. Sans hésiter, le capitaine répondit :

— Tom, bien sûr. Ce sera l’occasion de voir comment il se débrouille en situation de jeu réelle.

— Wow Toto ! s’écria la petite batteuse. À peine arrivé et déjà titulaire ! Beau gosse !

— Merci, dit-il avec le sourire.

— C’est pas pour gâcher l’ambiance, mais il connaît pas encore nos tactiques, rétorqua Yonas.

— Je vais lui expliquer tout ça à la fin de l’entraînement, t’en fais pas, dit Arthur. Allez, on reprend !

Sur ce, les joueurs se séparèrent pour reprendre leurs exercices.