Alexa poussa un long soupir en entrant dans son appartement. Elle était plus que contente de rentrer enfin chez elle. C’était un appartement cosy et assez grand. Rien de surprenant quand on a la paye d’un agent du S-REC. Elle posa ses affaires au sol et avança dans son salon. Les lumières automatiques s’allumèrent à son passage et un petit miaulement se fit entendre. Un large sourire se dessina sur visage et elle s’accroupit. Un chat roux vint à sa rencontre en trottinant. Ses pattes blanches s’agitant pour rejoindre vite Alexa. C’était un magnifique chat au pelage bicolore. Blanc sur les pattes et le ventre, et cuivre sur le reste du corps. Alexa commença à lui gratter doucement le cou. Le chat s’affala par terre en ronronnant :

« On dirait que je t’ai manqué, Sam. »

Elle prit un instant pour regarder si la prothèse de son chat était toujours en bon état. Il lui manquait une patte avant droite, et Alexa avait acheté une prothèse pour lui permettre de se déplacer. Elle l’avait trouvé un soir, non loin du canal Saint-Martin après une balade. Ce n’était qu’un petit chaton à l’époque et il était déjà condamné sans sa patte droite. Mais Alexa s’était prise de pitié pour lui et l’avait recueilli. Et depuis deux ans, elle et Sam étaient inséparables. Elle pouvait rester des heures à jouer avec lui et le câliner. Mais pas pour l’instant, il se releva et miaula de plus belle :

« Tu dois avoir faim. »

Elle se releva et se dirigea vers sa cuisine. Elle était bien trop grande pour une seule personne. Tout cet appartement était bien trop grand pour une personne et un chat. Chaque seconde passée à l’intérieur renforçait un peu plus le sentiment de solitude d’Alexa. Elle mit les croquettes dans la gamelle de Sam qui s’empressa de manger. Elle aussi devait manger quelque chose. Elle dirigea machinalement vers son réfrigérateur et sortit un plat tout préparé. Elle n’avait jamais aimé cuisiner de toute façon. Elle le réchauffa en quelques secondes et se posa sur son bar pour manger. Le progrès avait du bon. Plus besoin de cuisiner pour manger quelque chose de bon.

C’est l’heure de votre médicament.

Alexa soupira en entendant la voix de l’IA dans son crâne.

« Mode sommeil. »

Alexa n’aimait pas avoir l’IA constamment sur le dos. Le mode sommeil était le seul moyen d’être tranquille et de profiter un peu de son intimité. Elle fixa le flacon de pilule qui était posé sur son bar. Elle le connaissait que trop bien. Toute sa vie, elle avait pris ses petits cachets blancs. Chaque soir, aussi loin qu’elle s’en souvienne. Elle ne savait pas vraiment pourquoi, mais ces derniers jours, elle ne prenait plus ses cachets. Est-ce qu’elle déprimait ? Elle ne savait pas. Mais elle ne pouvait plus prendre ses cachets, c’était devenu trop dur pour elle. C’était sans doute la raison de ses rêves étranges. Son corps lui réclamait quelque chose.

Si seulement ça pouvait me tuer.

Sam se hissa sur le bar en sautant d’abord sur une des chaises hautes. Il vint se poser à côté de l’assiette d’Alexa. Elle sourit et son petit félin chassa aussitôt ses sombres pensées. Elle le caressa doucement tandis qu’il s’étalait sur le bar en ronronnant.

« Je ne vais pas être souvent là, Sam. J’ai une nouvelle mission. J’espère qu’elle ne dura pas longtemps. »

Elle soupira longtemps.

« Je suis obligée de travailler avec des policiers. C’est tellement gênant… »

Elle déglutit. Elle n’aimait pas parler à d’autres humains. Elle n’était pas habituée à ça. Elle était plutôt du genre à tuer et frapper qu’à dialoguer avec d’autres. Elle prit une dernière bouchée de son repas et se dirigea vers son canapé. Son chat la suivait en trottinant. Elle se posa dessus et sortit sa liseuse pour reprendre sa lecture. Elle lisait avec assiduité un livre sur les relations sociales. Elle en avait plus que besoin avec cette mission.

« “Pour nouer des relations, intéressez-vous à votre interlocuteur. Écoutez-le. Soyez compatissant avec lui.” »

Elle releva la tête et fronça ses sourcils.

« Mais… À quoi ça sert de les écouter se plaindre ? »

Alexa ne comprenait décidément rien à ce livre. Tout lui était étranger, et elle avait mal à la tête à réfléchir à tout ça. Elle soupira de nouveau alors que Sam étendait tous ses membres sur ses jambes. Il voulait encore des câlins. Heureusement, Alexa n’avait pas besoin d’un livre pour comprendre son chat. C’était déjà ça. Elle soupira en pensant à la journée qu’il l’attendait demain.

Je sens que ça va être compliqué demain…

***

Tomas grogna en sentant une main qui lui tapotait doucement son épaule. Il ouvrit les yeux et eut un sursaut en voyant deux yeux bleus électriques et luisants la regarder.

« Putain Leo ! »

Tomas soupira longuement. Son cœur avait fait un bon en voyant les yeux de l’androïde. Il n’arrivait pas à se faire à l’idée de ses yeux qui luisaient dans le noir. Il avait beau travailler avec lui depuis longtemps, l’habitude n’était toujours pas là. Il avait pourtant bien Leo, mais il demeurait un androïde. Un Human Replica qui répondait au doux nom de HR-130. Pour plus de facilité, Tomas l’appelait Leo. Malgré les efforts de Tomas, le fossé qui existait entre eux deux était parfois immense. Ce visage sans imperfection et inexpressif à la fausse peau synthétique le mettait mal à l’aise chaque fois qu’ils se regardaient. La fameuse vallée dérangeante. Plus un androïde se rapprochait à la perfection de l’humain, plus il paraissait imparfait aux yeux de ces derniers. Elle n’était pas résorbée malgré les avancées technologiques. Les androïdes restaient toujours aussi étranges pour les humains.

« Pardon, inspecteur, je ne voulais pas vous effrayer. »

Cette voix synthétique aurait presque pu être parfaite, si elle n’était pas incroyablement monotone. Tomas se releva doucement du canapé sur lequel il se trouvait. Il s’était endormi sans faire exprès. Il ignorait l’heure qu’il était, mais il était seul avec Leo, et heureusement pour lui, les lumières s’étaient rallumées. Il n’allait plus sursauter en voyant son regard brillant dans le noir. Les lumières ne se déclenchaient qu’en présence d’un humain. Les robots n’en avaient pas besoin. Tomas bâilla longuement et tenta de rassembler ses pensées :

« C’est bon, Leo. Ils t’ont dit quoi chez Artificialis ?

— Je suis opérationnel. Ma mise à jour est faite, inspecteur.

— Tant mieux. On a une nouvelle dans l’équipe. Une agente du S-REC. Ça va nous aider. Mais on va avoir besoin de toi.

— D’après les messages que j’ai reçus, une autre victime est à déplorer. »

Tomas se leva de son canapé et étira son dos. Il devait mettre au parfum l’androïde avant de l’utiliser. Tomas était bien content d’en avoir un dans son équipe, ce n’était pas le cas de toutes les brigades. Le Conglomérat était très strict sur la possession d’androïdes, même pour les forces de l’ordre. Tout ça à cause des précédentes guerres. Il devait profiter de la chance qu’il avait pour exploiter au maximum le potentiel de Leo :

« Ouaip, la victime est un ancien de chez Horizon. Ils nous ont envoyé son dossier. Ce coquin avait visiblement ses habitudes à Pigalle. On sait où aller demain.

— Ne devriez-vous pas rentrer chez vous pour reposer, inspecteur ?

— Je te remercie, mais ça va. Je voulais justement regarder deux ou trois trucs par rapport à l’enquête.

— Vous avez besoin de sommeil.

— Je vais bien, Leo, je t’assure. Ne t’en fais pas pour moi. »

Il savait qu’il avait les traits tirés et le visage fatigué. Mais il voulait arrêter le responsable à tout prix. Il aurait tout le temps de se reposer après. Chaque soir, c’était un peu son rituel. Il passait ses nuits dans le commissariat à éplucher tous les rapports dans l’espoir ténu de trouver quelque chose. Un indice, n’importe quoi, pour trouver une piste. Mais pour l’instant, rien. Les deux précédentes victimes n’avaient rien donné. Malgré les interrogatoires, les perquisitions, rien. Une nouvelle victime lui donnait la possibilité de trouver le responsable. Il ne laisserait rien passer ce coup-ci. Il trouverait le coupable. Et ainsi, il ne serait plus un simple citoyen D, il serait un citoyen C. Cette perspective d’avenir meilleur était tout ce qui le maintenait éveillé.