Les primitifs

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 J'ai roulé toute la nuit, histoire d'avoir moins de cons sur la route. Quand on sort de dépression, les cons, ils est toujours conseillé de les éviter. Séverine me relayait de temps en temps. Passé Vitré, la pluie s'est mise à tomber. Séverine a enclenché les essuie-glaces sans parvenir à chasser la pluie qui s'écrasait par rafales obliques sur le pare-brise. Nous sommes arrivés à Kerloach avec les premières brumes du jour, et quelles brumes, opaques, rugueuses, agressives. De quoi faire faire demi-tour aux plus téméraires. Pas étonnant que les américains n'y aient pas traîné leurs basques. On a beau être début juillet, le petit matin est plutôt frisquet, et je ne parle pas que des degrés. À peine avais-je mis le pieds hors du véhicule que j'ai regretté mon douillet appartement de la rue Gay-Lussac.

 Les toubibs m'ont laissé partir après m'avoir gribouillé une belle ordonnance d'anxiolytiques à faire pâlir Maryline Monroe, toute une cargaison de barbituriques, de quoi tenir le siège d'une bonne dépression comme les aimait Freud. Une caisse d'antalgiques complète ma pharmacie. Deux mois et demi après mon accident, je tire encore un peu la patte. La nuit, mon dos se contracte et la douleur me réveille. Il paraît que ça arrive quand on prend un mur à 110 km/h. Du coup, j'ai ramené avec moi mon infirmière personnelle, où pour être plus précis, elle s'est incrustée dans mes bagages. Pas question de laisser filer la poule aux œufs d'or. Un manoir du moyen-âge, même avec un peu de travaux, ça vaut du pognon. C'est ce qui m'a décidé à faire le voyage. Je vais m'empresser de vendre cette bicoque inhabitable et je renflouerai mon compte en banque. Mes finances ne vont pas tarder à friser le rouge. En plus d'avoir perdu ma femme, j'ai perdu mon boulot...

 J'ai appelé au bureau depuis l'hôpital de Nice. Sans nouvelle de ma part pendant les semaines où j'étais dans le coaltar, ils ont engagé un nouveau dessinateur. Ça m'a mis en rogne. Plus le droit de se foutre en l'air ou d'avoir un coup de blues. Je n'ai même pas daigné m'expliquer. À quoi ça aurait servi, l'étalage de vie publique, ce n'est pas mon rayon. J'ai raccroché, excédé.

 Arrivé rue Gay-Lussac, j'ai découvert qu'Hélène ne s'était pas trompée. « Sous les pavés la plage », les manifestants y ont cru dur comme fer, aussi ont-ils dépavé jusqu'au dernier centimètre de rue. Pas de plage sous les pavés, mais un tapis de gravats dégueulasses et grisâtres. Ça les a foutus en rogne. De rage, ils ont balancé les pavés dans la tronche des CRS. Ils ont aussi libéré les arbres des grilles infamantes qui leur ligotaient les racines. Les arrêts de bus ont été littéralement pulvérisés. J'ai presque regretté de ne pas en être.

 J'ai aussi découvert que cette salope de Francesca avait fait main basse sur tout le commercialisable, la collection d'ivoire de ma mère, les tapis d'Ispahan, ma collection de disques de Nina Simone et d'Ella Fitzgerald, et la télévision que nous avions achetée ensemble au BHV. Elle a même déménagé mon Steinway et vidé le petit coffre en bois de cèdre dans lequel je gardais mes économie en liquide. De quoi devenir fou. J'ai même pensé à remettre ça. Pas la bagnole parce que la bagnole, ce n'est pas la mienne. J'ai le respect de la propriété des autres. Mes pensées morbides oscillaient entre les cachets et ma bonne vieille bouteille de vodka. J'ai choisi d'associer les deux. Pour accélérer ma convalescence, Séverine m'a initié aux buvards. Quelques gouttes, pas plus, ça suffit pour un road-trip XXL. Faire l'amour sous acide, ça donne une dimension psychédélique. La baise en Technicolor.

 Pendant quatre jours, on n'a pas arrêté. Je descendais chez le chinois d'en bas acheter des nems et du poulet sauté à emporter, et on remettait ça. Et puis un matin, mes yeux sont tombés sur les papiers du notaire. Au point où j'en étais, je pouvais bien m'offrir une virée en Bretagne. Et puis, ça faisait tellement plaisir à Séverine. Il faut dire qu'elle a des arguments...

 ― Oublie cette salope, mon minou, pense à nous. Allons voir ton manoir en Bretagne, je suis sûre qu'il n'est pas en si mauvais état qu'il n'y paraît.

 Une petite voix me disait de fuir cette idée, petite voix qui ne trouva pas sa voie jusqu'à ma raison, embourbée par ma testostérone grimpée en flèche après que Séverine ait lentement ôté sa culotte, millimètre après millimètre, sur ses cuisses sans fin. Des arguments, oui, imparables. Le sexe ! Un sexe à damner un cénobite, une toison cuivrée qu'elle dévoile langoureusement tandis que je m'agenouille à ses pieds pour la boire, une fente humide et fraîche dont le nectar poivré me coule dans la gorge. Ses doigts fins s'enfoncent dans mes cheveux, m'enserrent le cerveau, ce cerveau qui ne peut plus réfléchir. Sa voix, ses cris, ses gémissements, rauques et éraillés, tout est ravissement, tout est appel à la luxure, à l'ivresse des sens charnels. Tout pour la posséder encore. Je ramperais devant elle pour le seul plaisir de lui sucer le con, de la fourrer jusqu'à la lie, pour l'entendre rugir d'extase alors que je répands dans son ventre ma sève virile. Et quand elle me suce... Ô divine jouissance, sa bouche est une antre à vit, mon vit. Ce n'est plus qu'elle me suce, elle me traie les bourses, elle me vidange les couilles. Mon sperme se répand dans sa bouche par hectolitre. Sans jamais omettre de me masser les testicules et de m'enfoncer un doigt dans le cul. Disons les choses clairement, elle baise comme une diva. Une reine de la turlute. Une imagination débordante. Aphrodite n'a qu'à bien se tenir. Alors quand elle se présente à quatre pattes devant moi et me propose de nous rendre en Bretagne, je pousse un oui tonitruant et m'enfonce dans ses reins.

 C'est comme ça que je me retrouve dans ce patelin breton, perdu à des kilomètres de nulle part. Retour au moyen-âge. Un village d'irréductibles gaulois composé de maisons de granit, enroulées autour d'une place unique orné en son centre d'un lavoir et d'une fontaine agrémentée de fleurs rose et violette. Combien d'habitants ? Cent ? Deux cents ? Plus un hameau qu'un village. Autour de la place en terre battue, une mairie pas plus grande que la maison de Naf-Naf, accolée à une salle des fêtes dont les fenêtres dégoulinent de gerbes de fleurs, un estaminet faisant office de tabac et d'épicerie, un salon de coiffure pouvant contenir un client à la fois, et la sacro-sainte église de granit surmontée d'un clocher de bronze.

 Nous avions quitté la route et la civilisation pour une plongée dans un autre monde. A croire qu'on avait sans s'en rendre compte franchi une porte spacio-temporelle...

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