Bruits
11 janvier
La paix n’aura duré qu’une journée, mais j’en suis le seul responsable. J’ai allumé la radio dès que je me suis levé, par réflexe. Certains préfèrent la compagnie des images et du son, mais je considère que la télévision n’est plus une fenêtre sur le monde depuis longtemps. Elle s’est transformée en rideau opaque, tachée par les mêmes motifs répétés ad nauseam, et emprisonne les quelques rayons de lumière qui s’affaiblissent chaque jour.
Assis sur la cuvette des toilettes à scroller les réseaux sociaux depuis de trop longues minutes, j’avais le sentiment de vivre un événement important. J’entendais les réponses cinglantes des spécialistes choisis pour l’émission du matin, je sentais la tension monter dans le studio – j’avais l’impression d’y être. De la minute nécessaire pour couvrir cette chute de neige historique, l’animateur a réussi à allonger la sauce pendant plus d’un quart d’heure à coup de phrases bien senties, d’une approche sensationnaliste pesée au gramme près, et surtout de l’incontournable micro-trottoir nous rapportant des avis bien tranchés mais limite digestes. En gros, le pays se découpe depuis ce matin en deux moitiés : ceux qui croient que ce phénomène météorologique inhabituel reflète les changements climatiques en cours – « la preuve est là, sous nos yeux » selon la personnalité invitée qui n’a pas daigné exposer ces preuves –, et ceux qui n’y voient qu’un événement rare mais non représentatif – « d’ailleurs, s’il y a de la neige, c’est que ce n’est pas un réchauffement climatique » dixit l’expert en rien interrogé dans la rue.
J’avoue que je me perds dans tout ça. Comment repérer le véritable signal au milieu de tous ces bruits ? Tout le monde a un avis sur tout, des chiffres et des références pour étayer leur raisonnement, et quand un spécialiste affirme quelque chose, on en trouve, dans la minute, un autre qui soutient son contraire. Je ne sais que croire. Non, en fait, je ne sais qui croire.
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