La proposition-2
Penaud, Hugo avait refusé de commander et attendait son jugement coincé entre les deux jeunes femmes, l’une trahie, l’autre harcelée, sans savoir ce qu'elles en avaient partagé. Océane le délivra en entamant la discussion.
— J’ai rencontré Léa hier et elle m’a appris que vous étiez ensemble. Je me suis dit que ce serait sympa qu’elle nous accompagne pour une fois, histoire d’avoir un point de vue extérieur.
— Elle risque de nous ralentir, objecta mollement Hugo.
— Pas du tout, je suis sûre qu’elle saura nous aider au contraire. Et puis, ce n’est pas comme si tu étais à fond non plus, ces derniers temps.
La menace était limpide, aussi acérée qu’une lame sur la jugulaire. Le refus n’était pas permis, au risque de voir la vérité jaillir en gerbes carmin.
— Je suppose qu’elle pourrait… abdiqua-t-il.
— Super, tu es d’accord aussi Léa ?
— Bien sûr, répondit-elle avec l’impression de parler comme un robot.
— Alors c’est réglé. On y va ?
Les séances de travail se déroulaient chez Océane, qui habitait juste à côté de la fac, une raison de plus pour elle d’amener un chaperon. En entrant dans le studio, Léa découvrit une décoration inexistante, bien loin du cocon douillet qu’elle s’était créée chez elle. Il n’y avait ni poster, ni photos et pratiquement pas de meubles. À côté de la « cuisine », son lit occupait la quasi-totalité de l’espace, si bien qu’il servait aussi de chaise de bureau, lequel n’était en réalité qu’une énorme planche de bois recomposé posée sur deux tréteaux dépareillés, vaguement égalisés avec une cale. Son armoire se restreignait à un portant en métal et plastique qui laissait voir une garde-robe réduite. Pour finir, deux cartons empilés de profil imitaient un semblant de commode qui ne cachait rien aux regards des curieux.
Le côté récup’ aurait pu passer pour une forme d’écolo-fondamentalisme bobo, mais l’absence de toute forme de superflu et l’espace réduit donnaient un autre sens à son minimalisme. Avec une gêne non feinte, Léa découvrait qu’Océane était pauvre. Le sens de ses mots lorsque la jeune brune avait prétendu ne pas avoir le luxe de louper son année lui revint en mémoire. Elle était sans aucun doute boursière, mais ce n’était jamais suffisant. D'ailleurs, l’une des tenues perchées était celle d’un hypermarché.
Consciente de l’avoir enviée, Léa en ressentit de la honte. De son côté, elle n’était pas obligée de travailler, ni de se contenter d’un réduit comme logement. Sa famille s'était assurée qu'elle puisse étudier dans les meilleures conditions, ce qu'elle avait toujours considéré comme parfaitement normal.
On ne sait jamais vraiment comment sont les gens, encore moins ce par quoi ils passent.
Étrangement, cela rendait la demande d’Océane plus légitime. Elle était déjà dans une situation difficile et si Hugo gâchait son semestre, elle pourrait tout perdre. La colère de Léa s’amplifia à l’égard du jeune homme. Non content d'être un porc, il tentait d'abuser de la détresse de sa camarade. En avait-il seulement pris conscience ?
Privée de siège, Léa ne savait pas où se poser, si bien qu’Océane l’invita à se poster sur le lit derrière eux. Assise au bord pour se pencher sur le bureau, la jeune brune partageait ses avancées avec Hugo, complètement hors du coup.
En tailleur le dos contre le mur, Léa surveillait le couple. Hugo faisait tout son possible pour ne pas entrer en contact avec la jeune brune malgré le manque d’espace. Au bout de quelques minutes, il sembla retrouver ses esprits et le travail reprit. Pour la forme, Océane tendait parfois une feuille à Léa pour lui demander son avis. Les concepts développés lui passaient au-dessus de la tête, alors elle la lui rendait avec un hochement de tête complice.
Trois heures de ce manège plus tard, Hugo reçut un coup de fil et jura.
— J’avais promis à un pote de l’emmener quelque part, expliqua-t-il, sa voiture est morte il y a deux jours.
Après un soupir, Océane répondit :
— OK, on a bien avancé pour une fois. Je vais essayer de continuer seule encore un peu, sauf si tu veux bien me filer un coup de main, Léa ?
Paniqué, Hugo se tourna vers sa petite-amie, mais le signal d’Océane était clair. Léa se laissa glisser jusqu’à la place libérée au bord du lit :
— Je vais t’aider un peu, si Hugo doit partir. Bonne route, mon chéri. Fais bien attention…
Les menaces étaient dans chaque intonation, le doute suait dans chaque mot.
— Euh, ouais. À plus les filles.
Une fois la porte refermée, Océane s’écroula sur son bureau, la tête contre le bois. Lorsqu’elle la releva, Léa pouffa et la jeune brune la suivit dans son fou rire. Épaule contre épaule, elles se laissèrent aller jusqu’à imiter le ton coincé d’Hugo lorsqu’il avait réalisé son impuissance.
— Tu veux un truc à boire ? proposa Océane lorsqu’elles se furent calmées.
— Ne t’embête pas, je vais y aller.
— Mais non ! J’ai envie de me détendre aussi, et puis c’est normal de t’offrir un truc, vu ce que tu fais pour moi. Attends, je suis sûre qu'un copain m'en a laissé l'autre jour...
Gênée, Léa accepta malgré tout. Océane se pencha pour atteindre un bac sous son lit et en sortit deux canettes de bière panachée.
— Désolée, je n’ai pas de frigo, s'excusa-t-elle en lui en tendant une.
Léa avisa le mini-meuble blanc sous l’évier.
— Il n’a jamais marché, expliqua Océane en suivant son regard. J’ai demandé au proprio plusieurs fois mais… disons que son prix n’était pas le mien.
— Il voulait te faire payer la réparation ? Mais si c’est un meublé, il doit le faire gratuitement non ?
— Il voulait surtout un paiement en nature.
— Que.. oh.
— Je préfère encore boire tiède. À ta santé !
Avec un sourire désolé, Léa ouvrit sa canette et grimaça par réflexe après sa première gorgée.
— Pas trop dégueu ? demanda Océane.
— Si.
Cette fois, ce fut la jeune brune qui pouffa, redéclenchant leur fou rire à peine calmé.
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