Chapitre 6

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Plume

C’est bon, j’arrête de me prendre la tête. Depuis le passage des trois Exécuteurs à mon stand la semaine dernière, je suis sur le qui-vive. Le vent souffle dans les arbres ? Un volet claque ? La panique me submerge immédiatement, allant me cacher ou accélérant le pas dans le premier cas. Dans le second, le stress et la peur sont tellement omniprésents, que je me retrouve avec un couteau en main afin de me protéger d’une quelconque attaque. J’ai l’impression de régresser, toute la tension d’il y a sept ans refait surface au point que je n’en dors plus. Depuis leur visite, les cauchemars que j’avais enfermés dans une boîte au fond de mon cerveau, ne cessent de revenir me hanter.

Encore ce matin, je me suis réveillée en sursaut et en sueur, j’ai eu du mal à calmer ma respiration et à éliminer toutes ces images qui me collent à la peau depuis longtemps. Je pensais avoir enfin réussi à surmonter mes démons.

Quelle buse !

Il me suffit de croiser trois loups pour que tout me revienne en pleine figure. Vu le peu d’heures de sommeil que j’accumule ces derniers jours, ma tête doit faire peur. Un véritable zombie avec des cernes monumentales sous les yeux.

— Bah alors Plume, tu en fais une tête. On dirait que tu as croisé des fantômes.

Mon cœur fait une embardée dans ma poitrine, je fais un bond en arrière. Mes pieds s'emmêlent et je me retrouve étalée au sol, relevant les yeux vers l’intruse qui m’a rejoint dans la cuisine alors que j’étais plongée dans mes pensées. Mes prunelles scrutent mon amie, je tente de calmer ma respiration ainsi que le rythme effréné de mon cœur qui cherche à sortir de ma poitrine. Dès que mon palpitant se calme, je me redresse pour faire face à Callie.

C’est une femme de presque quarante ans, qui a quitté le stress de son emploi et de la grande ville. Elle ne savait plus profiter des petites choses de la vie. Jusqu’au jour où ce fut le burn-out. À ce moment-là, elle a décidé de partir pour venir vivre ici, en Alsace, tenter sa chance en devenant éleveuse. C’est un métier harassant, mais elle avait besoin d’avoir son propre rythme et surtout de se rapprocher de la nature et des animaux. Ce n’est pas évident tous les jours, ses journées sont longues, d’après ce qu’elle m’en a dit, ce fut le meilleur choix qu’elle n'ait jamais fait.

— J’étais perdue dans mes pensées, ne puis-je m’empêcher de me justifier.

Elle me toise de son regard bleu, qui s’ancre à mes pupilles pour tenter de sonder mon âme, comme lorsqu’elle pense que je lui cache la vérité. Reprenant mes esprits, je nous prépare une tisane à la mélisse - la préférée de Callie - pour tenter de calmer mes nerfs. Pendant que l’eau chauffe, je plonge dans mes souvenirs.

Cela faisait deux mois que j’avais fugué, je faisais tout pour éviter les grandes villes. Marchant des kilomètres avant de trouver un refuge pour la nuit, souhaitant mettre le plus de distance possible avec ma famille.

Un soir, alors que j’étais extrêmement fatiguée et affaiblie, je me suis écroulée non loin d’une auberge familiale de campagne. Le mari de Rose m’a trouvée évanouie et a décidé de me ramener chez eux. L’auberge lui appartenait, quant à Rose, elle était l’herboriste ainsi que soigneuse de son village. Ils ont eu une patience incroyable avec moi, car je refusais de parler. Mais cela ne les a pas repoussés.

Bien au contraire, ils ont compris que j’avais besoin de temps pour leur faire confiance. Après plusieurs années à leur côté, j’avais envie de voir autre chose et de leur laisser profiter de leur retraite en tête à tête, sans avoir un boulet accroché à leurs pieds. Même s’ils ne me voyaient pas de cette façon.

Autour d’un souper, je leur ai annoncé qu'il était temps que je vole de mes propres ailes. Je souhaitais continuer d’être herboriste, mais j’avais besoin de changer d’air.

Rose m’a alors parlé de sa cousine, Ortence, qui vivait en Alsace et qui souhaitait trouver quelqu’un pour reprendre son affaire d’herboristerie sur les marchés. De plus, elle avait une petite maison dans un col, où le premier voisin était à huit cents mètres. C’était une aubaine pour moi. Cela me permettait aussi de mettre encore plus de distance entre mon père et moi.

Le connaissant, il a la rancune tenace et est d’une patience incroyable. Il fera tout pour me retrouver et plus le temps passera, plus sa vengeance sera terrible. Toutefois, cela faisait déjà quatre ans que je parvenais à me cacher de lui et de ses vassaux… Tant que j'éviterai les territoires proches de meute lupine, le risque serait faible. Surtout que j’ai un atout dans ma manche, je parviens à camoufler mon odeur.

Dès que j’ai emménagé dans la maison d’Ortence, Callie est venue me voir pour se présenter. La voisine la plus proche, c’était elle. J’étais sur mes gardes et méfiante au début, je ne savais plus - encore maintenant, je ne sais plus - faire confiance aux autres. Elle a su abattre les remparts que j’érigeais au fur et à mesure de nos rencontres. Elle est rapidement devenue un pilier pour moi. Cette femme de plusieurs années mon ainée, a su m’apporter un soutient sans faille et une oreille attentive sans jamais me juger, ou me forcer. Elle a respecté mes silences, me laissant le temps dont j’avais besoin pour me confier.

La bouilloire me sors de mes souvenirs, quand l’eau bout. Servant la tisane à la mélisse, je ne peux rater le regard scrutateur de mon amie qui ne m’a pas quitté d’une semelle depuis son arrivée à l'improviste. Elle guette la moindre réaction que je peux avoir, pour tenter de comprendre ce que je ne lui dis pas.

— Le fait que tu sois plongée dans tes pensées aurait-il un rapport avec le groupe qui te cherche ? dit-elle, d’une voix suspicieuse.

Je hausse un sourcil, perplexe quant à sa question. Elle parle des Exécuteurs, mais je tente de masquer ma stupeur et mon trouble, en l’invitant à m’en dire plus. Ma main s’est resserrée autour de ma tasse. Ses yeux se posent sur celle-ci avant de s'ancrer une nouvelle fois dans les miens, je sais qu’elle n’est pas dupe. Toutefois, elle approfondit ses dires sans s’offusquer de mon silence.

— Au moins trois mecs super bien gaulés et une nana.

Une nana ? Mais combien sont-ils ? Mince, si ça continue je vais encore devoir fuir !

— Depuis quelque temps, plusieurs personnes sont à la recherche de la moindre information sur une rousse, fine, aux yeux verts qui se prénomme Plume. Tu peux m’en dire plus ?

Je laisse mon regard vagabonder avant de se poser sur ma tisane fumante, je soupire, tout en réfléchissant à ce que je souhaite lui dire. Je n’ai pas le temps de finir ma réflexion, qu’elle reprend la parole.

— Ça à un lien avec ton passé ? me demande-t-elle d’une voix douce. Si tu es autant angoissée, je suppose qu’ils sont comme toi ?

S’il y a bien une personne qui sait tout de moi, c’est elle. De ma fuite, à ma nature. Elle a su me montrer son amitié et sa loyauté. Je sais que je peux lui faire totalement confiance. Elle a été et est toujours un pilier et soutien pour moi, comme je m'efforce de l’être pour elle. Au bout de quelques instants, je me relève et me plante devant la fenêtre de la cuisine, tout en observant le jardin. Mon regard se perd dans le vague, avant que je ne me décide à lui relater ma découverte du blond dans la forêt, puis la rencontre de celui-ci et deux de ses amis au marché.

— Tu penses qu’ils sont un danger pour toi ?

— Je ne sais pas… Ce sont des Exécuteurs. Ils chassent les loups solitaires sous ordre de la haute classe. Cela a beau faire sept ans que j’ai fui, mon père ne lâchera rien… Qu'ont-ils dit ?

— Pour le moment, ils ne sont pas encore montés aussi haut dans le col, où on habite. Plusieurs de mes clients m’en ont parlé. Ils cherchent des infos sur toi. Qui tu es ? Qu'est-ce que tu fais ? Où habites-tu ? Ils prétextent qu’ils aimeraient te remercier, mais d’après ce que tu me dis, ils t’ont déjà trouvé sur le marché il y a quelques jours... Que comptes-tu faire ?

Je n’en sais rien, mes paupières se ferment quelques secondes, avant que je me replace face à elle. Je peux lire sur son visage toute l’inquiétude qu’elle me porte.

— Ils ne savent pas ce que je suis, sinon je ne serais pas là en train de discuter avec toi. Tu es la seule à me connaître. Quant à ma nature, peut-être... sans doute... je ne sais pas…

Sentant un mal de tête arriver à force de cogiter, je porte mes mains sur mes tempes pour les masser doucement.

— S’ils continuent, je vais devoir partir.

— Non ! me rétorque-t-elle avec véhémence et indignation. Il en est hors de questions, Plume ! Tu arrives enfin à te reconstruire. Tu vas vraiment tout recommencer à zéro ?

Voyant mon visage se transformer et la tristesse passer dans mon regard, elle se calme et continue d’une voix douce.

— Même ceux connaissant ton lieu d'habitation font comme s'ils ne te connaissaient que de vue. Après tout, ils n’ont pas de raisons de se poser plus de questions, non ? Ils vont finir par lâcher l’affaire.

— J’espère Callie… Je l’espère…

Changeant totalement d'attitude, Callie me fait un grand sourire.

Oh ! Oh ! Elle a une idée en tête.

Avec elle, on peut s’attendre à tout. Me proposer d’enterrer un corps dans son jardin, comme me parler d’une soirée beuverie…

Je ne sais jamais d’avance ce qu’elle va me dire. C’est aussi une bouffée d’air frais, ses sautes d’humeur sont marrantes, elle passe du coq à l’âne et a toujours les mots pour me faire penser à autre chose.

— Et pourquoi tu ne prendrais pas ta journée demain, je te remplace au marché. Tu pars te dégourdir les jambes, ou les pattes comme tu veux. Te connaissant je parie que depuis cette rencontre tu ne l’as pas fait et que tu as à peine osé mettre un pied en forêt.

Oui, en effet, elle me connaît très bien. Je lui lance un sourire timide, secoue la tête pour réfléchir à sa proposition.

— Et ton élevage ? Tu ne vas pas au marché aussi demain, pour vendre tes produits ?

— Si ! Justement ! Tu sais bien que sur le marché d’Hachimette nos stands sont l’un à côté de l’autre, Paul sera là pour m’aider, donc je pourrais m’occuper du tien pendant que tu libères toutes tes énergies négatives ! Qui ne te vont absolument pas au teint si tu veux mon avis.

Je rigole de sa remarque. J’ai l'impression que cela fait des mois que je ne broie que du noir. Pourtant en une visite et quelques phrases, mon amie parvient à me dérider.

— Oh, et Plume !

Mon regard était à nouveau perdu dans le vide, toutefois quand elle m’interpelle je me retourne brusquement afin de connaître la suite.

— Tu devrais l’emmener avec toi demain ! Il se doute que quelque chose ne va pas. Ça vous ferait du bien. Il n’est pas stupide…

Oh que non, il ne l’est pas. Loin de là !

Je regarde une nouvelle fois le jardin, pour regarder avec amour le petit garçon qui court tranquillement dans les hautes herbes.

Erwann, mon fils.

~~~~~~~~~~~~~~

Hey, les louveteaux.

Voici un nouveau chapitre du point de vue de Plume. On en apprend un peu plus sur la miss.

Elle fuit son père, mais pourquoi ? Oo

Une humaine connait sa nature :O

Oh ! Elle a un mini elle :D

J'espère que ce chapitre vous a plu :) Dites moi ce que vous en avez pensez ^^

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